Livre :
Philosopher ou l’art de clouer le bec aux femmes de Frédéric Pagès
« Où sont les femmes philosophes ? » demande Jean-Baptiste Botul, un philosophe de tradition orale (dont j’ignorais totalement l’existence). Pagès et Botul, partant du principe que les femmes sont aussi bien équipées que les hommes pour produire du concept, en déduisent que les philosophes, de Socrate à Nietzsche se sont appliqués à les mettre dehors.
Tout d’abord, Pagès ne croit pas plus en La Femme Eternelle qu’en La Philosophie. Il existe des femmes et des philosophies et c’est bien quand on passe au singulier que les problèmes se présentent.
Le conflit entre les hommes philosophes et les femmes a commencé très tôt. Quand Socrate met au point son style particulier de philosophie appelé le dialogue, cette conversation à quelques uns qui permet de débattre brillamment mais sans céder à l’envolée rhétorique, il fait partie du cercle d’Aspasie, une femme méconnue, même pour ses biographes, mais qui a incontestablement permis de développer chez les grecs l’art de la conversation et de l’écriture.
Mais quand Platon met en scène Socrate, le casting est uniquement masculin, que ce soit au banquet ou sur l’agora. « Aspasie et ses copine ont participé à l’histoire de la philosophie mais elles ne sont pas sur la photo. Tout est une question de cadrage. Depuis Platon, les femmes peuvent participer à la philosophie, mais elles doivent rester hors champ.»
Les philosophes vont avoir tendance aussi à être donneur de leçons, oubliant que la philosophie, c’est savoir douter et se remettre en question, ils viennent parler en chair pour asséner des vérités décontexualisées de l’expérience commune mais très sérieuses, quoiqu’inutilisables. En passant, Pagès va mettre un coup de griffe à Onfray, certainement pas le philosophe le plus misogyne, loin de là, mais quand même un petit peu pédant dans une conversation avec Nicole Garcia..
Il faut dire que les philosophes ont beaucoup rêver que leur art « constituerait un territoire hors sexe, un no sex land, un lieu où le sexe de celui qui parle n’a aucune influence sur les questions qu’il pose. Un lieu qui organiserait le neutre. » C’est séduisant, mais malheureusement, c’est un leurre, ça ne marche pas. D’ailleurs, Platon pensait qu’il fallait être vieux pour philosopher. Avant, « il ne pouvait s’agir que de courrier du cœur amélioré » ! Nous sommes trop agités par nos sentiments, la sagesse ne peut pas venir.
[Commentaire personnel : la meilleure façon d’ailleurs de vivre dans cette mythologie « asexe », c’est d’évacuer la différence des sexes en évacuant un des deux sexes. On retrouve un paradis sans altérité, non pas parce que les sexes ont fusionné ou se sont effacés, mais parce qu’il n’en reste plus qu’un.]
Mais peut-être que si on compte si peu de femmes en philosophie c’est parce qu’on compte mal. « La philosophie est une activité presque difficile à cerner que la confection dans les ateliers du XIIIe arrondissement de Paris ». En fait, la Philosophie qui parle pour l’Universel, c’est peut-être la seule qu’on veut prendre en compte et c’est celle-là qui a volé la parole aux femmes. Une philosophie plus paritaire serait peut-être une philosophie qui commencerait par ne pas se couper des choses et donc ne couperait la parole à personne.
Publier dans la toute petite collection des 1001 nuits, c’est un très court, très simple à lire, rempli de questions dont on peut longtemps discuter et plein d’humour. Un vrai plaisir.
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