Black Kro II

Sister outsider d’Audre Lorde

Je vous avais promis une suite à la première Black Kro. Eh bien là voici.

Sister outsider d’Audre Lorde

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Audre Lorde est une féministe noire lesbienne américaine, poétesse et militante. Elle est née en 1934 et décédée en 1992.
Sister outsider est une compilation de textes sur les différents sujets qui pouvaient lui tenir à coeur, en particulier le féminisme, la lutte contre le racisme, solidarité entre femmes et l’écriture.

L’ouvrage s’ouvre et se ferme par 2 textes atypiques, 2 carnets de voyage, l’un à Moscou en 1976 et l’autre sur l’Ile de Grenade, autour de son invasion par les Etats-Unis en 1983.
Contrairement à ce que j’imaginais, ce sont peut être les textes que j’ai préférés. Dans le premier, elle raconte comment l’URSS lui montre un visage où le racisme et le sexisme ont disparu mais elle voit bien que ce n’est qu’une façade de propagande. Mais dans le même temps, elle discute avec un homme dans un village d’Asie très surpris d’apprendre qu’il faut payer pour se faire soigner aux Etats-Unis, et que le pain et le chauffage dans les maison coûtent parfois trop cher pour qu’on puisse se les payer.
Sa description de Samarcande est étonnante et donne envie d’aller voir.

Son texte sur l’Ile de Grenade a d’autant plus d’écho quand on le met en parallèle avec la guerre en Irak. Grenade avait renversé sa dictature et avait commencé un redressement spectaculaire de son économie, essentiellement en collectivisant les terres agricoles et construisant des routes à travers toute l’île. Le gouvernement avait également mis en place un programme d’échange de connaissance, où des gamins de 12 ans pouvaient apprendre à lire à des vieilles dames.

Sous prétexte de venir débusquer les espions cubains et de libérer les habitants de l’oppression, les américains ont envahi une île dont la communauté internationale se moquait bien, ont jeté par terre le gouvernement, ont perfusé les habitants à coup d’aide sociale et les ont obligé à cultiver pour l’exportation. A la Grenade, on s’est mis à trouver des dérivés de poissons pêchés à Cap Code, alors que les eaux sont très poissonneuses, on a bu du jus d’orange de Californie alors que l’Ile possède une vaste variété de fruits. En outre, cette invasion a permis de vérifier si les GI noirs américains étaient près à se battre contre des combattants noirs (d’autant plus que l’issus du combat était à peu près connu d’avance) : contrairement au propos des américains sur le fait que Cuba avait armé la Grenade, l’île ne possède que quelques hangars de fusils périmés.

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Ce livre comporte également de nombreux textes contre le racisme, racontant des expériences d’enfance et des expériences d’adultes. Elle y regrette en particulier le racisme des féministes blanches : on retrouve l’idée que “Toutes les femmes sont blanches et tous les noirs sont hommes” dont on parlait précédemment.
Elle s’élève également contre les discours qui prétendent que les femmes noires doivent rester en arrière de leur mari dans le but de lutter contre l’oppression raciste. La société américaine esclavagiste a produit une image dévirilisée de l’homme noir, faible, dominé. En parallèle, elle entretient le mythe de la femme noire qui, grâce à l’aide sociale, devient une “Welfare queen”, qui aurait tout le pouvoir à la maison, devant des hommes faibles, alcooliques et dominés. C’est une image de femme noire virilisée, qu’on imagine à la sexualité débridée, produisant de grand nombre d’enfants, forte comme un homme, très différentes des femmes blanches, fragiles, délicates, qui contiennent leur émotion, morales, etc.

Ce sont bien sûr 2 constructions racistes. Demander aux femmes noires de devenir des femmes délicates comme les femmes blanches et aux hommes noirs de devenir viriles et dominateurs comme les hommes blancs, c’est d’une part une manière de se soumettre aux normes des blancs pour pouvoir exister, et d’autre part reproduire un système d’oppression à l’intérieur d’une communauté qui en souffre déjà. D’où cette phrase célèbre d’Audre Lorde : “on ne détruira pas la maison du maître avec les outils du maître.”

2 types de textes sont encore présents dans cet ouvrage : sur l’écriture et la poésie. Elle y fait cette remarque tout à fait intéressante dans le texte : “La poésie n’est pas un luxe” :
“ Of all the art forms, poetry is the most economical. It is the one which is the most secret, which requires the least physical labor, the least material, and the one that can be done between shifts. »

Elle explique qu’elle a eu du mal à écrire des romans, qui demandait du temps en continue, du matériel, alors que des poèmes peuvent s’écrire sur un bout de papier, n’importe où, au travail, aux champs… C’est l’art des pauvres.

Le dernier type de texte traite de la solidarité entre femmes d’un amour ou élan généreux propre aux femmes.

Sister outsider est paru en français aux Editions Mamamélis, maison d’édition de Carouge, près de Genève.

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