Aujourd’hui, un livre au titre un poil racoleur 🙂 qui me permet de vous parler de l’étrange population de clodos de Genève.
Le festival de la couille et autres histoires vraies de Chuck Palahniuk
J’ai déjà lu dans le métro des livres dont le titre pouvait faire sursauter mes voisins, je pense par exemple aux “Monologues du vagin”, mais il n’avait rien produit de particulier. Voici ce qui s’est produit avec le festival de la couille.
J’ai longtemps pensé que “les clochards célestes” existaient surtout dans les romans de Kérouac, surtout dans les années 50. Aujourd’hui, les clochards que l’on voit dans les rues n’ont rien de céleste et seuls les gens qui cherchent à se donner bonne conscience ou les incurables optimistes qui pensent que le monde n’est pas si mal, croient au mythe du clochard “par choix”.
A Genève, il y a une population errante un peu particulière qui m’a fait révisé mon jugement. Il y a tout d’abord la population des “jeunes punks à chiens”, ou “Touristes grunges”, on les voit surtout l’été mais aussi un peu l’hiver.
Fugueurs, rebelles, jeunes à la frontière de la marginalité, accompagnés de chiens pour se protéger, ils traversent un peu l’Europe comme les oiseaux migrateurs, faisant des petits boulots, mendiant sur un air de musique, vendant des babioles artisanales, jouant avec un diabolo, fumant des joints. Je ne prétendrais certainement pas que ce mode de vie est totalement choisie et assumée, peut être plutôt que c’est un choix par défaut envers une vie plus conventionnelle qui les as cassés ou déçus. Mais il n’ont pas grands choses en commun avec les clochards des grandes villes.
Et puis, dans le bus qui me ramenait chez moi, alors que je lisais le Festival de la couille, monte un gars, déjà pas mal parti sur l’alcool fort (il avait sa flasque à la main) qui se met à nous raconter sa vie. Bien habillé (veste en mouton retourné mode grand froid), il nous raconte qu’il dort dehors depuis qu’il a plaqué sa nana parce qu’elle était trop bête. Il me demande ce que je lis. Je lui montre. Mais sans ses lunettes, il ne voit rien. Il les sort et le temps qu’il arrive à les mettre, il nous raconte les voyages qu’il a fait, les musiques qu’il écoute, les choses qu’il aime, en conversant avec une fille du bus qui le relance régulièrement. Visiblement, il a de la culture, il a fait des études, il a lu et il a baroudé… tout cela sonne plutôt juste.
Il finit par réussir à mettre ses lunettes et ne lâche pas l’affaire : il regarde le titre de mon livre. Alors qu’il était si content de voir une femme qui lisait dans le bus (contrairement à son ex qui était si sotte…), il est alors profondément déçu de ce qu’il voit.
Aussitôt, mes voisins de bus, qui suivaient l’affaire, me demande ce que je lis… Je leur dis le titre à voix haute, ce qui m’a valu des applaudissements.
Le festival de la couille et autres histoires de Chuck Palahniuk
Le festival de la couille est le titre d’un des textes de ce recueil (on se demande pourquoi l’éditeur a choisi celui là, tiens…)
Ce livre compile une série d’articles regroupés en 3 parties.
La première partie raconte des manières particulières d’être ensemble, en particulier des manières de socialité masculine. En effet, comment être ensemble, quand on ne sait pas se parler, partager, se confier, se faire confiance et quand finalement, ce qu’on sait faire le mieux, c’est se défier et se combattre ?
Comment créer du lien dans des combats de moissonneuses-batteuses ? Comment détruire son corps et sa santé en pratiquant la lutte, ou le culturisme, mais pour le plaisir de se sentir un “sur-mâle” dans le regard de ses comparses, pour créer des liens parce qu’on souffre ensemble ou qu’on affronte le danger ensemble.
Dans ces tableaux d’homo-socialité, il y a deux choses qu’on ne trouve jamais : le sexisme, d’une part : s’il s’agit de trouver des moyens d’exprimer sa virilité ou de se retrouver entre hommes, il n’est pas nécessaire de passer pour cela par le mépris des femmes. D’autre part : l’homosexualité. Comme le dit Palahniuk dans le texte sur la vie dans les sous-marins à propos de l’homosexualité, ce sont les éléphants invisibles. Si ce n’est jamais le sujet des textes, c’est aussi parce que Palahniuk respecte avec des scrupules de sociologue la parole des personnes qu’il interroge, sans prétendre ensuite l’analyser ou l’interpréter. Et c’est ce qui donne un caractère unique à ce livre.
La deuxième partie du livre, ce sont des portraits de personnalités… disons un peu étrange, comme Marilyn Manson. A chaque fois, c’est un angle d’attaque original qui nous permet d’entrer dans une mini-tranche biographique.
La dernière partie, ce sont plutôt des manières d’être seuls, disons des manières qu’il a eu d’être seul, avec par exemple, plusieurs réflexions autour de la célébrité que lui a apporté “Fight club” (il est l’auteur du livre). C’est une partie dont j’ai apprécié le recul ou la dérision. Il y aussi un texte étonnant où il explique qu’il s’est promené avec une amie, tout deux déguisés en animal : on constate alors qu’ils deviennent des non-personnes, ils peuvent prendre alors des coups de pieds de la part de gamins, des pierres, une étonnante agressivité…
Au final, c’est un recueil de textes étonnants, ce n’est pas une lecture agréable ou facile, plutôt curieuse ou dérangeante, avec un style maîtrisé et de grande qualité. Je dirais que ce n’est pas un livre du type qu’on ne peut pas lâcher ou qui passionne ou enchante. Mais plutôt un livre dont on se souvient longtemps et qui font regarder ou réfléchir différemment.