Spécial Michel Onfray

Théorie du corps amoureux, pour une érotique solaire
de Michel Onfray

Bien, tout d’abord, même si le sous-titre peut paraître un peu tarte (érotique solaire), ce n’est pas un bouquin de cul, c’est un vrai bouquin de philo, avec une quantité de mots que je ne connais pas qui force le respect, on se croirait dans un bouquin de Gibson, alors que c’est en français.

Alors que je le lisais dans un restau, mes voisins de table se sont mis à considérer avec attention la couverture de mon livre. Ils étaient 3: une jeune femme, un petit jeune en costume cravatte nouvellement entré dans le service et l’ancien du service en jean, qui donnait des conseils au petit jeune. Parce que le petit jeune était choqué par le non-respect de la parole des orateurs, lors des réunions de service. Et l’ancien lui disait que lui aussi serait un jour au fond à discuter, parce que c’est pas parce qu’on discute qu’on écoute pas. Et que c’est ainsi que les choses fonctionnent. Et la femme lui a alors conseillé de s’asseoir devant, s’il ne voulait pas être géné par ceux qui foutent le bordel, en précisant tout de même, que devant, c’était plutôt les fayots. Ca m’a fait penser à la discussion sur les classeurs de couleur, à Bercy, à la fin du film : L’auberge espagnole… Bref, alors qu’on en était là dans cette fascinante conversation, l’ancien et le jeune se rendent compte du livre que je suis en train de lire. L’ancien ne dit rien et le jeune se met à pouffer ouvertement, cherchant la complicité avec l’ancien, dans le style : « whouah, la nana à côté, elle lit un livre de cul ». Attitude un peu inquiétante, si vous voulez mon avis, quand on a plus de 12 ans. Dans un sens, cette annecdote illustre bien le propos d’Onfray.

Il s’agit d’en finir avec le couple, la monogamie, la fidélité, la famille, la culpabilité dans le désir et les plaisirs, la procréation obligée. Onfray passe en revue la philosophie grec (et son bestiaire) pour nous expliquer comment Platon et ensuite les chrétiens ont codifié les plaisirs et l’usage du corps dans sa version la plus sinistre et comment on aurait pu prendre d’autres voies, bien plus fun, en allant faire ses courses dans le jardin d’Epicure et de ses suivants.

Commençons avec l’Androgyne mythique : au départ, l’être humain était composé des deux sexes. Suite à une punition divine, il s’est retrouvé coupé en deux, condamné à rechercher perpétuellement sa moitié pour reconstruire l’unité parfaite.

Premier lieu commun qui en découle : le désir est un manque. Le désir est une souffrance en punition d’une faute supposée commise en un temps immémorial par les premiers représentants de l’espèce… le désir est une malédiction.

Deuxième lieu commun : le désir ne s’appaise qu’en reconstituant l’entité primitive dont la forme idéal est le couple. Ou autrement dit : la seule façon de trouver la paix de l’âme, c’est en formant un couple stable

Troisième lieu commun : il existe 2 amours : l’un est pur, il est basé sur la logique du coeur et des sentiments, il élève l’âme. L’autre est indéfendable, il est basé sur le corps et la materialité bestial, sans une once de souffle divin. De là, nous avons quantité de névropathes, greco-chrétiens qui, au lieu de soigner leur psychopathie sexuelle chez eux, contaminent tout le bassin méditeranée avec leurs frustrations. Paul et Augustin en tête, comme quoi, la frustration mène à la canonisation.

Packagé avec ce mépris du corps, viennent le mépris des femmes et du principe féminin : en effet, ces démones viennent tenter les hommes en leur soufflant des pensées impures dont ils ne peuvent se garder et ainsi s’éloignent de la pureté à laquelle ils pourraient normalement aspirer.

A cela, Onfray propose le libertinage, c’est à dire la liberté par dessus tout, l’amour et le plaisir comme on l’entend, dans un contrat négocié à l’avance dans lequel rien n’oblige à la fidélité ou à la vie commune si ce n’est pas ainsi qu’on l’entend. Le plaisir est un exces et non un manque et c’est en le dépensant dans une érotique joyeuse et sans entrave qu’on mènera une vie bien plus satisfaisante et drôle. L’idée vaut également pour les hommes et pour les femmes, que les hommes cessent enfin d’avoir peur et de haïr les femmes et dans cette otpique, comme il dit, il propose virilement d’adopter une posture féministe.

Pour Onfray, le couple stable, la vie commune, la stabilité et la procréation sont nécessairement porteur de lourdeur, de peine, d’inconvénients multiples et d’entrave à la liberté.

Ce livre m’a intéressé mais m’a moyennement convaincu.
Il fonde déjà le départ de sa réflexion ontologique sur une différence de nature entre homme et femme, en tout cas en ce qui concerne leur sens et en particulier leur érotisme. On nait homme ou femme et les codes sociaux nous font ensuite entrer dans des moules préfabriqué de masculinité et de féminité. Il prend en exemple sa jeunesse de petit garçon de 7 – 8 ans, « innocent du péché », bien plus heureux car il ne « savait » pas que le désir et l’érotisme, c’était mal. Il pouvait se livrer à des jeux érotiques avec sa petite voisine en tout innocence pour chacun des participants. Néanmoins, il le décrit lui-même, il avait une enfance libre, en bénéficiant des libertés et des joies qu’on laisse aux petits garçons de la campagne et dont n’ont jamais pu jouir les filles, même si la voisine pouvait s’évader avec pour jouer au docteur.

