Dans la série « Bouquin de classe », voici une autre Kro sérieuse et pas marrante pour 2 sous.
Mais je vous rassure, la suivante sera plus fun, je vous ferais une Kro BATO.
Paola Tabet (2004) La grande arnaque, Sexualité des femmes et échange économico-sexuel, L’’Harmattan
Bon, quand même, et avant de tomber dans le sérieux :
Un site de gadgets idiots et probablement bidon
Un site pour vous apprendre à faire un créneau :
et enfin des nouvelles de Génération Précaire :
Le mouvement génération précaire est né d’un appel à la grève spontané et diffusé sur internet début septembre 2005, destiné à dénoncer une situation intolérable : l’existence d’un véritable sous-salariat toujours disponible, sans cesse renouvelé et sans aucun droit. A la suite de cet appel s’est tissé un réseau de stagiaires, présents ex ou futurs, ayant en commun d’être révoltés face au constat qu’il est aujourd’hui possible et légal d’enchaîner des stages non-payés ou sous-payés malgré une formation souvent pointue et renforcée par de nombreuses expériences. [
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Nos revendications sont simples : que le stagiaire bénéficie d’un véritable statut intégré dans le droit du travail. Ce statut doit comprendre une rémunération minimum, progressive et sur laquelle seront prélevées toutes les cotisations sociales en vigueur. Les conflits du travail nés dans le cadre d’un stage doivent également relever de la compétence des Prud’hommes.
Voilà, je vous laisse avec Paola Tabet :
Paola Tabet (2004) La grande arnaque, Sexualité des femmes et échange économico-sexuel, L’Harmattan
Qu’est-ce qui fait d’une femme une putain ? qu’est-ce qu’on entend par prostitution ? Et qu’est-ce qui se cache derrière l’opprobre ? Ce livre est ce que j’ai lu de plus intelligent sur la question et se situe au-delà des débats souvent stériles entre abolitionnistes et régulationistes. (on laissera tomber les arguments naturalistes du type : « puisque c’est le plus vieux métier du monde, c’est qu’il est indispensable ». Le fait qu’une situation ait toujours existé ne signifie pas qu’elle est bonne). Si ces débats sont la plupart du temps des dialogues de sourds (et de sourdes), c’est principalement parce qu’ils aboutissent à résolutions indécidables : « la prostitution par son principe même asservie les femmes » vs « la prostituions est un moyen et parfois le seul, pour certaines femmes d’accéder à une forme de liberté ». Et quand on échauffe les esprits, on en arrive à opposer : « on ne peut acheter un vagin » vs « la libération de la sexualité des femmes passe par une sexualité marchande, si elles l’ont choisie ». Bref, on ne s’en sort jamais. L’impasse vient du fait que la question de départ est mal posée : avant de savoir si on est pour ou contre la prostitution, il faut d’abord se demander ce qu’est la prostitution.
Malgré les apparences, c’est loin d’être une question simple. On aurait tendance à répondre : la prostitution, c’est un rapport sexuel rétribué. Seulement, on se rend compte que cette définition est loin d’être satisfaisante. En effet, qu’appelle-t-on une pute dans le langage courant ? Une femme qui couche avec plusieurs hommes à la fois, une femme qui aime séduire, une femme qui gère sa sexualité comme elle l’entend. L’argent n’entre pas en ligne de compte. « Toutes des salopes sauf ma mère » montre bien que les femmes sont toutes des putains potentielles. Ce qui peut éventuellement les sauver, c’est la maternité (dans le mariage, bien sûr). C’est encore une fois une manière de faire passer pour un fait de nature le produit d’un rapport social. Le « whore Stigmata », le marquage (infâmant) de pute est un moyen sûr de maintenir les femmes dans le droit chemin de la morale.
Si l’argent n’est pas nécessaire pour définir ce qu’est une putain, il n’est pas non plus une condition suffisante. Dans de très nombreuses sociétés, africaines ou asiatiques, les rapports sexuels avec les femmes impliquent une rétribution, en cadeau ou en argent. L’opprobre ne va pas à la femme qui échange des rapports sexuels contre un cadeau, mais à l’amant qui entretiendrait des rapports avec une femme sans rien lui donner en échange. Ou encore à la femme qui aurait des rapports sexuels gratuits avec les hommes qu’elle choisirait pour le plaisir.
Il existe par exemple dans certaines régions d’Afrique des formes de mariage, limité dans le temps, où on définit dans un contrat les attentes et devoirs des deux parties. Les femmes échangent un travail domestique et sexuel contre de l’argent, pendant une durée fixe. Les enfants nés durant ce mariage sont sous la dépendance financière du mari et appartiennent à sa lignée. Si l’homme ne paie pas ce qui est stipulé dans le contrat, la femme est légitimement en droit de protester. Ce type de mariage n’est pas considéré comme de la prostitution.
