Livre : Le Bot qui murmurait à l’oreille de la vieille dame et autres nouvelles numériques de Serge Abiteboul (en photo)
BD : Intelligences artificielles, Miroirs de nos vies par Fibre Tigre, Eloise Chochois et Arnold Zephir
Livre : Le Bot qui murmurait à l’oreille de la vieille dame et autres nouvelles numériques de Serge Abiteboul
Serge Abiteboul est un informaticien français, chercheur à l’ENS Paris et directeur de recherche à l’Inria. Il milite pour l’enseignement de l’informatique à l’école dès le plus jeune âge et pour la reconquête par les internautes de leurs données personnelles. Accessoirement, c’est quelqu’un de très sympa qui se préoccupe également de parité en informatique.
Dans le but de faire comprendre à tout le monde ce qu’est l’IA, ce qu’elle n’est pas ou pas encore et où elle nous mène, il a écrit ce livre qui intercale des nouvelles brèves et plutôt drôles (mais pas toutes) de science-fiction (souvent futuristes, mais parfois aussi d’un futur proche) suivie d’un débriefing de vulgarisation scientifique sur l’IA : protection des données personnelles, droit à la déconnexion, limites des algorithmes, blockchains et voitures autonomes.
La technique est assez rusée, d’autant plus que les références culturelles de ces nouvelles brèves sont les gens de sa génération (et presque de la mienne) : les références ne sont pas la pop culture geek des mangas, mais la pop culture française classique de M. et Mme tout le monde, depuis Le petit vin blanc qu’on boit sous les tonnelles (beaucoup des titres des nouvelles sont des titres de chanson de la génération de mes parents : Amsterdam, Les Sabots d’Hélène ou qu’as-tu appris à l’école mon fils) au Capitaine Marleau. On reconnait l’inspiration de nouvelles « Âge d’or de la SF » à la Asimov, au service de la vulgarisation scientifique.
Si le point de vue est technophile (on peut faire de belle chose avec l’IA, on peut réellement aidé l’humanité), il est aussi réaliste (non, le Terminator n’est pas pour demain) et lucide (les gens qui stockent nos données ne le font pas pour notre bien).
Outre le fait que Serge Abiteboul fait attention à la mixité de ses personnages (surtout chez les scientifiques), il montre aussi que tout le monde peut interagir avec l’IA, quel que soit son âge (d’où le titre !). Je suis particulièrement sensible à cette question parce que je suis doucement en train de me faire rattraper par l’agisme numérique : c’est-à-dire un stéréotype qui dit que si vous avez des cheveux blancs, votre compétence numérique est restée coincée au minitel.
BD : Intelligences artificielles, Miroirs de nos vies par Fibre Tigre, Eloise Chochois et Arnold Zephir
Dans un futur proche se tient un show télévisé type The Voice. Voilà que l’un-e des gagnant-es s’avère être une IA appelée Yuri… l’IA a-t-elle vraiment pu composer un poème ? Son poème peut-il être considéré comme de l’art alors qu’il n’y a derrière ni intelligence ni « âme »?
Cette BD est également de la vulgarisation scientifique autour de l’IA : les chapitres traitent de différentes dimensions éthiques liées à l’IA en anticipant légèrement les possibilités d’aujourd’hui, dans des proportions plausibles.
On commence par l’IA qui tient des propos sexistes… évidemment, comme elle utilise comme base de connaissance la littérature tombée dans le domaine public, les rapports hommes / femmes n’y sont pas égalitaires. Une fois ce « bug » rectifié, les concepteurs de Yuri sont confrontés d’à d’autres problèmes : une mère qui a perdu son fils leur demande de simuler son fils, à partir de ses mails, sms, chat et autres donnés des réseaux sociaux. Ensuite, des intérêts privés demandent à Yuri de se mêler d’élection…
Derrière ces exemples, on identifie des affaires qui se sont produites : Tay, l’IA de Microsoft qui a chaté avec les internautes et a très rapidement appris à devenir sexiste, raciste et homophobe, le scandale Facebook – Cambridge analytica.
De chapitre en chapitre, on explore les possibilités de l’IA tout en suivant une histoire (celle des concepteurs de Yuri), entremêlée à des explications techniques très claires et bien illustrées du fonctionnement informatique de la question. Le principe est proche d’Abiteboul, mais pas redonnant. Abiteboul propose des nouvelles dans un futur assez lointain, plus divertissantes que plausibles, assorti de commentaires actuels sur l’IA.
Alors que la BD, sous-titrée avec beaucoup d’à-propos : « miroir de nos vies » montre comment l’IA est déjà un formidable amplificateur de notre société, et en particulier sur des dimensions de notre société dont nous ne sommes pas fières.