Kro radicale

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Un peu de douceur dans ce monde de brutes, parce que la Kro ne fait pas dans la dentelle :

John Stoltenberg, Refuser d’être un homme. Pour en finir avec la virilité. Avant-propos de Christine Delphy, Mickaël Merlet, Yeun L-Y, Martin Dufresne, Patric Jean

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Soyons clair, ça ne va pas être simple de faire une synthèse nuancée et éclairée de ce livre.

L’idée centrale, exprimée de manière très directe dans le titre, est qu’il faut refuser, en tant qu’être humain mâle, d’adhérer à une identité masculine qui serait construite sur un principe de domination des hommes sur les femmes.

Donc, Stoltenberg dénonce l’injonction : « Sois un homme ! » car elle présuppose un ensemble de comportements qui conditionne les hommes à devenir des dominants et à façonner la société à leur avantage.

Ces textes ont été écrits entre 1975 et 1987. Beaucoup d’entre eux sont des discours, ce qui explique leur écriture, qui peut paraître grandiloquente à l’écrit car un texte destiné à être prononcé ne fonctionne pas sur la même rhétorique qu’un texte destiné à être lu uniquement.

De plus, Stoltenberg se place dans la lignée du féminisme marxiste radicale des années 70-80, avec un discours qui manie la subtilité et la nuance un peu comme Conan manie l’épée. Néanmoins, pour comprendre cette radicalité, il faut se souvenir que dans les années qui suivirent mai 68, les féministes françaises se sont séparées des marxistes, une fois que certains leur ont expliqué que si une femme est violée par un travailleur, il faut qu’elle se montre solidaire et qu’elle ne porte pas plainte. Il l’a violé parce qu’il est aliéné par le patriarcat.

Ca ne voulait pas dire qu’il n’y avait rien à prendre dans le discours marxiste, mais plutôt qu’il ne suffit pas d’être d’extrême gauche pour être vigilant face à toutes les formes de domination.

Enfin, Stoltenberg ne s’inscrit pas du tout dans les analyses modernes autour du genre, de la sexualité et des questions queer ou trans.

Nous nous situons dans le cadre théorique classique des rapports sociaux de sexe. Sa position n’est pas une analyse sociologique définitive de ce que c’est que d’être un homme aujourd’hui. C’est une charge contre le patriarcat, dans une conception hétérosexuel et cisgenre des rapports sociaux de sexe.

(bon, ok, c’est technique, hein, ça, c’était mon « passage » pour les professionnel-le-s de la question… juste pour être claire)

(sachant que vous ne le savez peut être pas, mais je peux pinailler des heures sur des histoires de terminologies et de concepts, même à 2 heures du mat, après une Pina Colada, j’adore ça, on peut être une nerd d’absolument n’importe quoi).

Revenons à Stoltenberg.

Est-ce qu’un discours aussi « cash » que celui de Stoltenberg est pédagogique ? Sûrement pas. Il ne s’agit pas non plus d’être « pour » ou « contre ». Ce n’est pas un gourou dont il faut accepter chaque parole. Ce n’est pas non plus des écrits de sociologue : ce sont des discours, il y a donc peu de références scientifiques. En somme, ce sont des textes militants qui expliquent littéralement et crûment ce que notre culture sous-entend quand elle enjoint les humains mâles à devenir des hommes.

Si la lecture des textes est finalement redondante, certains d’entre eux valent réellement le détour.

En particulier, le texte sur l’Ethique du violeur.

Il est totalement aberrant d’imaginer que le viol est le résultat de quelques monstres malfaisants ou de quelques déséquilibrés, puisqu’il y a en France entre 50 000 et 75 000 viols par an. Ce ne sont pas quelques individus détraqués, mais une fabrication de la virilité fondée en partie sur l’angoisse : ne pas y arriver, ne pas bander, ne pas être assez viril.

Pour se rassurer, dominer et s’assurer continuellement sa puissance sexuelle est nécessaire. Mais pour pouvoir le faire l’esprit tranquille, dans son bon droit, il faut être également convaincu que la personne que l’on va dominer le souhaite, voire le cherche ou le mérite. Et que ce comportement de prédateur est ce qui vous fait homme, est approprié pour vous. Donc, vous n’avez pas d’autre choix que de vous y conformer. C’est votre nature même.

Un homme, un vrai, doit pouvoir prendre, avoir ce qu’il veut, l’imposer. Tous les hommes qui veulent mériter de faire partir du club doivent adhérer à cette croyance. Le « club » permettant ensuite de conforter ces hommes sur le fait qu’ils font ce qu’ils doivent faire, qu’ils se comportent comme des hommes normaux. Ce qui explique aussi comment des hommes ne comprennent pas qu’ils sont en train de violer quand ils le font, puisque que comme le résume Stoltenberg : « violer, c’est bien, mais se faire violer, c’est mal » D’ailleurs, la formule « se faire violer » est en soi une accusation portée sur la victime. Car quand on « se fait faire » quelque chose, c’est qu’on est volontaire pour que la chose nous arrive. On ne se fait pas violer, on est violé.

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Un autre chapitre tout à fait intéressant est sur les droits reproductifs : pour être un homme, il faut s’imaginer avoir la possibilité d’engendrer à chaque rapport sexuel. (ce discours était très net au moment de la légalisation de la pilule en France. J’espère qu’il s’est tout de même tassé)

Ce qui entraine des résistances à l’avortement et des discours culpabilisants envers les femmes qui avortent, sous couvert d’un habillage de morale religieuse mais qui en réalité se niche dans une virilité qui a besoin de l’existence du foetus pour croire en elle.

Un des derniers articles tâcle les hommes soi-disant conscientisés. Ceux qui se disent féministes, responsables et pas machos pour 2 sous et qui soudain, le jour où une femme a une promotion et pas eux, parlent de promotion canapé. Ou ceux qui disent « toutes des salopes » le jour où une femme (a priori pas emblématique de la totalité des femmes) leur fait un sale coup.

Et ça, ne ricanez pas, je l’ai déjà entendu.

Bref, « Refuser d’être un homme » n’est certainement pas une lecture tranquille pour les hommes de bonne volonté. Comme Franz Fanon n’est pas une lecture tranquille pour les blancs. Il est très facile de considérer ses privilèges comme quelque chose de normal, son comportement de dominant comme allant de soi. Il suffit de relire Eribon (pour réviser la Kro précédente) pour se rendre compte que ce raisonnement marche également très bien quand on est issu des classes moyennes ou supérieures, par rapport aux classes populaires.

Il y a très longtemps, ce livre de Stoltenberg m’a été conseillé par leo thiers-vidal, à une époque où il n’était pas traduire. En le lisant, j’ai beaucoup pensé à lui en imaginant le grand sociologue qu’il aurait pu devenir.

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