Kro sociologique de SF de l’âge d’or ou tout comme

Fondation d’Isaac Asimov et série de David S. Goyer et Josh Friedman

Dune de Frank Herbert et film Dune 2 de Denis Villeneuve avec Timothée Chalamet, Rebecca Ferguson, Oscar Isaac

Le problème à 3 corps de Liu Cixin et série de Benioff et Weiss

Je me réjouis de voir enfin de la SF portée à l’écran. Je ne suis pas fan de western spatial, les différentes itérations de Starwars m’ont largement fatiguée et même si je fais partie de celles qui ont vu le premier Starwars au cinéma, je ne vénère pas la franchise. (Je ne vénère pas non plus Dune de Herbert, je ne dois pas être douée pour la vénération).

Fondation (début 1942) d’Asimov et Dune (début : 1965) de Herbert font partie de la SF dite « Âge d’or de la science-fiction américaine ». On ne va pas pinailler sur les bornes, Asimov, c’est plutôt le début et Herbert, plutôt la fin. 20 ans séparent ces livres qui à leur époque, étaient précurseurs sur pas mal de points. Le problème à 3 corps c’est le petit dernier : 2008.

Dans les trois cas, c’est un challenge de les adapter pour un public actuel et occidental, sans trahir  l’idée qu’en avaient leurs auteurs.

Dans le cas de Fondation, on a beaucoup ironisé sur le fait que les histoires d’Asimov étaient dépourvues de sexe. Ce sont des discussions de scientifiques entre eux qui sont dans un premier temps tous des hommes hétérosexuels. Dans le premier tome de Fondation, composé de 5 nouvelles, on voit bien qu’Asimov ne sait pas encore écrire. Il a des idées et les expose via des dialogues entre ses personnes (fun fact : il y a 30 ans, j’ai appris à écrire des dialogues en relisant Asimov).

Il ne sait pas décrire les scènes d’action, alors ses personnages parlent de l’action à venir puis on les retrouve alors qu’ils décrivent l’action survenue. Peu à peu, Asimov va s’améliorer et ses récits prennent corps… encore que. Comme il le disait lui-même, pour ses premiers écrits, il était puceau et n’avait même qu’une idée très vague que c’était une femme (il avait capté les concepts d’épouse et d’enfants, mais en tant qu’éléments rapportés dans la vie des scientifiques qui, dans son entourage, étaient tous des hommes). Par la suite, on lui doit l’introduction des premiers personnages féminins d’importance et traités avec les mêmes égards que les hommes : Joie dans Fondation Foudroyée, Gladia qui débute dans Face au feu du soleil en 1956 et surtout Susan Calvin dans le cycle des Robots, dès 1940. À ce titre, il est tout à fait logique que la série Fondation mette en scène des femmes en personnage de premier plan : le « bon docteur » aurait sûrement été d’accord.

Par ailleurs, l’ethnicité n’a jamais été un sujet chez Asimov. D’ailleurs, comme il ne décrit pas ses personnages, on présuppose qu’ils sont blancs (et vu l’environnement du jeune Isaac, je fais le pari qu’on doit avoir bon !), mais en soi, leur couleur de peau n’est pas un sujet. C’est donc tout à fait logique d’avoir des personnages noirs, en tout cas, ni plus ni moins que blancs.

L’autre modification qu’il a fallu apporter est au niveau de l’énergie.  Asimov écrit au moment du boum de l’énergie atomique (dans tous les sens du terme). Donc tout ce qui est ancien est au charbon ou au pétrole, tout ce qui est moderne est atomique. À la relecture, cette foi dans le nucléaire (et la physique) fait sourire, mais c’était quand même la science préférée en SF de cette époque, même si Asimov était biochimiste.

La mise en image de Fondation est plutôt réussie, c’est beau, c’est bien joué et les ajouts de scénarios sont bien pensés (par exemple l’Empire qui se perpétue par clonage de son empereur est une excellente idée… Asimov ne nous dit presque rien sur l’Empire de toute façon). Les acteurs jouent bien, mais je ne sais pas trop pourquoi je trouve que l’histoire ne prend pas vraiment. Disons, je ne suis pas emportée par l’intrigue. A noter une magnifique illustration d’un accident d’ascenseur spatial piqué à Mars la Rouge de Robinson et dont j’ai toujours voulu voir la mise en image (et visiblement je n’étais pas la seule. Ce passage-là est extraordinaire).

Passons à Dune de Herbert. Écrit 20 ans plus tard, lui aussi est plutôt novateur. Certes, l’histoire tourne autour d’un homme blanc, héros et messie. Mais nous avons plusieurs personnages féminins de premier plan, telles les femmes de la Confrérie Bene Gesserit qui trame en sous-main le destin de la Galaxie. L’idée de femmes qui s’occupent de manière invisible de politique en arrière-plan des grands hommes est un fantasme assez commun (et même sexiste). Dans Dune, elles n’ont rien d’invisible et si leur grand plan reste secret, leur pouvoir est manifeste. Autre nouveauté chez Herbert, la présence du monde arabe. Dune ne s’appelle pas Dune pour rien et la langue des Fremens a de nombreux points communs avec l’arabe (quand j’ai lu Dune, j’avais besoin du lexique pour comprendre le mot Jihad et je ne savais pas s’il avait été inventé par Herbert ou pas… je devais avoir 13 ou 14 ans). Herbert écrit Dune en pensant au Sahara et aux indépendances de l’Afrique du Nord autour des années 60. Le livre contient d’ailleurs un chant qui avait retenti en 1962 dans les rues de l’Algérie : « Yahya Chouhada ». Par exemple :

Lisan al Gaib is the Fremen term for an off-world prophet or messiah. The term may come from the Arabic, « لسان الغيب, » (lisaan al-ghaib) meaning « tongue of the unseen/missing ».

et d’autres termes.

