Jacques Rancière : Le maître ignorant Le Maître ignorant est un livre de philosophie de l’éducation un peu démodé et davantage en vogue dans les années 70, qui pose la question politique fondamentale de l’égalité en éducation. Comme c’est une question qui m’intéresse et que ce livre a quand même inspiré de nombreuses pédagogies (et un certain nombre de mes enseignants de Nanterre), j’ai eu la curiosité de le lire. Je le qualifierais de livre de pédagogie anarchiste (au même titre que Feyerabend écrit Contre la Méthode, de l’épistémologie anarchiste). C’est aussi un livre de philosophie, et non de didactique ou de sociologie, c’est-à-dire qu’il n’a pas besoin de prouver et valider l’efficacité de sa méthode pédagogique pour l’affirmer. Ou du moins, affirmer ses principes. Et enfin, c’est un pamphlet contre l’éducation classique si éclairée soit-elle, et en tant que pamphlet, il manque sérieusement de nuances. Tout cela mis à part, il y a un principe de base dans le Maître ignorant qu’il est fondamental de considérer quand on s’intéresse à la pédagogie de l’égalité. Rancière nous raconte tout d’abord l’histoire de Jacotot, professeur exilé à Louvain à la fin du XIXe et devant enseigner à des élèves néerlandophones alors qu’il est francophone. Il choisit alors une édition bilingue du Télémaque de Fénelon. Aparté: je dois à ma mère d’avoir lu Télémaque. Je pense que plus personne ne lit Télémaque, or c’est un livre qui en dit plus sur la conception de l’éducation de « l’honnête homme », l’Homme des Lumières que toute explication… C’est un Livre didactique écrit pour l’éducation des enfants royaux sous le règne de Louis XIV (et critiquant en sous main son règne absolu). uggs pas cher en ligne Ce n’est pas un hasard que ce livre soit choisi par Jacotot, comme le livre pédagogique ultime. Timberland FR Jacotot, ne pouvant expliquer quoique ce soit en français ou en flamand, demande aux étudiants d’étudier le texte et sa traduction. Sans explications de la part du maître, les étudiants se révèlent, à force de relecture et de répétitions, capables ensuite de raconter en français l’histoire. basket timberland Jacotot produit ensuite les bases de ses nouveaux principes pédagogiques :
- Toutes les intelligences sont égales ;
- Qui veut peut ;
- On peut enseigner ce qu’on ignore ;
- Tout est dans tout avec pour corollaire pratique : sachez une chose et rapportez-y tout le reste ;
- On ne retient que ce qu’on répète ;
- Apprenez un livre et rapportez-y tous les autres ;
- Chacun peut s’instruire tout seul
Bon, évidemment, tout enseignant sérieux pousse des cris. Tout d’abord, ce n’est pas avec une méthode comme ça qu’on va boucler le programme. Autrement dit, les exigences en termes de performance d’éducation aujourd’hui condamnent cette méthode au nom de l’efficacité… mais Jacotot nous permet alors de nous interroger sur la pertinence ou la valeur de cette efficacité. Jacques Rancière Remarque suivante : à l’époque de Jacotot, le public estudiantin était trié sur le volet. On était loin de la massification et de 80% d’une classe d’âge au bac. Les jeunes hommes de bonne famille qui se trouvaient devant lui avaient derrière eux un long habitus d’apprenant: ils ne lui balançaient pas le livre à travers la classe en disant « Ouah l’aut’ eh Bouffon ! ». Bref, c’est une loi de base de la pédagogie, avec les bons élèves, tout marche : pédagogie par objectif, pédagogie du contrat, autoformation, cours magistral, cours dialogué… quand on arrose une herbe déjà verte, ben, elle pousse. Ce sont les élèves les plus en difficulté qui sont les plus sensibles au contexte… et ceux-là, Jacotot ne les rencontre pas à Louvain. Néanmoins, il souffle tout de même une idée révolutionnaire et qui mérite qu’on y réfléchisse: on peut enseigner ce qu’on ignore… voire, et c’est là qu’on raccroche sur Rancière : on enseigne mieux ce qu’on ignore, car on n’est pas tenté de l’expliquer et expliquer ne sert à rien. Pire : expliquer vous apprend l’impuissance. Selon Rancière, l’explication divise le monde en deux, le partage entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas. L’explicateur a besoin de l’incapable pour exister et non l’inverse. « C’est l’explicateur qui constitue l’incapable comme tel. Expliquer quelque chose à quelqu’un, c’est d’abord lui démontrer qu’il ne peut pas le comprendre par lui même ». moncler 2018 Pour Rancière, l’explication est le mythe de la pédagogie. Il y a une chose (une connaissance, une dextérité) qu’une personne détient – le maître qui est savant, qui a une intelligence supérieure – et qui le transmet par l’intermédiaire d’une explication à quelqu’un qui ne l’a pas, l’élève, qui a donc une intelligence inférieure. Le maître-explicateur décide de quand l’apprentissage commence (le début de la leçon), ce qui doit être appris et où est l’ignorance. ugg femme A la place, Rancière propose la méthode de la répétition et des « devinettes » dit Rancière, qui serait « le vrai mouvement de l’intelligence humaine, qui prend possession de son propre pouvoir. » Et pire : est-ce que la volonté d’instaurer une pédagogie de l’explication n’est pas un projet politique de transmission de la soumission, et peut être d’accès au pouvoir, mais à condition d’être intronisé ? En somme, l’école ne doit pas tenter de réaliser l’égalité, l’égalité ne serait pas la finalité de l’éducation, mais doit reconnaître son principe déjà-là. L’égalité ne se donne pas et ne se revendique pas, elle se pratique en somme.
Toute la pratique de l’enseignement universel se résume à la question : et toi, qu’est-ce que tu en penses ? Tout son pouvoir est enraciné dans la conscience d’émancipation qu’elle actualise dans le maître et qu’elle suscite dans l’élève.
Le maître-explicateur dévoile des secrets à la vitesse qu’il veut, dans l’ordre qu’il veut, de la manière qu’il juge bonne, vers l’ignorant qui doit les recevoir avec avidité. Le maître-émancipateur questionne « et toi ?… Qu’est-ce que tu vois ? Qu’est-ce que tu en penses ? Qu’est-ce que tu ferais ? ». C’est une conquête de chaque élève sur les savoirs, sur le monde et sur lui-même, quelle que soit sa place dans l’ordre social. Un ouvrier va s’émanciper intellectuellement « s’il pense à ce qu’il est et pas à ce qu’il fait dans l’ordre social » C’est là qu’il sera un sujet, quelqu’un qui pense et qui peut agir en conséquence, mais aussi quelqu’un qui s’interroge et qui peut interroger ceux qui sont supposés savoir et surtout, ceux qui sont supposés savoir et qui, en plus, gouvernent. Je ne crois pas à la méthode de Rancière, mais je crois qu’il pose des questions qui méritent d’être sérieusement réfléchies.