Sur les conseils de Leirnette, j’ai regardé 13 Reasons Why une série de Brian Yorkey avec Dylan Minnette et Katherine Langford Et j’ai même écouté sa bande originale. Je vous la conseille. Elle mélange du vieux (Cure, Joy division), du neuf (Lors Huron ??) et du cover (étonnante reprise d’Only you d’Alison Moyet) Et faut que je l’avoue, un soir, j’ai regardé 13 reasons why sur le canapé en mangeant des coquillettes au beurre.
Leirnette m’a accusé d’avoir 16 ans. Le visionnage de cette série présente donc plus de danger qu’il n’y parait… j’y reviens en fin de Kro. L’intrigue se passe dans un lycée américain banal. Clay Jensen, un jeune nerd (donc timide) et secrètement amoureux d’Hannah Baker, une jeune fille de son lycée qui s’est suicidée. Après la mort de celle-ci, Clay découvre sous son porche une mystérieuse boîte composée de 13 cassettes audio. Sur ces cassettes, Hannah explique les 13 raisons l’ayant poussée à mettre fin à ses jours. Chacune de ces raisons correspondant à une personne. Il va donc écouter toutes les cassettes, afin de savoir s’il fait partie d’une de ces 13 raisons. « 13 reasons why » est une série adaptée d’un livre de Jay Asher (il parait que la fin est différente… je me demande si je ne vais pas le lire…). Elle a eu un énorme succès, à faire mentir les discours sur le fait que les jeunes sont des crétins justes bons à regarder Hanouna. Cette série reprend les codes des séries pour ados américains avec les personnages archétypiques du lycée : le gosse de riches dont les parents passent leur temps à skier à Aspen plutôt que de s’occuper de leur fils, les sportifs (Jocks), les intellos asociaux (Nerds), les bizarres (Freaks), les cheer leaders (je laisse tomber le terme français de Pom pom girl qui ne ressemble à rien)… et les salopes. Bien sûr, ce sont des archétypes. Mais ils ont un pouvoir performatif : parce que leur existence marque la vie du lycée, les jeunes tendent à s’y conformer ou au moins à y trouver une identité, ou à ranger leurs collègues dans ces cases, avec tout ce que la catégorisation a de simplificateur. A partir de ces figures, l’histoire va passer derrière les façades, au moyen d’un suspens bien mené (mais que s’est-il vraiment passé ?qu’est-ce qui a amené cette fille au suicide ? Le héros avec lequel on sympathise est-il vraiment innocent ?) et nous montrer le quotidien d’un établissement scolaire où les ados sont centrés et repliés sur eux-mêmes, malgré leur apparence de vie social. Cette série est suffisamment subtile pour ne pas pointer de méchants, certains de ces jeunes sont plus « coupables » que d’autres mais tous sont pris dans les compromissions, des débats, des angoisses… un égoïsme qui les fait agir comme ils agissent.
Ainsi se développe une culture du harcèlement que l’établissement n’interrogera que par crainte du procès, après le suicide. Ainsi perdure aussi une culture du viol : un ensemble de croyance sur le viol qui tend à l’excuser, le tolérer dans « certaines circonstances » et qui en général partage la faute avec la fille. En effet, tout commence par une photo de Hannah, prise par un des Jocks. Sur cette photo, elle descend un toboggan et sa jupe vole. Photo innocente ? non car on aperçoit sa culotte. Cette photo sera montrée fièrement aux copains car ici, elle est avant tout un support de virilité pour la socialisation entre garçons, puis balancée sur les réseaux. Et voilà comment Hannah, fraichement arrivée à l’école, isolée après le départ de sa meilleure amie, récupère une réputation de salope, d’autant plus difficile à vivre que le baiser qu’elle a échangé ce soir-là avec le beau sportif, était son premier baiser. Il n’y a eu qu’un baiser… mais cette photos serait une preuve d’autres pratiques dont seule la fille doit porter le blâme. Cette scène fondatrice en dit déjà long sur les rapports adolescents. Justin, le Jock qui a pris la photo respecte les codes de son groupe : on n’est pas amoureux, on n’est pas romantique, on est des vrais mecs, ce qui sous-entend : les filles sont nos proies. Que pense-t-il vraiment d’Hannah ? et des filles ? Il est probable que lui-même ne s’offre pas le luxe de se le demander, tellement il lui importe d’avoir sa place dans le groupe. Quand son pote partage la photo d’Hannah, il le trouve con, mais ça en reste là. Mais pour Hannah, les choses s’emballent sans que personne n’en perçoivent la gravité (après tout c’est juste drôle, non ?). Avoir une salope à pointer du doigt permet aussi à certaines filles de détourner l’attention d’elles-mêmes. Après tout, il y a une réputation qui est déjà foutue, faire courir des rumeurs sur les autres, ça prouve qu’on est une fille bien. (Bon, j’ai écrit un article là dessus, c’est pour ça que ça me parle.) Bien sûr, ce n’est pas pour cette photo qu’Hannah s’est suicidé. La somme des 13 raisons est bien plus complexe.
