Judith Butler : Humain, inhumain, Le travail critique des normes – Entretiens, Edition Amsterdam 2005
Ce livre rassemble plusieurs articles de la philosophe qui traitent des normes qui nous permettent de déterminer ce qui est humain et ce qui ne l’est pas. Et également, comment on peut repenser, remettre en cause ces normes.
Les normes et le moyen de les repenser
« Etre un sujet signifie notamment être né dans un monde où les normes agissent sur vous dès le commencement. La taille, le poids de naissance, le choix du prénom, les normes de civilisation qui sont imposées : comment manger, comment parler, comment faire les choses convenable au bon moment… Ces normes définissent aussi la façon dont est établie la distinction du privé et du public, ainsi que la manière dont la sexualité est gérée, contrôlée, structurée confisquée. L’émergence de l’enfant comme sujet se fait en relation avec un ensemble de normes qui lui donne sa place, sa légitimité, sa sécurité, l’amour dont il jouit. Et c’est tout cela qu’il risque de perdre s’il renonce à ces normes. L’apprentissage des normes est un marchandage de l’amour. »
Comment se construit le sujet ?
« Le sujet est toujours produit au travers de certaines forclusions et que c’est là la condition d’émergence d’un sujet cohérent et capable d’agir. Par son action, il peut retravailler la forclusion elle-même, il peut modifier la signification ou l’effet de la forclusion. »
(Forclusion : Mécanisme psychique par lequel des représentations insupportables sont rejetées avant même qu’elles soient intégrées à l’inconscient du sujet)
Le cas échéant, il y a des formes phobiques d’organisation sociale qui permettent de préserver la fiction de ces sujets. Dans l’homosexualité ou le métissage, par exemple : « Je ne serais pas moi si j’étais homosexuel (ou de couleur), si je devais approcher une telle personne, je serais radicalement défait ».»
Nous en arrivons ensuite aux normes qui définissent les deux sexes. « Notre conception de l’être humain dépend fortement de l’existence de deux genres cohérents. Si quelqu’un ne se conforme pas soit à la norme masculine, soit à la norme féminine, son humanité même est mise en question. »
« Je ne crois pas que toutes les personnes qui se rendent à une conférence internationale sur les droits des femmes s’accordent sur ce qu’est une femme. Il n’est du reste pas possible de leur demander de parvenir au préalable à un consensus sur ce point. »
Alors, c’est quoi, une femme ? Est-ce un être humain capable de mettre au monde des enfants ?
« Dans quelle mesure un corps est-il défini par sa capacité à être fécondé ? Bien que le corps des femmes soit d’une façon générale supposé être fécondable, le fait est que des nourrissons ou des enfants de sexe féminin, des femmes âgées, des femmes de tout âge ne peuvent pas être fécondés, et même si ils pouvaient l’être, ce ne serait pas nécessairement une caractéristique majeure de leur corps ou même de leur être en tant que femmes. La problématique de la reproduction est un élément central du sexage du corps.
De plus, à 30 ans, si vous ne pouvez pas ou ne voulez pas avoir d’enfant, il faut affronter une norme qui régule votre sexe. Il faut une communauté singulièrement vigoureuse et politiquement informée autour de vous pour atténuer votre sentiment d’échec, de perte, d’appauvrissement ou d’imperfection que vous pouvez ressentir. Il faut une lutte collective pour repenser cette norme. »
Sur les normes qui définissent la sexualité :
Toutes les normes sexuelles sont fragiles. « Elaborer une position sexuelle ou reciter une position sexuelle implique toujours d’être hantée par ce qui est exclu. »
« Une des raisons pour laquelle l’hétérosexualité doit se réélaborer, se reproduire elle-même rituellement en tout lieu, c’est qu’elle doit surmonter le sentiment de sa propre fragilité constitutive. »
Mais la norme homosexuelle (c’est une autre sorte de norme qui est à l’œuvre dans les milieux gay et lesbien) est fragile également. Judith Butler démonte les tentatives d’idéalisation du lesbianisme face à une hétérosexualité suspecte pour les femmes de pactiser avec le pouvoir.
« L’idéalisation du lesbianisme est en partie une conséquence de la culpabilité hétérosexuelle. Ce qui est radicalement lesbien est préservé de toutes souillure par l’hétérosexualité, alors on fait de cette dernière un phénomène qui ne peut qu’être avilissant et blessant. Cette logique fait de la bisexualité une marque de duplicité, une trahison, une liquidation du lesbianisme. C’est une position terriblement moralisante et vaine. »
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