Finalement, on nommera putain :
– la femme qui fait un usage incorrect de sa sexualité, en dehors des règles d’échange et de morale de sa société
– l’usage incorrecte des femmes par les hommes (sans que les femmes n’aient à donner leur avis) : les femmes violées collectivement et marquées à vie par le déshonneur, les femmes volées et utilisées comme esclaves à des fins sexuelles, bref, les femmes retirées de force des règles d’échange
Ainsi, nous avons une différence entre les femmes « bien » qui exercent ou subissent un usage légitime de leur corps, et les mauvaises femmes qui exercent ou subissent un usage incorrect et qu’il s’agit de stigmatiser, afin d’inciter les femmes bien à le rester.
C’est pourquoi plutôt que de parler de prostitution, Paola Tabet nous parlera des échanges économico-sexuels.
Venons-en maintenant strictement aux femmes qu’on considère comme prostituées. Peut-on considéré la prostitution comme une subversion, un instrument de libération de la sexualité des femmes ? Là encore, il faut répondre prudemment et prendre en considération les diverses facettes de la prostitution. Néanmoins et en avant-propos, il vaut se souvenir qu’il s’agit d’un travail « de femmes », qui, quelque soit le pouvoir de négociation des prostituées, engage avant tout et exclusivement leur corps, un travail lié de manière fondamentale aux rapports sociaux de sexe : c’est-à-dire le défaut d’accès des femmes aux ressources, outils et moyens de production : le roc solide de la domination masculine.
Paola Tabet raconte les trajectoires de plusieurs femmes africaines, par exemple les Malayas (prostituées) de Nairobi ou de Niamey. Certaines mènent une vie plutôt favorable. Elles obtiennent une vraie liberté financière, ouvrent des boutiques, font construire des maisons. Au matin, elles se retrouvent toutes ensemble pour manger et discutent en riant de leurs aventures de la nuit. Pour autant, elles vivent une vie dangereuse, victimes de vol, de viol, d’extorsion ou de persécutions policières.
Elles sont souvent venues à la ville pour fuir une situation familiale insupportable : contraintes au mariage par leurs familles, ramenées de force à leur mari si elles se sauvent, contraintes dans certaine tribus de se soumettre à des rapports sexuels avec les amis ou la famille de leur mari ou les hommes avec lesquels il est en relation d’affaire. Elles sont tenues en plus de s’occuper de l’entretien domestique, de l’approvisionnement en bois, eau, nourriture, etc. Leurs enfants ne leur appartiennent pas mais sont rattachées à la famille de leur mari. Enfin, la vie de femme mariée inclut la plupart du temps des coups, absolument inévitable car « on ne peut pas empêcher un homme de taper ». Les Malaya travaillent pour elles seules et font des enfants pour elles seules.
Prenons à titre d’exemple l’histoire de Kadidjatou, une Malaya de Niamey. Elle raconte comment tout d’abord elle a été contrainte au mariage par le viol. Après s’être enfui plusieurs fois de chez son mari et toujours ramenée, elle a fini par fuir à la ville où elle a trouvé refuge chez une vielle dame. Celle-ci lui a expliqué qu’elle pouvait rester à condition d’avoir des rapports avec les hommes. Finalement, cette femme l’a contrainte à la prostitution également par le viol, puis elle s’est « habituée ». Par la suite, elle a fait des allers-retours entre situation de mariage et prostitution. Mais elle en conclue que la vie de Malaya est celle qu’elle préfère, car au moins, elle retire un bénéfice des rapports qu’elle a avec les hommes et qu’elle n’est pas obligée de travailler toute la journée pour un mari qui la frappe.
Bien sûr, on peut se demander s’il s’agit de choix mais plutôt de l’absence de vraie alternative. C’est la quête d’une solution de vie la plus vivable ou la moins intolérable. En définitive, ce choix de prostitution n’est une libération ou une subversion que dans ce contexte particulier d’une situation d’oppression domestique intenable.
Ce contexte est à rapprocher des interviews de prostituées américaines victime d’inceste : « La première fois que j’ai levé un client, c’était la première fois que j’ai eu l’impression de contrôler ma sexualité » dit l’une d’elle. Là encore, si la prostitution a un parfum de libération ou de révolte, il faut bien comprendre que c’est en regard d’une situation personnelle intenable. Là encore, dans quelle mesure peut-on dire qu’il s’agit d’un choix ? C’est plutôt la seule option qu’on leur laisse et qui leur permet de continuer à vivre.
C’est là qu’on en vient au titre du livre : la grande arnaque. Comment le plus pauvre des hommes peut-il toujours se payer le service de la femme la plus pauvre
alors que la femme la plus pauvre non seulement ne peut s’offrir un service sexuel mais n’a même pas le droit à sa propre sexualité.
Les femmes sont faites pour avoir des enfants, les femmes n’ont que leur sexe pour vivre, les femmes ont leur terre entre les jambes
Il est donc normal qu’elles dépendent des hommes. Ainsi, dans un tour de passe-passe, tout le travail domestique des femmes est accaparé et rendu invisible. Ce qu’on occulte également, c’est l’expropriation des femmes des ressources et moyens de production. Et par un renversement idéologique de la réalité, la domination masculine devient un fait de nature. On fait alors croire aux femmes que leur seule richesse est leur sexe et en même temps, on leur confisque leur sexualité en les privant de leur droit au plaisir et au désir. Une double tricherie se profile derrière les rapports de sexe qui donnent aux hommes dans chaque société le pouvoir juridique, économique et politique.