Kro metoo

Laure Murat, une révolution sexuelle ? Réflexions sur l’après-Weinstein

Vous vous souvenez, il y a un peu plus d’un an, en octobre 2017, il s’est passé quelque chose de très très bizarre : le plus gros secret de polichinelle du monde a été révélé en place publique.

Simultanément, les femmes ont découvert que toutes les femmes ou presque partageaient un vécu d’agression ou de harcèlement sexuel. Elles savaient qu’elles étaient nombreuses, mais pas forcément aussi nombreuses… Pour autant, elles n’ont pas vraiment été surprises. Les hommes, eux, sont tombés des nues. Ils en avaient entendu parler, mais n’avaient jamais réalisé à quel point le harcèlement était le quotidien des femmes.

Quand j’ai vu ma page Facebook se remplir de messages d’amies qui écrivaient #metoo… j’ai été partagée entre un sentiment d’insécurité et la satisfaction de voir la vérité sortir. Mais c’était surtout triste.

Et il y a eu un avant et un après. Même si le changement est parfois hypocrite (l’industrie du spectacle qui « découvre » horrifiée qu’il y a des agresseurs parmi ses stars…), des mesures ont été prises.

En gros, le scoop, c’est qu’on avait 2 populations qui vivaient ensemble, l’une n’en parlait pas assez, l’autre ne voulait pas l’entendre et au besoin, la faisait taire. Et les choses fonctionnaient ainsi depuis… fouya… toujours ?

Évidemment, à la suite, on a entendu toutes sortes de choses : « À cause de #metoo, on ne sait plus comment aborder les femmes ». Erreur de causalité de débutant…  la faute ne revient pas aux femmes qui dénoncent, mais remonte à l’étape d’avant : au comportement des porcs qui ont été balancés.

On a eu aussi : #notallmen voire #Balancetonmecsupercool. Ben oui, évidemment, on sait bien que not all men. C’est comme si je disais à mes étudiant-es : « Nous prenons des mesures anti-plagiat » et qu’ils et elles me répondaient : « oui, mais moi, je ne triche pas ». Chouette, mais c’est pas là le propos. C’est quand même un peu normal d’énoncer la loi pour tout le monde et pas d’attendre de chopper des coupables pour l’énoncer juste pour eux. C’est également curieux de demander à avoir une médaille parce qu’on se comporte juste normalement.

Il y a eu aussi les craintes de délation. Pourtant, dire « je suis victime », c’est très différent que dire  » C’est X le coupable ». Par ailleurs, dénoncer un crime, ben, ce n’est pas de la délation. C’est dénoncer un crime. Dissimuler un crime par intérêt, honte, peur ou copinage, c’est tout sauf de la justice. Définition de délation : « Dénonciation inspirée par des motifs méprisables ». Confondre #balancetonporc avec de la délation, c’est décrédibiliser un mouvement pour des motifs méprisables (sauver sa peau).

Mais malgré ces effets de bords, malgré les tentatives de décrédibiliser la paroles des femmes (et passons encore la pitoyable tribune sur le droit d’importuner), le raz de marée des témoignages a fait qu’il devenait impossible, pour la première fois, de nier la réalité : quasiment toutes les femmes se sont faites agressées. Bien des hommes se sont sentis l’impunité de le faire, un peu, beaucoup, systématiquement. Et la quantité des agressions (de l’insulte au viol, en passant par le mépris et l’objectivation) explique littéralement pourquoi aborder une femme à l’improviste, ça ne peut pas être une fantaisie légère (et oui  moi aussi, je le regrette, ce serait bien plus sympa si les rapports étaient harmonieux et non anxiogène, surtout pour les femmes, d’ailleurs).

Laure Murat vit aux Etats-Unis. Elle a vécu #metoo de part et d’autre de l’Atlantique. Elle analyse la réception de #metoo dans la culture américaine soi-disant pudibonde (mais en réalité orientée par la loi et l’argent : y aura-t-il procès ? y aura-t-il dommages et intérêts ?), et dans la culture française, soit-disant libérée (mais en réalité obnubilée par une « liberté » sexuelle au service du fantasme de la masculinité hégémonique).  C’est une historienne qui écrit un livre « à chaud » sur une affaire encore en cours de développement. C’est un risque ou un pari, effectivement pas tout à fait réussi, dans le sens où elle (comme le reste du monde) manque encore de recul pour traiter de ces événements.

Elle commence par une synthèse fort intéressante de l’affaire Weinstein et ses rebonds (Kevin Spacey, le juge Kavanaugh,) etc, puis ouvre des pistes de réflexions dans toutes sortes de direction : la culture du viol, la mise en scène des rapports hétérosexuels dans les films et enfin le point qui m’a semblé le plus intéressant : la différence entre céder, consentir ou être réellement partante.

La limite de ce livre c’est qu’elle s’arrête aux portes de ces questions sans aller vraiment plus loin que le constat. Mais c’est intéressant de le lire pour faire un point sur la question, en attendant la suite.

Car la grande question du livre : « A-t-on assisté enfin à une vraie révolution sexuelle ? » on ne peut pas encore y répondre.

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