Kro Genre et privilège


Pour célébrer cette journée mondiale de lutte contre les LGBTphobie, je me suis dit que j’allais faire une petite Kro « Genre ».

Arnaud Alessandrin : Déprivilégier le genre

Arnaud Alessandrin est sociologue. Il travaille sur la question trans* et les LGBTphobies.  Son dernier livre, sorti cette année, est difficilement qualifiable… peut-être que l’appellation qui lui conviendrait le mieux serait : essai sociologique. Ce n’est pas un livre pour spécialistes des questions genre, même si une certaine connaissance du domaine est nécessaire pour totalement l’appréhender. C’est un livre sociologique parce que de nombreuses recherches sont citées, c’est un essai parce que c’est bien écrit (non pas que les sociologues écrivent mal !), disons que c’est écrit d’une manière plus littéraire et plus jolie qu’un livre de sociologique.

En une centaine de pages, l’auteur va visiter différentes dimensions du genre pour voir comment le déprivilégier. On a déjà déjà écrit qu’il fallait défaire le genre (Butler) ou se dépendre du genre (Duru-Bellat ? Marro ?) Arnaud Alessandrin veut plutôt lui retirer ses privilèges.

Commençons par une petite définition du genre pour voir de quoi on parle… (en mode simple, parce que je pourrais y passer des heures, c’est mon dada). Quand vous êtes sociologues matérialistes, comme moi, vous considérez que le genre est un système de normes de sexes hiérarchisés, le masculin valant plus que le féminin. Dans ce système, les hommes doivent être masculins et les femmes féminines. Une femme mobilisant des éléments considérés comme masculins sera possiblement mal reçue car elle sort de son rang et se permet une incursion dans un territoire tabou pour son sexe (car chasse gardé du groupe dominant). Un homme jugé féminin sera méprisé parce qu’il se déclassera au rang des femmes. Le genre, c’est donc le système qui fait tourner ce mécanisme, alimenté par les rapports sociaux de sexe (la domination masculine pour aller vite). Un-e sociologue matérialiste considère que le genre est l’ennemi principal des femmes et de certains hommes, car c’est le genre qui induit la domination masculine.

Quand vous êtes sociologue queer, vous commencez pareil, mais pour vous, le genre se rattache plutôt à l’identité de chacun. Le genre c’est un ensemble de normes, mais c’est aussi la manière dont individuellement on va jouer de ces normes ou les subir. En réalité, nul-le n’est jamais totalement binaire (totalement masculin ou totalement féminin). Entre ces deux pôles, il existe de nombreuses variations, c’est la fluidité du genre, qu’explorent plus particulièrement les personnes trans*, c’est-à-dire celles qui ne veulent pas que leur catégorie de sexe d’état civil leur dicte leur « genre » c’est-à-dire l’ensemble des normes de sexe auquel elles devraient adhérer pour être considérées comme « normales » dans une société donnée, à une époque donnée.

Certes, le genre vient avec une hiérarchie, c’est bien le problème. Une utopie Queer serait un endroit où on pourrait jouer librement avec le masculin et le féminin, avec sa sexualité et ses préférences sexuelles, sans que rien de cela ne soit binaire (homo/hetero) et sans lien avec le fait que vous soyez biologiquement mâle ou femelle, ou intersexe, catégorie dont on visibiliserait l’existence. Seulement, l’Utopie queer, on en est loin : le genre a l’air d’être une chose trop importante pour être laissée à la disposition de Monsieur ou Madame Tout le monde… La binarité du sexe et de la sexualité passerait avant tout : ce serait une sorte de loi suprême, absolue, sans laquelle la société s’effondrerait. Déprivilégier le genre, ce serait dire : on peut faire des tas de choses variés avec le genre, plutôt que de l’ancrer dans un schéma immuable, rempli de normes, de tabou, de présupposés biologiques.

Le livre s’ouvre sur une note optimiste : « Nous ne sommes jamais totalement socialisés par le genre, mais le genre nous socialise partout. » Ce qui signifie que nous avons toujours une marge de manoeuvre, même si le genre s’insinue dans tous les recoins du social. Arnaud Alessandrin propose de déprivilégier de genre c’est-à-dire d’abattre la domination masculine. Puis de dégénitaliser le genre : mâle / homme / masculin et femelle / femme / féminin sont des catégories qui méritent d’être brassées. Ensuite, on pourra aussi débinariser le genre : si on ne nait ni femme ni homme et qu’on le devient, peut être peut on aussi  imaginer qu’on devient autre chose, ou comme dirait Butler, qu’on n’a jamais fini de devenir.

Pour finir, une fois que le genre se sera débarrassé de ses contraintes, pourquoi ne pas l’exacerber, jouer avec, le mettre en scène dans des expériences Drag ? Bref, à la suite de Judith Butler, Arnaud Alessandrin plaide pour une société respirable pour tous, toutes et les autres, où le genre, ayant perdu ses privilèges, pourrait devenir l’expression de notre liberté.

 

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