Dune est un film magnifique qu’il faut voir en Imax. Les paysages de désert au début du 2 sont à couper le souffle. La musique fait partie intégrante de l’histoire et il vaut mieux voir le film dans une salle dont on a correctement réglé la sonorisation, et pas juste voulu prouver qu’on savait faire du gros son.

Villeneuve comme d’habitude a fait une adaptation fidèle, ultra fidèle de l’œuvre (comme dans Premier contact, comme dans Blade runner 2049 alors qu’il aurait pu se lâcher un peu plus, puisqu’il faisait une suite). Il montre bien les contradictions de Paul, Libérateur malgré lui : comment être le Messie d’un peuple alors qu’on fait partie des colons ? Être le libérateur puis le guide du peuple qui ne peut visiblement pas se libérer par lui-même ? Paul version Villeneuve a bien pris la mesure du problème et sait que les dés sont pipés puisque ce sont les Bene Gesserit qui ont à la fois fabriqué le Messie et implanté sa légende. Chani, l’amante de Paul, montre qu’elle n’est pas dupe et que le mysticisme ou la guerre sainte, ce n’est pas son truc, par plus qu’elle n’a envie d’être libérée et guidée par quelqu’un qui est le meilleur simplement parce qu’il a été entrainé et génétiquement produit pour être le meilleur par les dominant-es. Mais évidemment, elle n’a pas les moyens de ce combat. Le personnage est intéressant dans ses motivations, mais pas si bien rendu : à l’arrivée, on a l’impression qu’elle boude l’essentiel du film.

Choisir Thimothée Chalamet pour incarner Paul Atréïde est une idée qui fait plaisir : la puissance et le pouvoir peuvent s’incarner dans une masculinité hétéro alternative.

In fine, je dois reconnaître que j’ai un peu moins aimé Dune 2 que Dune 1, je m’attendais à plus épique alors que le film traine un peu. Mais je pinaille. Ce sont d’excellents films.

J’en arrive alors au Problème à 3 corps.

Liu Cixin est un fan d’Asimov et de Clarke. Il y a longtemps que je n’ai pas relu Clarke, mais pour Asimov, cela saute aux yeux. Le Problème à 3 corps n’est pas très bien écrit et je doute que ce soit un problème de traduction, car maintenant, on met les moyens pour traduire la SF, en particulier quand le livre a ramassé un prix Hugo. Comme chez Asimov, c’est une histoire de scientifiques qui discutent entre eux. Le monde des non-scientifiques n’existe à peu près pas. Pour nous aider à accrocher, nous avons un personnage de flic, sale type, mais fort plaisant à suivre. Cixin développe un grand thème de la SF de l’âge d’or : la politique pourrit tout, mais il faut reconnaître qu’avec la Révolution culturelle chinoise, il a un boulevard devant lui. L’union des scientifiques va sauver l’humanité, car la science est capable de produire le meilleur et les hommes de pire. De manière curieuse, les dégâts environnementaux de cette société sont surtout  produits par des humains (la déforestation menée par les gardes rouges) et non par les dégâts d’une science sans contrôle.

Outre les passages du livre se passant à l’époque de la révolution culturelle (qui sont de loin les mieux écrits et fort intéressants pour des occidentaux pas très au courant comme moi), les personnages ont peu d’épaisseur, ils vivent pour la science, ne flirtent pas, n’ont pas d’amis, pas de loisir et pas de sexe. Liu Cixin s’est débarrassé de tout ce qui fait l’épaisseur des histoires pour nous présenter une SF d’idées (très âge d’or de la SF, là encore), de trames scénaristiques et de physique. C’est bien foutu et c’est assez prenant, mais somme toute aride. Par ailleurs, je galère à distinguer les personnages parce que je n’ai pas l’habitude des noms chinois qui pour moi sont tous des noms chinois et je vois bien le problème de l’homogénéité occidentale de mes lectures.

La série fait un bon boulot. Tout d’abord, si elle déplace l’histoire à Londres et non plus en Chine, une bonne partie du casting est asiatique. Pour nous intéresser aux personnages, elle invente un groupe d’amis, des parcours différents, de l’humour, des sentiments, bref, elle les humanise. Sur le bateau du « Jugement dernier », il y a des enfants qui jouent et des familles, ce n’est pas « un bateau avec 1000 personnes à bord ». Même le flic est moins sale type, plutôt attachant et à un fils avec lequel il galère. L’histoire est bien rendue, la trame se suit bien, le suspens est là (je vous ne le spoil pas, j’ai lu sans connaître le thème de l’histoire et c’était très bien). Juste un truc… l’actrice qui joue héroïne, physicienne et spécialiste des nanomatériaux (un homme dans le bouquin) a tellement abusé de chirurgie esthétique (genre : lèvres pulpeuses) que ça me pose problème tellement ça fait pas vrai. Alors, oui, je suis bien contente qu’il y ait une femme comme héroïne, mais est-ce que je pourrais avoir une série avec des femmes humaines normales (alors que les hommes de cette série sont très très normaux) ?

Bref, la série est une adaptation réussie, je conseillerai plus les livres aux fans de physique et de hard science et la série aux fans de SF.

 

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