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Tenet par Christopher Nolan avec John David Washington et Robert Pattinson

Au coeur de la complosphère suisse par Sami Zaïbi, Heidi News

Tenet par Christopher Nolan avec John David Washington, Kenneth Branagh et Robert Pattinson

Un espion américain, qu’on identifiera sous le nom du Protagoniste (Y a-t-il un lien avec Hiro Protagoniste de Stephenson ?) se retrouve en charge d’arrêter la troisième guerre mondiale. Celle-ci a déjà eu lieu dans le futur et utilise d’une manière ou d’une autre une curieuse technologie à inversion du temps. L’idée est qu’on altère l’entropie de l’objet de sorte qu’on inverse sa ligne de temps. La balle inversée déjà tirée revient dans le chargeur. L’objet que vous avez l’intention de lâcher vous revient dans la main.

On retrouve dans Tenet tout le plaisir qu’à Nolan à jouer avec les scénarios qui bouclent. Je trouve ce film finalement très proche de l’esprit de Mémento, au niveau du scénario. Nolan joue avec les lois de la physique quantique et imagine qu’il peut les appliquer, comme dans Interstellar. Et si on pouvait faire marcher la physique quantique, ça donnerait quoi ? Des lignes temporelles à l’endroit et à l’envers… Et donc un film qui se voit dans les 2 sens, des scènes qu’on voit une première fois à l’endroit et qu’on va revoir à l’envers, depuis une autre ligne temporelle. Il y a évidemment de l’exercice de style dans ce scénario. Ajouter à cela qu’il s’amuse avec le Carré magique SATOR : carré palindrome donc une des plus vieilles versions a été trouvée à Pompéi… Les mots se lisent à l’envers et à l’endroit… Tout se tient, comme dans le film, bien sûr, parce que c’est Nolan.

Ce film est toutefois moins inspiré, moins labyrinthique et plus confus d’Inception. On ne comprend pas grand-chose à la dernière scène de combat (même si elle est jolie) et elle rappelle la scène dans la neige d’Inception (sauf que dans Tenet, c’est le sable du désert).

L’histoire sentimentale entre le héros et la copine du méchant démarre d’une manière peu crédible. L’inspiration avec la série The Night Manager est nette (d’ailleurs, c’est la même actrice), mais alors que l’actrice avait un vrai rôle dans The Night Manager, elle se fait balader assez inutilement dans Tenet jusqu’à la fin.

À la fin, justement, un meeting dans le désert va nous expliquer le film. C’est bienvenu par certains côtés, mais finalement un peu triché. La technique « Inception » où on comprend le film du premier coup dans ses grandes lignes, mais en le revoyant plusieurs fois on en découvre les finesses était plus satisfaisante.

Finalement, des éléments restent en suspend (comme cette fameuse 3e guerre mondiale), où ce qu’est vraiment TENET… probablement en vue d’un TENET 2.

Au final, un film bien foutu (évidemment), bien tourné (évidemment) avec un premier rôle pas fascinant, mais qui fait le boulot, mais pas un grand Nolan à mon avis.

Au coeur de la complosphère suisse par Sami Zaïbi, Heidi News

Heidi news fait des explorations, c’est-à-dire des séries de quelques chapitres sur un thème. C’est en général très réussi et agréable à lire. La dernière Kroniqué était : Votre cerveau a été piraté. sur les réseaux sociaux.

« Au coeur de la complosphère suisse » commence ainsi : « La pandémie serait planifiée. Le virus n’existerait pas. Combiné à la 5G et au vaccin obligatoire, ce serait un vaste complot visant à tous nous contrôler, pendant que le gouvernement suisse kidnappe des enfants pour alimenter les pédophiles. » Le journaliste a infiltré le monde des complotistes incognito. Après coup, ça a fait des vagues: les groupes infiltrés n’ont pas aimé la méthode et en appellent à la déontologie, leurs fans émettent des attaques racistes envers le correspondant, et bien sûr, des menaces de mort. Quoi qu’il en soit, cette descente parmi les complotistes est fascinante. Ce sont pour la plupart des personnes équilibrées et cohérentes. L’égérie genevoise est prof de maths à l’école secondaire, certains ont été élus d’extrême gauche, d’autres sont informaticiens… ce qui les rassemble, c’est la volonté d’être hors du système, au-dessus, parce qu’ils savent, eux. Et tout s’emboite et s’enchaine : un seul grand complot, c’est simple, avec une seule personne (ou un seul groupe à la tête, préférentiellement des francs-maçons).