Et bien sûr, on se demande si quelqu’un aurait pu la sauver…. la réponse est d’ailleurs tous. Tous les 13 auraient pu ainsi que bien d’autres. Les parents sont probablement les plus épargnés de l’affaire, ce qui fait toute la subtilité de l’histoire. Ils sont aimants, ils sont attentifs, ils sont pris dans leurs problèmes du quotidien… certes, ils ne voient pas venir les choses, mais surtout parce qu’ils sont maintenus au-dehors par leur fille qui pense : « ils ne peuvent pas comprendre, ils ont d’autres problèmes, je suis une charge pour eux… s’ils savaient, ils m’aimeraient moins… » Nous verrons ainsi différents types de parents dans cette série, des toxiques, des attentifs, des absents.
Oui, cette série est violente et j’ai vu des articles mettant en garde contre ses effets sur les ados… traumatisantes, poussant au suicide, etc. Alors, tout d’abord, non, ce n’est pas une série pour les enfants : ce n’est pas parce que c’est une histoire de jeunes qui ont 15-18 ans que c’est le club des 5 et qu’on peut la voir dès 10 ans. Ensuite, c’est de l’hypocrisie de dire que cette série est trop dure pour les ados. Si vous les laissez aller au lycée, alors vous pouvez les laisser regarder la série. L’engouement qu’elle a suscité prouve bien qu’elle parle aux ados de choses qui les touchent et on n’est pas obligé de leur donner en pâture uniquement des histoires mièvres, rigolotes ou se passant dans des univers imaginaires (et loin de moi l’idée de critiquer les univers imaginaires). Ces histoires où les ados se font tout un monde de problèmes triviaux permettent aussi aux adultes de faire durer leur image du monde merveilleux de l’enfance (ou d’exorciser leurs propres souvenirs adolescents) en imaginant que ça n’arrivera jamais à leurs enfants… Ce n’est pas parce que les ados ont des problèmes d’ados que ces problèmes sont triviaux ou anecdotiques. A aucun moment, cette série ne banalise le viol même si elle le montre de manière explicite (et contrairement à Game of throne, c’est le point de vue de la victime qui est central, et pas celui des hommes auteurs ou témoins). Elle ne banalise pas le suicide non plus : elle montre bien qu’Hannah n’a pas agi sur un coup de tête après une ou deux vexations… et aussi que, à tout moment, avec plus d’empathie, moins d’égoïsme et moins de conformisme, on aurait pu l’éviter. Le suicide est la 2e cause de mortalité chez les jeunes (après les accidents de voiture), il est peut être temps qu’on traite le sujet, plutôt que de se retrancher derrière l’excuse : si on en parle, ça crée des épidémies. Et enfin, cette série montre aussi les conséquences d’un système scolaire américain où l’accès à l’université est hors de prix. Les Jocks sont considérés comme des demi-dieux, adulés par tous et intouchables car ils font la célébrité d’un établissement scolaire. Et si on est ni sportif ni riche, il faut sortir du lot : en s’engageant dans la vie associative, en prenant des responsabilités et surtout, en préservant sa réputation pour éviter qu’une université vous refuse pour faute morale… Bref, quel que soit votre âge, c’est une excellente série, avec d’excellents jeunes acteurs. Et si vous vous intéressez à l’éducation, à l’adolescence et aux rapports sociaux de sexe, elle vous donnera du grain à moudre.
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