Les scarifiés de China Miéville
Il m’a fallu un moment pour mettre un nom sur le style des livres de China Miéville, mais j’ai trouvé, alors je vous le donne en mille : China Miéville écrit du steampunk de fantasy-muppet.
Je m’explique :
Steampunk parce qu’il n’y a pas vraiment de technologie dans le monde. Il y a des machines : à bois, à pétrole et à galactite. Pas d’électricité, mais de l’électrycité, de la chymie et de la thaumaturgie.
Fantasy parce qu’il y a aussi de la magie active dans ce monde
Muppet parce qu’il y a des tas de races bizarres, vaguement humanoïdes mais d’inspiration animal comme dans la SF des années 60. Des Khepri : corps de femmes et tête de scarabée, des Cactacées : humanoïdes cactus avec de la sève dans les veines, des Cray : des crustacés humanoïdes, etc.
Il est vrai que c’est un peu bizarre comme mélange et pour tout dire, par très vendeur, là comme ça. Si j’ajoute que China Miéville est membre de Marx international et que les systèmes politiques de ses populations l’intéressent, vous commencez à vous dire que ses écrits doivent donner quelque chose d’étrange.
Etrange, c’est certain, mais oui, le mélange fonctionne et même de façon crédible. Dans “Perdido street station”, Miéville réussissait à nous faire croire sincèrement à l’histoire d’amour entre une Khepri et un humain. (la kro de ce livre). Perdido était peut être plus riche, plus dépaysant, plus bizarre (en outre, Miéville a le don de créer des noms exotiques). Avec les Scarifiés, on a acquis certaines bases sur le monde et si au début du livre, on peut le trouver moins brillant, il faut reconnaître par la suite que le scénario est plus retors et ferait certainement une bonne base pour un scénar de jeu de rôle.
Sur ce long préambule : l’histoire
Bellis est une érudite qui a travaillé sur des langues anciennes pratiquement disparues. Elle vit à Nouvelle-Crobuzon, cette immense cité cosmopolite, grouillante de vie, dangereuse et fascinante, dirigée par un pouvoir absolu sans pitié et vaguement sadique. Suite aux péripéties de Perdido Street Station (la lecture de ce livre n’est pas utile pour comprendre cette suite, elle est résumée en un paragraphe), elle se rend compte que la milice se met à s’intéresser à ses proches parce qu’elle a eu le malheur d’avoir une aventure avec un type recherché. La milice de Nouvelle-Crobuzon est du genre à torturer d’abord et poser les questions après. Bellis préfère partir en bateau pour les colonies, le temps qu’on l’oublie. Mais voilà que le bateau est attaqué par des pirates d’Armada. Armada est une cité-bateau, elle est constituée de dizaines de bateaux arrimés ensemble, dérivant plus que navigant depuis des décennies, vivant de pirateries. Tout est volé, sur Armada : la terre pour les jardins, les livres, les machines et les habitants. Les prisonniers ont le choix : s’intégrer à Armada ou vivre en prison, car personne ne repart d’Armada, sa présence doit rester secrète pour Nouvelle-Crobuzon.
Sur le bateau de Bellis, les prisonniers qui étaient en cale et un bon nombre de colons (plus ou moins volontaires) s’accommodent assez bien de leur situation. Bellis jure qu’elle rentrera dans sa ville. Pour cela, elle va tenter de s’intégrer aux plans des Amants : les dirigeants d’Armada qui forment un couple bien étrange, aux visages couvert de cicatrices. Les Amants ont un but grandiose et terrible pour Armada. Mais quoi ? Et qui est Dol, leur garde du corps, homme de lige aux pouvoirs surhumains ? pourquoi s’intéresse-t-il à Bellis ?
Bellis est le personnage centrale de l’histoire mais elle n’a pas grand chose pour être sympathique (enfin, à mes yeux, mais je sais pas, ça peut plaire). Elle est glaciale, imperméable à l’amabilité, à la chaleur, solitaire plus par snobisme que par misanthropie… Plus sympathique, il y a Tanneur, le recrée, c’est à dire que c’est un condamné par la justice de Nouvelle-Crobuzon. Les juges thaumarturges l’ont condamné à être biologiquement modifié, soit disant pour le punir, mais probablement davantage pour assurer leurs délires sadiques : il a des tentacules greffées au milieu de la poitrine. Tanneur est un brave type, très bon technicien et ravi d’échanger le bagne sordide à une vie libre en Armada. Il y a aussi Shekel, le gamin des rues, Fennec, l’espion de Nouvelle-Crobuzon, et Dol, le combattant mystérieux, indestructible et fascinant… En outre, Miéville aime les villes, Armada et ses différents quartiers autonomes ont peu à envier à Nouvelle-Crobuzon : la République de Doguemish, le Protectorat de Chutnesh… dont le protecteur est un Ci-après, un vampère, quoi, et la dictature éclairée d’Aiguillau par les Amants. Eclairée jusqu’où ?
Tout ce monde va s’emmêler dans un scénario compliqué dont les strates vont se révéler peu à peu. C’est une très bonne lecture.