Kro de livres plutôt déprimants

Ok, c’est malin, après deux mois sans avoir le temps de lire, je m’y remets avec deux livres déprimants. Mais deux livres intéressants dont j’ai envie de parler (et qui n’ont rien à voir l’un avec l’autre !) alors, préparez-vous, voici :

Chien 51 de Laurent Gaudé

Friends, mes amours et cette chose terrible de Matthew Perry

Chien 51 de Laurent Gaudé

Sachez tout d’abord que j’ai appris à me méfier des auteurs classiques qui se mettent soudain à écrire de la SF (idem pour les metteurs en scène classiques qui se mettent soudain à réaliser de la SF). En général, ils ne prennent pas la SF au sérieux. Ils considèrent qu’il s’agit d’un sous-genre (littéraire, cinématographique) et que n’importe qui, qui sait écrire de « vrais » livres ou réaliser de « vrais » films saura faire de la SF. Ce sont des scénars qu’on voit venir de loin. Comme ces personnes n’ont aucune culture SF, les thèmes abordés ont déjà été abordés 1000 fois et sont repris avec la naïveté de celui qui croit les avoir découverts. Et souvent, la SF n’est qu’un prétexte, une toile de fond pour raconter une autre histoire jugée « sérieuse », la SF servant de décor prétexte. Quand on écrit de la SF, tout d’abord, on doit créer un monde avec ses règles du jeu. Ce n’est pas le présent, ce n’est pas un passé historique, c’est un endroit dont on ne peut pas connaître les règles, si on ne nous en fixe pas le cadre. Et on ne peut pas bâcler le monde, on ne peut pas dire : c’est tout pareil que maintenant, sauf que ya ce truc énorme et futuriste qui est pas pareil. Si on a un truc énorme et futuriste, c’est évidemment que le monde autour est différent. Qu’est-ce qui a créé ce truc énorme et futuriste ? Et quelles en sont les conséquences globales sur la société ? Un auteur de SF gère tout son univers et ne se contente pas de faire joujou avec une idée (souvent vaguement métaphysique) dans un univers qu’on bâcle (voire, qui ne tient pas la route).

Bref, tout ça pour vous dire qu’avec Laurent Gaudé, j’étais hyper méfiante. Mais voilà que j’ai découvert avec Chien 51 un vrai roman cyberpunk. Avec un univers correctement décrit et intéressant. Des MegaCorpo rachètent et privatisent des pays endettés. Ainsi, quand la Grèce a fait faillite, elle a été rachetée. Les gens se sont battus et finalement, ils ont perdu. La rébellion a été matée et les gens ont fuit. La Grèce n’existe plus, le Péloponnèse est devenu un territoire pour déchets toxiques. Sous la domination des corpos, les gens sont à la fois des salariés et des citoyens : des cilariés. Leur statut dépend de leur travail, l’endroit où ils habitent dépend de leur statut. Zem Sparak a fuit la Grèce et est devenu un Chien, c’est-à-dire un flic en zone 3, la banlieue crade de Magnapole, là où il n’y a pas de dôme climatique pour protéger des pluies acides et des tempêtes brutales. Un jour, il découvre un corps ouvert en deux. Et comme ce corps, balancé dans une des zones les plus pourries de la zone 3 est en fait un habitant de la zone 2, une flic ambitieuse débarque de la zone 2 pour mener l’enquête.

Alors si je reprends mes préventions ci-dessus, oui, on a des éléments éculés du Thriller : deux flics très différents : le paumé drogué et la brillante ambitieuse, obligés de collaborer, les magouilles politiques face auxquels les flics ne pèsent pas lourds, le chef de la police qui veut des résultats…

On a aussi des éléments classiques du cyberpunk : des castes étanches avec des corpos toutes puissantes, des pauvres gens qui triment et survivent pour que les habitants de la zone 1 puissent vivre dans un luxe indécent. Dans la zone 3, on retrouve le danger, les drogues, la misère, les combines et l’espoir un jour de pouvoir changer de zone. L’enquête n’est pas très originale, mais la description du monde fonctionne bien, avec des personnages crédibles, en particulier le héros, Zem Sparak, qui se drogue pour revoir des images de la Grèce de son enfance et qui n’espère plus rien, qui a perdu fierté et honneur depuis qu’il est un chien en zone 3. Si ce roman est accrocheur, ce n’est donc pas par son intrigue, mais pour son univers déglingué et surtout parce que Laurent Gaudé écrit extrêmement bien. Et ce croisement, entre un style incroyable et une histoire cyberpunk, c’est du jamais vu et ça en vaut la peine.

Friends, mes amours et cette chose terrible de Matthew Perry

Je pense que c’est la première fois que je lis l’autobiographie d’une célébrité. Alors pourquoi celle-là ? Tout d’abord parce que Friends, ça a été une série qui a accompagné de nombreux moments de ma vie. Si je me souviens bien, je regardais Friends quand j’ai perdu les eaux ! Le générique doit être ce que Leirnette a le plus entendu in utero. J’ai amélioré mon anglais avec Friends et Leirnette a appris l’anglais avec. Ce qui est incroyable, c’est que la série marche aussi avec la génération d’après.

