Voici la suite de la Kro Butler.
Pour répondre à quelques questions : il s’agit bien de Judith et non d’Octavia Butler.
Non, Hollywood n’a pas encore adapté un de ses ouvrages.
Bonne lecture.
Les questionnements sur les normes qui définissent qui est humain et qui ne l’est pas ont amené Judith Butler à réfléchir sur les attentats du 11 septembre.
« Il y a des situations qui pourraient nous amener à examiner dans quelles circonstances il est légitime d’être violent envers d’autres êtres humains. En ce moment, les Etats-Unis agissent par vengeance. Ils cherchent à se venger de l’injustice qui leur a été faite le 11 septembre sans se soucier de savoir si ceux qu’ils tuent sont responsables de cette injustice particulière. Ils se sentent humiliés par ces événements et ils cherchent à présent à « choquer et terroriser » [shock and awe] afin de restaurer leur sentiment d’immunité et de suprématie. »
« Après le 11 septembre, Colin Powell a déclaré « nous ne devons pas nous précipiter pour satisfaire notre désir de vengeance. » C’était un moment extraordinaire parce qu’il demandait aux gens de rester avec leur sentiment de deuil, de tristesse et de responsabilité. Par la vengeance, on essaie de résoudre le problème de la vulnérabilité. Si je riposte, alors ce n’est pas moi qui est vulnérable, je transfère ma vulnérabilité sur l’autre. Mais en même temps, je produis un monde dans lequel ma vulnérabilité à la blessure est accrue par la probabilité d’une nouvelle riposte. Le passage rapide à l’action est un moyen de forclore le deuil, de le refuser. Tôt ou tard, en anesthésiant notre propre douleur et notre sentiment de perte, il finit même par nous rendre indifférents aux pertes que nous infligeons aux autres. »
« Bush croit que cette guerre mènera à la paix parce qu’elle éradiquera les racines du mal partout dans le monde. C’est un faux argument. La guerre produit presque inévitablement des gens indignés, humiliés et plein de rage. La guerre va seulement favoriser un anti-américanisme plus virulent au sein d’un large spectre soit d’arabes, soit de musulmans, soit des deux, sans parler du reste du monde. »
« Je ne crois pas que la guerre puisse avoir quoique ce soit avec la paix. La paix est une résistance active et difficile à la tentation de la guerre. C’est la prérogative et l’obligation de celui qui a été blessé. »
Nous en venons alors à ce qui est humain. Elle raconte qu’après les attentats, très rapidement sont parus dans les journaux les noms des victimes avec leur famille, leur histoire, leurs aspirations. C’était très bien, ce deuil public. Seulement, toutes les victimes n’ont pas été pleurées :
« Après le 11 septembre, les vies des gays, des lesbiennes des sans-abris morts dans l’attentat n’ont pas été racontées. Les seules vies qui pouvaient être interprétées comme de véritables vies étaient celles qui répondaient à certaines normes. Les vies qui pouvaient être reconnues étaient celles qui existaient dans le cadre qui définit la vie américaine. […] Nous avons assisté à la production d’une vie digne d’être pleurée et d’une vie digne d’être vécue. »
« Cette manipulation des termes fait parti des efforts qui tentent de déshumaniser ceux à qui nous infligeons des violences. »
On en vient à comment la riposte est mise en scène :
« Nous avons une vue distanciée, aérienne des bombardements. Jamais on aura un portrait d’être humain en train de courir ou de se jeter à terre pendant que les bombes tombent. Les principaux média ne montreront jamais ça. C’est l’esthétique panoramique qui permet cette infâme sublimité du « choc et de la terreur » qui n’est possible qu’à distance. Il est important de se rappeler que les médias hégémoniques ont les moyens de réduire cette distance s’ils le veulent. »