Pendant les vacances, on en profite pour faire ce qu’on ne fait pas d’habitude. Moi, c’est les mots fléchés de Femme actuelle, mais seulement quand je suis à la mer.
Je me suis motivée aussi pour lire des livres de classe. En effet, dans l’année, je lis surtout des articles et assez peu de livres. Les articles, c’est pratique, directement utilisables, mais ça ne laisse pas vraiment la possibilité à l’auteur-e de développer sa pensée.
Les ouvrages collectifs, c’est cool, aussi, mais les éditeurs sont souvent réticents pour les faire publier, alors que c’est plutôt intéressants.
Bref, ma bonne résolution des vacances et de lire des livres de classe et de faire des kro de ceux lus dans l’année.
Pour commencer :
Fassa, Farinaz et Kradolfer, Sabine (eds). (2010) Le plafond de fer de l’université, femmes et carrières, Zurich, Editions Seismo
Texte préalablement paru dans le Bulletin de l’ANEF en 2011
Pourquoi les femmes n’ont-elles pas « l’étoffe du chercheur », pour reprendre l’expression qu’utilisera Isabelle Stengers dans l’introduction de ce livre ? Parce que cette étoffe a été tissée pour confectionner des costumes d’hommes. Que l’on parle du plafond de verre, du plancher qui colle ou encore que l’on utilise la métaphore du tuyau percé, on est forcé de constater qu’il existe un ensemble de phénomènes pernicieux qui bloquent l’ascension des femmes tout au long de la carrière académique. D’autant plus pernicieux que l’Université, encore plus que l’entreprise, est supposée fonder ses recrutements sur le seul mérite et sur l’excellence des candidat-e-s. Les contributions de cet ouvrage prouvent qu’il n’en est rien.
Les deux premières contributions font un lien entre l’Université et d’autres univers professionnels. Magdalena Rosende compare la profession d’enseignant-e chercheur-e avec d’autres professions hautement qualifiées. Dans les deux cas, ces environnements ont donné naissance à des modèles androcentrés. Si les universités tentent bien de tenir compte du sexe, elles restent aveugles au genre et ce sont des critères masculins qui sont signe d’excellence. La contribution de Margarita Sanchez-Mazas et de Annalisa Casini éclaire d’un point de vue psychosocial la question de l’articulation famille / travail. Le monde professionnel des universitaires ressemble au monde de la banque, où on constate aussi une nette disparition des femmes au sommet. Dans ces deux métiers, les avantages de la flexibilité du temps de travail, dont ont dispose à haut niveau, disparaissent finalement face aux impératifs de performance.
La deuxième partie de l’ouvrage est constituée d’analyses de cas issues des institutions françaises et suisses. Elles montrent qu’il ne s’agit pas seulement d’un tuyau percé (une fuite régulière des femmes tout au long du parcours académique) mais plutôt que le tuyau « a été troué de telle manière que l’ordre sexué sur lequel s’est construit l’Alma Mater persiste » p. 19.
L’article de l’équipe « Reunil » qui a travaillé sur la situation à l’Université de Lausanne montre que l’explication la plus fréquemment citée par les autorités académiques pour expliquer la faible représentation des femmes dans le corps professoral, à savoir le manque de femmes qualifiées dans le vivier, sert surtout à dédouaner l’université de ses responsabilités en terme de promotion de l’égalité.
Edmée Ollagnier revient pour sa part sur la question de l’articulation famille / travail, telle qu’elle est vécue par les étudiant-e-s, en particulier les doctorant-e-s. On retrouve les effets de la socialisation différenciée qui remet entre les mains des femmes la gestion de la sphère privée. Le chapitre suivant, rédigé par Regula Leemann, Stefan Boes et Sandra Da Rin s’intéresse aux étudiant-e-s post-doctoral-e-s. Il montre que les femmes sont moins souvent soutenues que les hommes dans leur ascension, dans le sens où elles ne semblent pas constituer une relève aussi prometteuse qu’eux, en particulier parce qu’elles sont supposées être moins disponibles pour la Science et trop impliquées dans les tâches domestiques. Carine Carvalho en arrive aux mêmes conclusions quant aux nominations sur les postes professoraux : une même qualité peut produire des appréciations très différentes selon le sexe du/de la candidat-e (minoration sur les candidatures féminines, maximisation sur les candidatures masculines).
Une contribution de Catherine Marry conclut cette partie. Elle se penche sur les sommets de la hiérarchie au CNRS et à l’INRIA où on privilégie les trajectoires rapides et rectilignes et où on pratique la co-optation du même. Ainsi on entrave de manière invisible les femmes et aussi les hommes issus de milieux sociaux moins favorisés.
La dernière partie du livre est constituée de témoignages qui relatent des « parcours de combattantes » p. 21.
L’ouvrage se conclut par un texte de Nicky Lefeuvre qui inscrit les différentes contributions dans les débats actuels sur la place des femmes dans les universités. Enfin, les éditrices rappellent que les critères genrés de l’excellence ne sont « ni a-historiques, ni intangibles et peuvent être changés, comme peut l’être l’attribution sexuée des qualités et des tâches. » p.22
Voici un ouvrage peu rassurant pour celles qui s’engagent sur le parcours académique mais qui peut leur permettre de comprendre que leur échec ou moindre réussite n’est pas toujours lié à des carences personnelles.