Ensuite, il est amusant de voir comment on excuse les penseurs qu’on aime et qu’on leur prête plus de clairvoyance qu’ils n’en avaient probablement réellement. Dans le genre, j’ai vue une étudiante en philosophie, féministe, défendre Rousseau en disant que pas du tout, c’est pas sexiste l’Emile. Je pense que la schizophrénie la guette. Pour revenir à Onfray, il tente d’expliquer que le mythe de l’androgyne scindé en 2 principes complémentaires, masculin et féminin, est nécessairement sexiste. Alors que dans un désir de l’exces dans lequel deux êtres se retrouvent pour se faire plaisir, pas nécessairement de sexe différent et pas nécessairement 2, d’ailleurs, il ne peut y avoir de misogynie. Ah. Je vois pas pourquoi, ni dans un cas, ni dans l’autre.

Néanmoins, je le trouve intéressant et convaincant dans la déconstruction de la morale chrétienne castratrice (un peu bavard, quand même) et il a des passages de profession de foi féministe très bien.

Là où je l’attendais avec plus d’impatience, c’est dans la partie : c’est quoi, son érotique solaire et surtout : comment ca peut se mettre en oeuvre avec des vrais gens. Bien sûr, il rappelle avec un certain humour que la philo permet de magnifiques constructions théoriques qui aident à penser mais n’est pas opératoire. Et en fait, il aurait fallu faire un croisement psycho/socio pour que j’y retrouve vraiment mes billes. Je ne peux donc que saluer la démonstration théorique du modèle en émettant des doutes sur sa mise en oeuvre.

Toutefois, il y a un point sur lequel je ne suis pas d’accord avec lui et où je le trouve même de mauvaise foi, c’est les enfants et la famille. Pour lui, les enfants, c’est le plomb dans l’aile de l’érotisme solaire.

Il commence par prétendre d’une part que ceux qui s’attachent à une stérilité volontaire, ce n’est pas parce qu’ils n’aiment pas les enfants ou par égoïsme, mais au contraire, parce qu’ils les aiment plus que les autres. En gros, quand on voit tous les malheurs du monde et les frustrations qui attendent les enfants, si on les aime vraiment, on ne leur inflige pas la vie et la mort (en somme : life sucks et then you die).

Je lui proposerais donc d’aller se suicider dans l’instant. Son argument tient pour ceus qui estiment que la vie ne vaut pas la peine d’être vécue. Mais si la vie peut être une joie, ce qu’il veut nous dire à longueur de page, et bien oui, la stérilité volontaire sous prétexte que les enfants entravent la liberté, est un égoïsme. Après, je ne juge pas, on peut avoir cet égoïsme-là. Mais qu’il ne me le déguise pas en « soucis de son prochain ».

De même, la liste qu’il fait des joies que procure le fait d’avoir un enfant n’est qu’un empilage de joies égoistes, allant de « mise en conformité dans la société » à « avoir qqn pour ses vieux jours » en passant par « recherche d’immortalité » ou « fierté de sa descendance ». Effectivement, si on s’arrête à cette liste, y’a pas bcp d’intérets « nobles » à faire des enfants, pas beaucoup de joie pure et légère. Mais là, je dirais que ca prouve bien : 1. qu’il n’a pas d’enfant 2. qu’il ne comprend pas ce qu’un enfant représente pour ses parents et la nature des relations qui en découlent.

Ensuite, il semble dire que le bonheur dans les relations sensuelles et sexuelles s’accomodent mal de contrainte et que toute responsabilité ou engagement est une contrainte. Là encore, je dirais que pour l’égoisme, la solitude et la fuite en avant, il est assez doué. Mais il en a le droit, si ainsi il y trouve le bonheur, puisqu’il précise bien qu’il s’agit toujours de rechercher le plaisir sans causer du déplaisir à l’autre et qu’il faut se tenir strictement au contrat que l’on passe (d’où l’importance du contrat le plus ouvert possible). Néanmoins, je suis convaincue qu’on peut trouver un érotisme (solaire ou
pas!) mais léger tout de même dans la vie de couple, que la famille, c’est pas le bagne, c’est ce qu’on fait avec et que les enfants ne sont pas un boulet à trainer derrière soi dès qu’on veut gouter au plaisir des sens et du sexe.

« famille, fidélité, couple, cohabitation, procréation obligatoire, hétérosexualité, culpabilité » ne sont pas des éléments indéfectiblement liées. On peut prendre un bout sans necessairement être obligé d’acheter tout le package.

Voilà, maintenant, les fanatiques d’Onfray peuvent ouvrir le feu, j’ai pas peur…

Ce contenu a été publié dans Livre de classe. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.