On démarre avec le Covid, « une «plandémie», c’est-à-dire une pandémie planifiée » et ensuite, « chaque récit des «éveillés», que ce soit une discussion, une vidéo ou un argumentaire, franchit à un moment ou un autre une sorte de point Godwin à partir duquel le contact avec la réalité est rompu. «Epstein, c’est prouvé que c’est un agent du Mossad. Il a corrompu une grande partie des élites mondiales: Bill Gates, la famille royale d’Angleterre, George Soros, etc. Ce sont des faits! Il y a des réseaux criminels mondiaux! La pauvre Ghislaine Epstein doit être habillée en papier, des slips et des soutiens-gorges en papier pour qu’on ne la retrouve pas suicidée avec des habits autour du cou. Ce sont des faits!» »

À l’origine, on parlait de l’application Swisscovid et du référendum pour la faire interdire (Note:  il n’a pas réussi à recueillir le nombre de signatures requises alors que dans la presse, les délires complotistes des porteurs du référendum avaient été passés sous silence).

Qui sont les complotistes ? ou encore pourquoi le sont-ils ?

« Au final, je classe les complotistes que j’ai rencontrés au fil de mon infiltration en trois catégories. Il y a les endoctrinés profonds, (…), qui croient dur comme fer au complot. Il y a les showmen ou women, qui y croient un peu, mais surtout aiment faire croire. Enfin, il y a les suiveurs« , c’est-à-dire ceux qui ont trouvé une famille parmi les complotistes. Parce que comme le raconte très bien Sami Zaïbi, les complotistes sont très gentils, très soutenants en eux.

Certaines de ces solidarités sont nées sur des ronds-points « Gilets jaunes » : puisqu’on est laissé pour compte, eh bien, on va se regrouper contre les puissants qui nous mentent. Ce qui est remarquable, c’est qu’aucun mouvement politique n’a pu récupérer les gilets jaunes ou les complotistes… sauf une personnalité politique : Trump. Par ses propos incohérents, provocateurs, et prêts à pointer des boucs émissaires « invisibles », il manie la rhétorique complotiste comme personne et ça fonctionne.

Ce qui est paradoxal, c’est que nous n’avons jamais été si bien informés. Parce que des fake news d’état géantes, il y en a eu (le canon irakien et la capsule d’anthrax de Colin Powell) et il était bien plus difficile de les dénoncer ou de les percer à jour à l’époque.

J’ai le sentiment en lisant cette Exploration que les complotistes répondent au même besoin que les sectes, mais sans vrai mysticisme (encore que)… Comme dans le cas des sectes, les gens qui en font partie ne croient pas vraiment à la bouillie mystique de la secte (genre, les extraterrestres des scientologues sortis d’un livre de SF ou le faux document fondateur des rosicruciens). Ils s’en moquent un peu que ce soit vrai ou pas. La secte pratique le « lovebombing » : on vous aime, on vous soutient, on est la pour vous. Et ça suffit.

Même phénomène chez les complotistes : peu importe que ce soit irrationnel. Croire au complot, ce n’est pas forcément très important, ça permet d’abord de faire partie de la famille. Tout le monde n’estime pas que la rationalité, la vérité, la cohérence sont des valeurs fondamentales. On peut tout à fait les subordonner à quelque chose de plus grand, comme exister au sein d’un mouvement qui vous aime et vous fait croire que vous, vous êtes « éveillés »: vous, vous savez, contrairement à tous ces moutons. Et vous pouvez approcher de près votre gourou… parce que chez les leaders des complotistes, il y a, comme le dit Sami Zaïbi des gens qui font le show, qui ont l’oeil collé à leur nombre de vues sur YouTube et qui vivent à travers leur popularité. Ça vaut bien de croire au complot.

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