Dernièrement, un site Internet agite le monde de l’Education nationale: il s’agit de note2be.com, un site sur lequel on peut noter ses enseignants sur des critères comme la qualité d’écoute, la patience, la pédagogie. Il n’y a rien d’insultant, pas de jugement du genre: il est moche, elle est con, etc.
Photo mise en ligne Lambday sur Flickr.com
Résultat : tollé dans l’Education nationale, un tas de syndicat d’enseignant se met à gueuler en disant que c’est réducteur, dangereux, etc. Et n’hésitant pas à se lancer dans les amalgames les plus osés, certains y voient la porte ouverte vers la dénonciation publique et le lynchage organisé. Même le Ministre de l’éducation s’est senti obligé de donner son avis : il condamne l’initiative et rappelle que seuls les inspecteurs et chefs d’établissement sont habilités à noter les enseignants. La CNIL (Commission nationale informatique et liberté) a été saisie pour interdire le site.
La réaction la plus drôle vient peut-être du syndicat des lycéens qui signale : ‘personne hormis les inspecteurs formés à cet effet dans l’Education Nationale, n’a la compétence notamment en matière pédagogique pour évaluer objectivement les professeurs’. En somme, les élèves qui côtoient quotidiennement le prof ou la prof, parce qu’ils sont des enfants, n’ont pas la capacité de juger si l’enseignant leur faire du bien, parce que, comme chacun le sait en pédagogie : « C’est pour ton bien » ou encore comme dit le père de Calvin (et Hobbes, la BD) : « Being miserable builds characters ».
Ce site n’est certainement pas la solution au problème de l’évaluation des enseignants. Mais on peut rappeler quand même:
* En France, on ne demande jamais aux élèves d’évaluer leurs profs, jamais, jamais (sauf écoles expérimentales). Dans la formation continue ou professionnel, on le demande toujours. Les enfants (à cause de leur statut d’enfants ?) n’ont jamais voix au chapitre, qu’ils aient 3 ans ou 25 ans. Pourtant, à 3 ans comme à 25 ans, on est capable de produire une évaluation sur son enseignant, ya pas besoin d’être « formé ». Les stagiaires en formation continue sont-ils formés pour juger leur formateur ?
* Les inspecteurs de l’éducation nationale, s’ils produisent régulièrement un vent de panique en arrivant dans les établissements, produisent des évaluations parfois arbitraires, de parti pris, incomplètes, facilement contournables par un mauvais prof plein de ressources, peu indépendantes…
* La France est le pays qui possède l’école la plus évaluative (pour les élèves, bien sûr) et dans lequel l’évaluation des enseignants, structures pédagogiques et dispositifs est un puissant tabou.
* La France fait aussi parti des pays dans lequel les enfants se sentent les plus mal à l’école, y compris les bons élèves.
* L’éducation nationale a mis sur pied un fichier des élèves depuis la primaire où des tas d’informations sont notés, comme le pays d’origine des parents, par exemple. Ou encore des éléments sur le parcours scolaire. En théorie, bien sûr, c’est pour aider pédagogiquement les profs. Ça me semble surtout stigmatisant d’inscrire une fois pour toute la vie scolaire les accidents de parcours. En outre, c’est un bon moyen de ficher des potentielles familles sans papier. Les parents ont été mis devant le fait accompli : ce fichier est obligatoire, on ne peut pas demander à ce que son enfant en soit retiré. Cette obligation piétine une des règles de base de la CNIL, pourtant, le fichier a été autorisé.
Un des nœuds du problème me semble venir d’une confusion dans les termes : à l’école primaire, on ne fait plus d’interro ou de contrôles, on fait des « évaluations ». A par ça, bien sûr, c’est tout pareil. Evaluation, c’est devenu un synonyme de notation et finalement, de sanction, en direction des élèves. Donc, quand les enseignants entendent qu’on les évalue, ils imaginent bien qu’on veut les sanctionner.
Ce site met les pieds dans le plat, d’autant plus que nous sommes dans une période où on cherche à renforcer l’autorité des enseignants sur les élèves : enseignants et élèves ne sont pas sur le même plan, il y a le détenteur du savoir et le récepteur du savoir, celui qui connaît les valeurs, celui qui doit humblement les intégrer.
Ce site met les pieds dans le plat d’un point aveugle, d’un serpent de mer de l’éducation nationale : l’évaluation (et pas la sanction) des enseignants. Il montre aussi que la pression évaluative mise sur les élèves finit par être perçue comme injuste puisque totalement unilatérale. Je pense que ce ne sera qu’un feu de paille… mais c’est peut-être le début.
7 réponses à Kro qui note des profs…