A Kassel, j’habitais à l’angle de la Friedrich-Ebert-Strasse, donc autant dire que j’ai arpenté cette rue fort souvent. Et même si elle est réputée pour être l’une des plus jolies et des plus vivantes de la ville, à la fin, j’en avais franchement marre de me taper chaque jour le nom de ce social-démocrate, d’origine plutôt modeste, qui une fois aux commandes préféra le centre à la gauche, la guerre à la paix, les corps-francs aux spartakistes, et qui laissa assassiner Rosa Luxemburg en janvier 1919.
Alors aujourd’hui 5 mars, puisque je suis à Berlin pour l’anniversaire de la naissance de Luxemburg, et pour compenser un peu, je lui consacre la journée. J’essaie tout d’abord de m’incruster dans la visite guidée des principaux lieux de la ville où elle a vécu et combattu qu’organise aujourd’hui la Fondation Rosa Luxemburg. Hélas, c’est archi-complet, pas de place pour moi dans le car. Je vais devoir me rabattre sur les autres manifestations prévues dans les jours et semaines qui viennent… Pour marquer le coup malgré tout, je décide de prendre la S-Bahn jusqu’au Zentralfriedhof de Friedrichsfelde – un cimetière en vérité absolument pas central dans la configuration actuelle de Berlin !
A l’époque de la RDA, la commémoration de la mort de Luxemburg était un jour de manifestations officielles monstres dans tout le pays. Je m’attendais à un minimum d’affluence non officielle autour de sa tombe pour les 140 ans de sa naissance… Mais je constate qu’il n’y a pas un chat, et qu’à part celles que j’ai apportées seules une ou deux fleurs ont été déposées récemment. Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, c’est le deuxième dimanche de janvier et puis c’est tout !
Traduit (sans garantie) de Jörn Schütrumpf, février 2011 :
Pour une grande part de la petite bourgeoisie allemande, le meurtre de Luxemburg en janvier 1919, quand il fut connu, fut un soulagement. L’écrivain Max Hochdorf le rappelait encore dix ans plus tard : «Et les adultes… expliquaient avec satisfaction que Nemesis, la vengeresse implacable de tout le pêché des hommes, avait puni Luxemburg de la meilleure manière… une telle vie ne pouvait être achevée que par une telle mort.»
Rosa Luxemburg réunissait tout ce qui pouvait éveiller l’envie de meurtre dans la majorité de la société allemande :
Non seulement elle était intelligente, mais elle était femme. Non seulement elle était Polonaise, mais elle était Juive. Non seulement elle parlait plusieurs langues, mais elle était érudite et très cultivée à tous égards. Non seulement elle était émancipée bien au-delà de la moyenne, mais elle menait une vie pleinement autonome. Non seulement beaucoup de ses amis étaient aussi des socialistes – mais par-dessus le marché elle était elle-même à la tête des gauches radicales en Allemagne et en Pologne.
Le 15 janvier 1919, les “héros” allemands ont frappé cette femme, née en Pologne il y a 140 ans, à coup de crosse dans la tête, puis lui ont tiré une balle dans la tête et l’ont finalement jetée dans le Landwehrkanal.
Rosa Luxemburg voulait compléter les libertés politiques conquises lors des révolutions civiles du 18ème et 19ème siècle, par la liberté sociale, en ne supprimant aucune liberté. La liberté était pour Rosa Luxemburg la liberté des dissidents – de tous les dissidents. C’était l’ultima ratio de sa conception politique.
Quelqu’un de tel n’avait pas le droit à la vie en Allemagne.
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