Sigolène Couchot-Schiex (2019). Du genre en éducation. Pour des clés de compréhension d’une structure du social. Paris : L’Harmattan
Ce livre est la publication de l’Habilitation à diriger les recherches de Sigolène Couchot-Schiex, professeure agrégée d’EPS et maîtresse de conférences en sciences de l’éducation à l’université Paris-Est Créteil. Le but de l’autrice est de décortiquer comment le genre est à l’œuvre dans ce que Farinaz Fassa (2016) appelle le système éducation-formation (SEF).
Vous allez vite le comprendre, ce livre est plutôt pour un public d’universitaire averti-es sur les questions genre.
En éducation, des ouvrages fondateurs de ce que l’on nomme aujourd’hui les études genre paraissent dans les années 1990. En travaillant avec des analyses fines autour des rapports sociaux de sexe, les travaux rendaient compte de la façon dont le système éducatif français – malgré́ les principes d’égalité qui l’animaient, du moins dans les textes – discrimine les filles et les femmes (Kandel, 1975) et les prépare pour des rôles sociaux distincts (Duru-Bellat, 1994). Mosconi interroge les effets de la mixité́ scolaire et crée le concept de « rapport sociosexué au savoir » (1994) : tous les individus ont le droit d’acquérir tous les types de savoir, mais selon sa classe sociale et sa catégorie de sexe, certains savoirs sont considérés comme tabous ou infamants, naturels ou transgressifs.
Cet ouvrage est original pour deux raisons. Tout d’abord, Sigolène Couchot-Schiex ajoute une brique à cette histoire du concept en éducation en accrochant les différentes vagues du féminisme à l’évolution des recherches. Elle montrecomment les chercheuses (et quelques chercheurs) féministes ont fait bouger leur positionnement scientifique à mesure que le concept de genre devenait non seulement une catégorie d’analyse utile (Scott, 1988) mais aussi un concept opératoire pour transformer la didactique.
Telle est d’ailleurs la deuxième originalité de l’ouvrage : c’est un vrai travail sur le genre et la didactique générale, association peu commune, au sens où la plupart des travaux qui traitent d’éducation s’intéressent de manière transversale à la pédagogie, ou alors (quoique plus rarement) se centrent sur une didactique spécifique (l’histoire, l’EPS, les maths…)
Puisque les travaux de Couchot-Schiex ont d’abord pris l’EPS pour objet, elle consacre tout un chapitre sur les questions d’EPS et de didactique, pour ensuite tirer des considérations de didactique générale. L’entrée par l’EPS a d’autant plus de sens que c’est bien cette discipline (avec l’histoire) qui a pris très tôt conscience des effets du genre sur les apprentissages et a commencé à proposer d’autres modèles didactiques pour les enseignant·es.
Couchot-Schiex détaille les deux approches épistémiques qui cohabitent actuellement dans la recherche française. Celle poursuivie par Ingrid Verscheure et Chantal Amade-Escot s’insère dans la théorie de l’action conjointe en didactique de l’EPS et contribue à l’émergence de constats de la fabrication différentielle des apprentissages des élèves. L’autre, développée par Sigolène Couchot-Schiex et Michelle Coltice, « s’appuie sur un regard anthro-socio-didactique et considère que le genre, préexistant à toute situation sociale, est un saturateur du milieu didactique qui influence les représentations individuelles et collectives, amène les élèves à aborder cette discipline à partir de comportements socio-sexués incorporés qui influencent leurs expériences. » p. 73.
Ces deux approches ont introduit le genre comme cadre d’analyse du milieu didactique. Elles posent toutes deux la question du sens pour les apprentissages des élèves en cherchant à mieux comprendre comment interfèrent le genre et le milieu didactique et à réduire les inégalités sexuées. Dans la première orientation, certains paramètres didactiques sont lus au prisme du genre. Les élèves adoptent un positionnement de genre (éventuellement indépendamment de leur catégorie de sexe) et c’est sur ce positionnement qu’il faut travailler pour réduire les inégalités. Dans la deuxième approche, le genre sature le milieu didactique : il préexiste à la situation didactique elle-même : réduire les inégalités, c’est questionner toute la situation didactique, mais aussi le contexte de sa production.
Dans les chapitres suivants, Couchot-Schiex va présenter ses trois objets d’études qui lui permettront d’illustrer le « paradigme du genre » (p.105) en éducation : l’intervention en EPS, la formation des enseignants, et les cyberviolences en milieu scolaire.
Dans le dernier chapitre, se référant aux travaux de Risman (2004), Couchot-Schiex estime que non seulement « le genre peut être conceptualisé comme une structure sociale » (Risman, 2004 : 430), mais aussi « une métastructure, transversale à l’ensemble des autres structures, omniprésente (qu’on le veuille ou non) et préexistante aux autres structures du social. Dans ce sens, le genre, en tant que système, est une métastructure qui sature le social. » p. 135
Cette vision du genre comme métastructure permet de positionner les différentes études portant sur le système éducation-formation dans un schéma général qui prend en considération les évolutions institutionnelles et curriculaires, leurs impacts sur les pratiques enseignantes jusqu’aux interactions en classe.
Duru-Bellat, M. (1994). La « découverte » de la variable sexe et ses implications théoriques dans la sociologie de l’éducation française contemporaine. Nouvelles questions féministes, 15(1), 35-68.
Fassa, F. (2016). Filles et garçons face à la formation. Les défis de l’égalité. Lausanne : Presses polytechniques et universitaires romandes.
Kandel, L. (1975). L’école des femmes et le discours sur les sciences de l’homme. In S. de Beauvoir (dir.), Les femmes s’entêtent (pp. 86-128). Paris : Gallimard.
Mosconi, N. (1994). Femmes et savoir. La société, l’école et la division sexuelle des savoirs. Paris : L’Harmattan.
Risman, B. J. (2004). Gender as a Social Structure: Theory Wrestling with Activism. Gender & Society, 18(4), 429-450.
Scott, J. & Varikas, E. (1988). Genre : une catégorie utile d’analyse historique. Les cahiers du GRIF, 37-38, 125-153.