Ses thèmes sont tellement intemporels, qu’on se met à lui reprocher son manque d’actualité. En effet, le traitement de l’homosexualité est un peu naïf, même si le pilote débute avec Ross quitté par sa femme pour une autre femme. Et sur ce point, la série évite les clichés : ce couple de femmes qui va élever l’enfant de Ross sera montré de manière positive.

Certes, un bon nombre de remarques sont transphobes. Et il est remarquable de voir que les scénaristes de Friends ont publiquement regretté les remarques transphobes alors que ce que je trouve le plus choquant, en revoyant la série, c’est la grossophobie totalement décomplexée. Visiblement, l’Amérique a plus avancé sur la question trans que sur l’obsession de la minceur.

Revenons à Matthew Perry. Son livre, c’est l’histoire d’un gamin de deux parents qui n’auraient jamais dû faire d’enfant ensemble. Un gamin qui s’est indéfiniment senti abandonné par son père qui l’a planté avec sa mère alors que sa mère était bien trop jeune pour s’en sortir seule. Puis il s’est senti abandonné par sa mère qui a trouvé un job ultra prenant pour faire vivre la famille. Ce manque continuel, ce sentiment de ne jamais être suffisant pour ses parents et finalement pour personne, a créé ce garçon accro à faire des blagues et finalement ce garçon accro tout court. La « chose terrible » du titre, c’est l’addiction et Matthew Perry en parle sans concession : son impuissance à s’empêcher de fumer, de boire et de se droguer, juste pour réussir à se sentir mieux. Son père était un alcoolique qui a su s’arrêter net. Matthew n’a jamais réussi et il s’est détruit autant que possible. Mais ce n’est pas un livre de vengeance envers ses parents : son addiction, c’est la faute à personne, c’est une maladie. Son père et sa mère l’ont par la suite sauvé de nombreuses fois et il leur en est reconnaissant.

C’est très étrange de lire ce livre, quand on a vu Friends (et cet épisode n°3 où Chandler parle de son addiction à la cigarette)… comment il raconte qu’il pouvait être totalement en miette, bafouillant, avalant des tonnes de cachets pour juste fonctionner et  jouer Chandler. C’est étrange, car on voit aussi comment il aime la célébrité, il aurait tout donné pour l’avoir et il a été en effet incroyablement célèbre. La célébrité le fascine : il a un flirt avec Julia Roberts, nettement plus célèbre et plus riche que lui et ça l’émerveillent.

Une autre scène est étonnante : juste avant que le pilote de Friends ne soit diffusé, le producteur les a emmenés à Vegas, en leur disant : amusez-vous, c’est votre dernière sortie anonyme. Après, vous ne pourrez plus passer inaperçus. C’est en effet une situation bizarre et même s’il en fait peut-être un peu trop (ça ne s’est certainement pas fait du jour au lendemain), il est certain qu’il s’est mis à vivre dans un monde où il ne pouvait plus simplement se balader dans la rue de bien des villes du monde : Friends a été un événement mondial. Mais il est clair qu’il aime ça, il aime rencontrer des célébrités, il aime voir l’impact qu’a eu Friends et son personnage. Il aime en faire des tonnes, dans la description de la célébrité comme de l’addiction. Mais aussi il aime les gens : Bruce Willis, Julia Roberts… il ne parle dans son livre que des gens qu’il apprécient.

En lisant l’autobiographie de Matthew Perry, et quand on sait qu’on l’a retrouvé mort un an après, en overdose de kétamine, on se demande si Friends l’a tué ou l’a sauvé. Friends ne lui laissait pas de répit entre les cures de désintoxication : tout devait être vite fait pour qu’il puisse retourner jouer. Son père a même menacé les producteurs de l’empêcher de jouer s’ils continuait à le presser ainsi. Mais il y avait une série à faire, alors les désintox étaient vite faites, mal fait, par des gens qui souvent voyaient les stars comme des poules aux œufs d’or que peut être valait-il mieux ne pas vraiment soigner ? En tout cas, l’incompétence de certains de ces centres apparaît aussi manifeste que cruelle. Mais est-ce que sans Friends, il ne serait pas mort vite fait d’une overdose bien plus jeune, parce que personne ne se serait intéressé à le sauver, notamment lui-même ?

Bref, le livre finit de manière optimiste et pourtant, on a lu tellement de rechutes, qu’on se demande s’il y croit lui-même.

On regarde la couverture, sa photo est superbe, il est séduisant, un regard bleu, un léger sourire, on se demande si c’est le même type dont on vient de lire les multiples facettes de déchéance. Et on sait aussi que ça va se finir dans un jacuzzi en octobre 2023. Alors, ça donne aussi envie de revoir Friends, mais soudain, les scènes avec Chandler, quand on se souvient de l’état dans lequel il était en jouant dans certaines saisons rendent tristes.

 

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