Revenons alors aux normes et aux manières de les modifier.
La performativité est à l’œuvre pour faire et défaire le genre et la sexualité :
« Il existe une tendance à penser que soit la sexualité est construite, soit elle est déterminée ; et que si elle est construite, elle est en un sens libre, alors que si elle est déterminée, elle est figée. Ces oppositions ne décrivent pas de manière satisfaisante la complexité de ce qui est en jeu dans tout effort pour tenir compte des conditions dans lesquelles le sexe et la sexualité sont assumés. La dimension « performative » de la construction est précisément la réitération forcée des normes. En ce sens, la question n’est pas seulement que les contraintes pèsent sur la performativité, mais plutôt que ces contraintes doivent être repensées comme ses conditions mêmes. La performativité n’est ni un jeu libre, ni une représentation théâtrale de soi ; elle ne peut pas non plus être assimilée à la performance. De plus, la contrainte n’est pas nécessairement ce qui fixe la limite de la performativité ; c’est bien plutôt ce qui la motive et la soutient. » Sans oublier qu’il y a une reconstitution a posteriori de la performance par les normes de réception.
Un acte de discours performatif est un discours qui fait advenir ce qu’il nomme :
« Une personne qui n’est pas un citoyen est quand même une personne, même si la citoyenneté exerce une contrainte conceptuelle sur notre conception de la personne. Il y a moment où la personne qui n’est pas une personne, la famille qui n’est pas une famille doit utiliser le langage dominant d’une manière qui le détourne et le contamine afin de lui permettre de signifier quelque chose de différent. Ce n’est pas domestiquer la revendication ni l’assimiler. »
A la conférence de Pékin sur les femmes : il y avait des groupes appelés : « Droit humain des femmes » et « Droit humain des lesbiennes ». La formulation peut surprendre. Les lesbiennes ne sont-elles pas des femmes ? Les femmes ne sont-elles pas des humains ? L’identité femme ou lesbienne (si elle existe) ne se perdra-t-elle pas dans l’humain ?
« femmes » et « lesbiennes » n’ont pas été traditionnellement admis dans l’humain. Vouloir les inclure ne signifie pas d’un appel à l’assimilation, mais à l’élargissement du sens du mot humain. Cela expose la contingence de l’humain, la définition contingente de l’humain, ce qu’elle a exclu et ce qu’elle exclut afin de parvenir à la cohérence qu’elle représente.
De toutes manières, toute tentative de subversion est potentiellement récupérable. Les actions qui peuvent être les plus facilement interprétées sont les plus facilement récupérables. Même les médias les plus conservateurs n’ont pas toujours un rôle de domestication. Ils produisent des images sur lesquels ils n’ont aucun contrôle.
Qu’est-ce qu’un discours discriminant ?
« McKinnon pense que la distinction entre discours et conduite doit être suspendue lorsque nous étudions un discours dirigé contre les minorités ou contre les femmes. Ce discours peut fragiliser notre capacité à agir dans le monde, de la même façon qu’une conduite discriminatoire. Même si le langage possède un pouvoir très acéré de blesser, la blessure est-elle identique à la blessure physique ? A qui il revient de décider du moment et de l’endroit où un tel langage est blessant et offensant et qui va décider du moment et de l’endroit ou ce langage est insurrectionnel ? »
Certains actes sont indéniablement racistes, sexistes ou homophobes. Judith Butler raconte un fait divers dans lequel une croix enflammé qui a été plantée dans le jardin d’une famille noire. Il n’y a aucune ambigüité sur la manière dont doit être lu cet acte. Et c’est stupide de parler d’atteinte à la liberté d’expression quand on veut condamner cet acte comme un acte raciste.
« Mais un discours peut être perçu comme discriminant et avoir une autre signification, une autre implication, parce que nous vivons dans les lieux linguistiques disjoints. Il faut toujours pouvoir établir un lien avec les conséquences et il doit être possible de faire apparaître ce lien. »
2 réponses à Butler : La performativité du discours (part. 3)