Kro du bord d’un toit…

De « L’Ennemi Principal » aux principaux ennemis : Position vécue, subjectivité et conscience masculines de domination,
Soutenance de thèse de léo thiers-vidal le 26 octobre à l’ENS-LSH de Lyon, sous la direction de Christine Delphy

Le but de cette thèse est d’explorer la conscience masculine de domination en utilisant comme cadre théorique le féminisme matérialiste. léo thiers-vidal part de l’hypothèse que les hommes, parce qu’ils ont une expérience sociale de dominants, sont non seulement conscients de leur position de dominants, mais qu’en plus, ils font sciemment usage de leur position de dominant pour en tirer des profits personnels.

Bien sûr, tous n’en font pas usage de la même manière ni aux mêmes fins, mais même les plus engagés (ou les plus honnêtes) en profitent sans l’avoir recherché.

Lors de la soutenance, Patricia Roux a rappelé une étude de psycho-sociale (qu’elle avait conduite si je ne m’abuse) où on interrogeait les hommes sur la domination des femmes. On aurait pu résumer l’étude par « Toutes les femmes sont discriminées, sauf la mienne » : si une écrasante majorité des hommes pensent que les femmes sont discriminées, 2/3 d’entre eux sont convaincus que ça ne les concerne pas.

Le cheminement empirique de léo thier-vidal s’effectue à travers trois types d’entretien – non-directif, semi-directif et groupes focaux – avec huit hommes, engagés ou non à partir du féminisme matérialiste. Ils lui permettent de « documenter et inventorier les contours empiriques d’une telle conscience masculine de domination: une conscience politique positionnelle, interactionnelle et réflexive ».

Le travail empirique très poussé et détaillé de léo montre que sous une apparente inconscience, il existe en fait des stratégies de domination active de la part de ces mêmes hommes. En outre, il demeure un point aveugle, sur lequel ils se montrent particulièrement peu inspirés et qui concerne le mépris des femmes, alors qu’ils sont bien plus bavards par exemple sur la violence. (lire à ce sujet : De la masculinité à l’anti-masculinisme : Penser les rapports sociaux de sexe à partir d’une position sociale oppressive)

léo thiers-vidal se livre également à une analyse critique très précise et définitive des études masculines (en particulier Bourdieu et Weltzer-Lang) cherchant à mettre en avant la souffrance des dominants, ou encore la prison du genre dans lesquelles les hommes seraient enfermés (lire sur ce sujet : Le masculinisme de « La domination masculine » de Bourdieu)

Si cette souffrance existe, il convient pourtant de ne pas tenter de l’exporter hors du cadre où elle a un sens et en particulier, de ne pas venir l’articuler à celle des femmes prises dans le système de domination masculine (j’espère ici ne pas trahir sa pensée).

A titre de comparaison, la souffrance des hommes n’est pas plus pertinente pour analyser la domination masculine que le stress des patrons n’est pertinent pour analyser la domination de classe. A mon objection sur le fait que l’étude du stress des patrons pouvait permettre de mieux comprendre les raisons de leur comportement oppressif, il répondait : « Bien sûr qu’on peut tenir compte du stress des patrons, mais cela n’aura pas grand impact – à mon avis – sur l’exploitation structurelle de la force de travail, sur le rapport détenteur de capital – détenteur de force de travail…« 

Pour Anne-Marie Devereux, le travail de léo, remarquablement documenté et construit, marque un point zéro sur la question des études masculines, solde des questions sur lesquelles il ne sera plus nécessaire de revenir (en particulier dans sa critique de Bourdieu ou de Weltzer-Lang) et ouvre un champ nouveau, extrêmement prometteur et intéressant pour la sociologie du genre et les rapports sociaux de sexe (même si pour léo, ces deux termes n’étaient que des étiquettes différentes d’un même concept).

Dans la nuit du 11 au 12 novembre 2007, léo nous a définitivement laissé-e-s nous débrouiller avec toutes ces questions. Le monde des hommes et des femmes est bien plus beau quand des individus tels que lui en font partie : on va faire de notre mieux pour continuer.

(je n’ai pas mis de majuscule à léo thiers-vidal pour respecter sa volonté quant à la manière d’écrire son nom.)

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