Les neurosciences en éducation, Emmanuel Sander, Hippolyte Gros, Katarina Gvozdic et Calliste Scheibling-Sève
Editions Retz, 2018
Nous autres, les sociologues, nous nous méfions des neurosciences, déjà parce qu’elles arrivent à obtenir nettement plus de subsides que nous. Mais aussi pour de bonnes raisons : avec les progrès de l’imagerie cérébrale, elle donne du grain à moudre aux scientistes qui pensent que la seule vérité est celle qui se voit à l’image et que tout ce qui n’est pas scientifiquement mesurable avec les paradigmes classiques des sciences naturelles n’est que du bruit. Les neurosciences seraient donc une espèce de « science totale » (comme a pu l’être la psychanalyse à une époque, je sais, je provoque) supposée pouvoir expliquer tout le cerveau, toute la conscience humaine et aussi n’importe quoi. Enfin, les neurosciences dépolitisent le social : il y a 2 ou 3 ans, on a vu surgir des articles de presse qui défendait l’idée que les pauvres étaient pauvres parce que leur cerveau était moins performant. En somme, les inégalités sociales seraient d’abord inégalités cérébrales (et je ne vous parle même pas du cerveau des femmes ou des noirs).
Néanmoins, tous les neuroscientifiques n’ont pas cette vision ultra totalisante de leur discipline. Les chercheur-es qui ont écrit ce livre ont leur bureau au bout de mon couloir. Non seulement ce sont des collègues très agréables, mais ce sont des gens qui vous expliquent comment considérer les neurosciences à leur juste mesure, ce qui rend les résultats avérés d’autant plus intéressants.
Par ailleurs comme Leirnette prévoit de passer à l’ennemi euh, s’inscrit en neuroscience, c’est pas mal que je me renseigne…
Les Neuro-trucs sont à la mode. Mettre neuro devant un terme donne immédiatement l’idée que ça doit être scientifique : neuro économie, neuro marketing, neuro finance… Et si vous passez du temps comme moi à faire des jeux idiots sur tablette ou téléphone, vous voyez passer nombre de jeux prétendument conseillés par les neuroscientifiques pour rajeunir son cerveau. C’est d’ailleurs un beau cas d’école. Un des auteurs, Hippolyte Gros, faisait un cours d’initiation à la recherche sur cette question : il demandait aux étudiant-es si c’était prouvé ou pas… Certes, on trouve nombre d’articles grand public diffusant cette fable (ce qui induisait en erreur les étudiant-es qui s’y référaient)… mais 0 article scientifique la validant.
Évidemment, voir en IRM l’activation du cerveau fait fantasmer. Va-t-on percer les mystères de la pensée ? de l’âme ? de l’intelligence humaine ? Si la neuropsychologie est bien une science établie, le reste est à ranger dans les neuromythes.
Alors, allons-y pour quelques neuro mythes…
C’est le logo de l’équipe de mes collègues. Ça se propose à l’anglaise, comme « idée », mais moi, à chaque fois, j’entends Heidi… Faudra que je leur en parle.
Tout se joue avant 6 ans (ou 4, ou 8, ça dépend). Ça dépend surtout de ce qu’on veut vous vendre. Qu’il est facile (et malhonnête) d’angoisser les parents des classes moyennes en leur assurant que leur enfant sera perdu pour les grandes écoles parce qu’ils ne l’auront pas stimulé assez étant petit. Certes, le stock de neurones se constitue tôt dans la vie de l’enfant, dans les premières années. D’où l’idée de bien le configurer parce que, par la suite, on ne va qu’en perdre. Mais pour le coup, ce sont bien les neurosciences qui viennent contrer ce neuromythe. Le cerveau est plastique, il est comme un muscle que l’on entraine. Les cerveaux des chauffeurs de taxi londoniens se modifient à mesure qu’ils apprennent leur métier, et je suis formelle, tous les chauffeurs de taxis ont plus que 8 ans. Alors tout se joue… tout le temps. Chic, on va pouvoir éduquer les gens tout au long de la vie.
A chacun son style d’apprentissage. Vous avez dû en entendre parler étant gamin-e, ça a été la découverte pédagogie à la monde quand on était petit-e : la mémoire auditive et la mémoire visuelle (et tant mieux si vous aviez les deux). C’était la version simplifiée de la découverte des préférences d’études : certaines personnes retiennent mieux ou ont plus de facilité à apprendre quand le message est passé de manière oral, écrite, ou au moyen d’un apprentissage kinesthésique (lié au corps, au mouvement, etc.). Il y a bien des préférences d’études ce n’est pas ce qui est mis en cause : les élèves sont capables de les identifier et ce sont des préférences qui sont stables dans le temps. Mais est-ce qu’un apprentissage spécifique (uniquement selon votre préférence d’études) est plus rentable ? Autrement dit, est-ce pertinent de proposer uniquement un apprentissage auditif pour les personnes déclarant une mémoire auditive ?
Tout d’abord, il est très difficile de faire un protocole d’enquête solide pour ce genre d’expérience, mais pour les recherches qui s’y sont collées, le résultat est décevant : l’apprentissage n’est pas statistiquement meilleur quand vous apprenez selon votre style préféré uniquement.
Toutefois, la découverte (ou plutôt la mise à plat) de ces différents styles apprentissages a permis de créer des méthodes d’apprentissage adaptées aux styles visuel, auditif et kinesthésique. Et c’est une bonne nouvelle, car l’apprentissage multimodal est finalement celui qui marche le mieux pour tout le monde, et qui provoque un engagement plus net de la part des élèves, plus net que si on ne le propose que leur style d’apprentissage préféré.
Sur ce, je vous laisse avec mes collègues qui vous expliqueront s’il y a ou non 8,5 formes d’intelligence ou si on apprend en dormant. Ce très petit livre, clair, synthétique, simple à lire propose en outre des synthèses à chaque chapitre pour faire le point. J’oserai même dire que c’est un bon livre de neuroscience pour la place.