Kro pour les mecs, mais les vrais

928706-1101002.jpg Vincent Cespedes, L’homme expliqué aux femmes

Un livre qui s’inscrit dans le courant des études genre et qui parle des hommes… Il y a de quoi a la fois susciter de l’intérêt et de la méfiance. De l’intérêt d’une part, parce qu’il est temps que les groupes dominants (les hommes, les hétéros, les blancs…) se mettent à réfléchir ce qui fait d’eux un groupe dominant au lieu de se contenter de théoriser sur l’universel de leur condition, reléguant les autres dans le spécifique.
Il est donc important que les blancs se mettent a réfléchir a ce qu’est la « blanchitude » (whiteness), que les hétéro admettent l’hétérocentrisme de la société comme autre chose qu’une façon d’être normal et que les hommes se penchent sur ce que sont les hommes plutôt que de réfléchir à l’Homme.

Pour autant, un certain nombre de tentatives allant dans ce sens ont tendance à désespérer de la « condition » masculine (et souvent d’ailleurs plutôt de la condition masculine des hommes hétéro blancs de la classe moyenne), accusant les femmes, (les mères, les féministes, les femmes qui veulent faire carrière, les lesbiennes), ou les gays, ou les anarcho-alternatifs, ou les athées de féminiser la société.

C’est parfois un peu mieux emballé que cela, tout le monde ne peut s’offrir le luxe de faire l’apologie du viol (je ne citerai pas le nom de ce chroniqueur masculiniste au nom commençant pas Z, je ne lui donnerait pas un hit de plus sur Google).

Et puis, il y a aussi tous ces sociologues qui découvrent les femmes sur leurs vieux jours et recycle leurs vieux textes pour dire : “Le féminisme ? Je l’ai vu le premier !” Ou, une fois leur carrière universitaire faite, ceux qui trouvent que ces jeunes chercheuses font des recherches nouvelles et teeeeellement intéressantes, alors qu’ils n’avaient jamais vu ce qui se passait dans le bureau à côté du leur, pendant 10 ou 20 ans, là où se faisait des recherches féministes, en possible concurrence avec les leurs.

Bref tout cela pour dire que ça rend méfiante, et qu’il est très difficile d’écrire sans complaisance sur les dominants, surtout quand on en est.

Ce qu’on peut dire, c’est que les bases sur lesquels part Cespedes sont saines. La condition masculine n’existe pas plus que la condition féminine dans la nature. Il y a des femmes qui ont secoué les normes sociales dans tous les sens pour sortir de la sujétion, et des hommes qui sont supposés devoir vivre dans une condition masculine fossilisée, qui est impropre à la société actuelle et qui n’a pas les moyens de faire leur bonheur, tout en faisant le malheur des femmes.

Cespedes n’est pas tendre avec les hommes lâches, ceux qui invoquent les droits du mâle inaliénables à tout bout de champ pour masquer leur angoisse d’être faible, ceux qui accusent les féministes de tous les maux de la société parce qu’elles les empêchent de dominer en rond, ceux qui expliquent qu’on vit dans un matriarcat et que les femmes, c’est toutes des chieuses ou des salopes.

Ensuite j’ai envie d’entamer le débat avec lui sur de nombreux points, par exemple sur l’inévitable perte de rapport humain qu’entraine le recours aux technologies virtuelles. Ou encore la non nécessite du couple depuis que procréation et plaisir sexuel sont séparé, et enfin sur une tendance quand même un petit peu naturalisante… il a beau s’en défendre, j’ai dans l’idée que quand il parle des hommes préhistoriques… il n’est pas très au clair. Mais au moins, on a bien le sentiment qu’on peut débattre, et c’est déjà beaucoup.

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En outre, il a le mérite d’être totalement clair sur ses bases théoriques : les théories féministes. Et si je le trouve parfois un peu naïf ou un peu léger (il a un ou deux chapitres où il fait du sous Onfray), il sait aussi écrire de manière très drôle et rafraîchissante. (Je vous conseille le passage où il explique que la plupart des hommes n’ont pas vraiment de couilles, alors que la femme est une couille tout entière. Ca a l’air curieux comme ça, mais il l’explique très bien).

Il dénonce le porno comme étant le fascisme de la sexualité, car outre les 0,00001% de porno “différents” qui servent d’alibi, les autres montrent de la domination / de l’humiliation des femmes par les hommes selon des codes toujours identiques et l’érigent en prescription sexuelle.

Il rappelle aussi la grande arnaque de la psychanalyse freudienne, dénoncé par exemple par Patricia Romito dans “Un silence de mortes”.

Le jeune Freud soigne des femmes qu’on appelait à l’époque “hystériques”. Toutes ces femmes lui racontent des histoires d’incestes, le plus souvent commis par un père ou un oncle. Il décrit les abus de manière très claire, ne laisse aucun doute sur le faits que ses patientes sont d’abord des victimes. Et si elles ont maintenant des crises, des rêves sexuels angoissants, des comportements pervers, c’est parce qu’elles ont été propulsées de force dans la sexualité alors qu’elles étaient enfants. Il l’écrit dans des articles, le dénonce… et ne se fait pas beaucoup d’amis parmi ses pairs…

Freud, un peu plus tard, tourne sa veste, (lâcheté ? incrédulité face à tant de violence sur les femmes ? aveuglement quasi volontaire tiré de sa propre misogynie ?) . Il sort de son chapeau le complexe d’oedipe. Ces femmes n’ont pas été abusées, elles ont mal résolu leur oedipe, ce sont les enfants qui ont des pensées libidineuses vis à vis de leurs parents, et non les pères qui imposent à des petites filles des rapports sexuels.

Revenons à “L’homme expliqué aux femmes”, qui devrait plutôt s’appeler : l’homme expliqué aux hommes, car il me semble plutôt s’adresser à ces fameux hommes qu’on dit en perte de repères : coincés entre des injonctions viriles dans lesquels ils ne se retrouvent pas et des femmes qui envoient des signaux qu’ils ne comprennent pas (parce que les femmes n’ont pas non plus fini de se débarrasser des injonctions qui les contraints).

Pour Vincent Cespedes, la solution, c’est l’Onde de charme contre l’Onde de choc. C’est à dire la puissance à la place du pouvoir, le charisme plutôt que la domination, la faiblesse assumée et surmontée, plutôt que la carapace de violence qui cache les failles.

Quand on lit ce livre, on se dit que les études masculines ont encore du chemin à parcourir. Disons que chez Cespedes, ses grandes généralisations, ses discussions avec ses amis et son petit côté “hédoniste / honnête homme / sexuellement accompli” font un peu sourire. Mais je préfère largement aux théories moisies des masculinistes revanchards. Ou aux apprentis sociologues qui ont lu “La domination masculine” de Bourdieu et qui m’explique en conférence que rien de valable n’a été écrit avant et que depuis, tout à été dit.

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