Tout le monde connait Starmania, opéra rock franco-québécois de Michel Berger et Luc Plamondon créé en 1079. Mon copain dit même que c’est patrimonial. Starmania 2020 a un énorme succès. Il est très fidèle aux versions d’avant, dans les intonations, les types de voix, les arrangements. Tout le monde chantait haut, à la mode des années 80, au point que l’intro m’a fait penser à un test d’audition.
Mais après tout, la plupart des gens qui étaient là connaissaient les versions d’avant et venaient avec une part de nostalgie en espérant les retrouver. Alors, est-ce un problème d’être si fidèle ?
J’ai été bercée par deux éditions de Starmania, la première sans le savoir : ma sœur avait le disque de Fabienne Thibault et je me souviens d’un été, je devais avoir 14 ans, je l’écoutais en boucle à Lyon, sans savoir que beaucoup des chansons du disque venaient du spectacle. Ensuite, le spectacle a été remonté et je l’ai vu à la télé en 1990. À ce moment, j’écoute beaucoup les 2 CD au point que je connais presque toutes les chansons par cœur. En 2022, Starmania ressort encore une fois. J’hésite, je regarde le prix des places, je renonce puis, voilà quelques semaines, je vois qu’il passe à Lyon, je prends deux places.
Starmania, c’est l’histoire de Johnny Rockfort, zonard un peu benêt qui veut juste foutre la merde. Il est récupéré par Sadia qui veut donner au mouvement une dimension politique et baptise son groupe « Les étoiles noires ». Sadia est étudiante issue d’une bonne famille devenue révolutionnaire. Elle est là pour incarner la bande à Baader ou les brigades rouges, on est à la fin des années 70. Détail remarquable, Sadia est un travesti. Aujourd’hui, on dirait une femme trans et sa rébellion contre ses origines peut être expliquée non seulement par des questions de classe, mais aussi par des questions de genre.
Starmania, c’est une émission télé animée par Cristal, jolie présentatrice avide de scoops qui peut faire de vous la star d’un jour.
La narratrice de l’histoire, c’est une fille banale, la seule qui ne rêve pas d’être une star, la « serveuse automate » qui travaille dans un bar minable dans la ville souterraine de Monopolis, qui aimerait « juste envie d’être bien », mais n’a plus d’espoir que sa vie s’arrange.
Elle est amoureuse de Ziggy jeune homosexuel qui rêve de passer à Starmania. Il faut reconnaitre une vision datée de l’homosexualité (la faute à maman). Mais replacez vous dans les années 80, c’est à peine les années SIDA.
Du côté du pouvoir, il y a Zéro Janvier, constructeur de gratte-ciel, homme très riche, qui se lance en politique pour devenir Président de l’occident. Son programme est raciste, démagogique, ultralibéral, climaticide et sécuritaire, avec une nette envie d’état totalitaire. C’est Trump, avant la date, l’élégance en plus.
Pour booster sa carrière, il s’acoquine avec Stella, ancien sex-symbol qui va devoir trouver une solution pour rester sur le devant de la scène, puisqu’elle n’est plus assez jeune pour les fantasmes des hommes.
Il y a quelque chose que je n’arrive pas à qualifier avec Starmania. Je ne sais pas si c’était visionnaire dans les années 80 ou si ces années avaient déjà clairement en puissance ce qui est dénoncé. Parce que même si c’est une « comédie musicale », même si c’est un divertissement familial, il y a une critique sociale très actuelle dans Starmania. Certes, les personnages ne sont pas fouillés et l’histoire est simple, mais c’est peut-être justement pour cela qu’elle peut durer.
Cette version post-2020 a même l’avantage d’être moins mièvre et plus violente que la version des années 90 qui avait été un peu édulcorée. Les étoiles noires de la version des années 90 avaient l’air de gentils rebelles propres sur eux, ça ne collait pas.
Dans Starmania 2020, les étoiles noires se promènent avec des mitraillettes et dans les scènes sombres où on devine leurs exactions au début, on se rend compte qu’ils violent, agressent et tuent.
Michel Berger voulait raconter l’histoire de Patricia Hearst, fille d’un magnat de la presse, enlevée à 19 ans par un groupe d’extrême gauche des années 70, violée par ses agresseurs et qui rejoint ensuite le groupe, en participant avec eux à des attaques à main armée.
Patricia Hearst, c’est Cristal, la jolie présentatrice enlevée par les étoiles noires. La version de 90 dit qu’elle s’est enfuie avec eux. La version de 2020 est plus ambiguë à ce sujet, on ne sait pas trop si les scènes d’enlèvement sont une mise en scène organisée par Cristal ou si son enlèvement est violent. Elle va tomber amoureuse de Johny et sera même plus déterminée que lui à faire la révolution. Avec l’histoire de Patricia Hearst en arrière-plan, on comprend l’ambiguïté.
Starmania est une histoire sombre où personne ne peut être sauvé et encore plus dans la version 2024. Zéro Janvier est élu. Son opposant était un gourou d’opérette qui prêche un discours écolo pop tout en organisant des orgies à son profit. Il semble plus soucieux de la planète et des humains dans son discours, mais probablement parce qu’il occupe le créneau disponible.
Dans le sillage de son pouvoir qui corrompt, Zéro Janvier entraine les âmes pures, comme Ziggy, ou celle qui aurait voulu se racheter comme Stella.
La mise en scène 2020 est très sombre, trop par moment, surtout dans la première partie, mais cela fait contraste avec des shows de lumière impressionnant. Les chanteurs acteurs sont vraiment bons. Alex Montembault notamment qui joue la serveuse automate est excellente.
La fin de Starmania 2020 est différente, plus terrible que les versions précédentes et recrée un tableau qui rappelle les images du 11 septembre.
Je suis donc vraiment contente d’avoir enfin pu voir Starmania, et je me demande ce qu’en pense quelqu’un qui n’aurait jamais entendu les chansons.