Depuis le temps que je lis, que je travaille dans les rapports sociaux de sexe, je suis un petit peu blasée. Disons, on ne m’impressionne plus si facilement.
Virginie Despentes sort un essai féministe, ça m’intéresse. Mais je ne m’attends pas forcément à découvrir beaucoup de choses.
Pourtant, c’est bien un livre qui met par terre d’un coup de poing puis qui remet debout. Un livre au langage cru et violent, mais il le faut aussi, un livre qui m’a fait rire par moment, un livre qui dit fort des choses que je ne peux dire dans aucun des milieux que je fréquente ou presque sans me faire jeter des cailloux, un livre qui va le dire à ma place et en plus très bien, et c’est bien pratique.
King Kong Théorie de Virginie Despentes
Voilà en condensé le ton du premier chapitre :
J’écris de chez les moches, pour les moches, les vieilles, les camionneuses, les frigides, les mal baisées, les imbaisables, les hystériques, les tarées, toutes les exclues du marché de la bonne meuf. J’écris aussi pour les hommes qui n’ont pas envie d’être protecteurs, ceux qui voudraient l’être mais ne savent pas s’y prendre, ceux qui ne sont pas ambitieux, ni compétitifs, ni bien membrés. Ceux qui sont délicats, chauves, trop pauvres pour plaire, ceux qui ont peur dans le noir. Parce que l’idéal de la femme blanche, séduisante mais pas pute, bien mariée mais pas effacée, travaillant, mais sans trop réussir, maman épanouie, mais pas accaparée par les couches, bonne maîtresse de maison, mais pas boniche, cette femme blanche heureuse qu’on nous brandit tout le temps sous le nez, celle à laquelle on devrait faire l’effort de ressembler, de toutes façons, je ne l’ai jamais croisée nulle part. Je crois bien qu’elle n’existe pas.
Ensuite, elle s’en prend en vrac aux Zemour, Sollers et Badinter : on n’arrête pas de se faire engueuler dit-elle ! On se fait engueuler parce que les hommes ont peur. C’est tout de même épatant et pour le moins moderne, un dominant qui vienne chialer que le dominé n’y met pas assez du sien ! L’homme blanc s’adresse-t-il réellement aux femmes ou cherche-t-il à exprimer qu’il est surpris de la tournure que prennent globalement ses affaires ? On se fait aussi engueuler parce qu’on est trop victime, qu’on fait « fausse route » quand on raconte nos discriminations.
Par la suite, elle va passer en revue différente vision / version du sexe… Viol, pornographie, prostitution, mêlant une analyse juste, parfois qui me donne envie de polémiquer mais qui ouvre bien des réflexions de manière nouvelle, témoignages, force, le tout dans un féminisme radicale jamais haineux en bloc.
« Post-viol, la seule attitude tolérée consiste à retourner la violence contre soi. Prendre vingt kilos, par exemple. Sortir du marché sexuel, puisqu’on a été abîmée, se soustraire de soi-même au désir. En France, on ne tue pas les femmes à qui c’est arrivé, mais on attend d’elles qu’elles aient la décence de se signaler en tant que marchandise endommagée, polluée. Putes ou enlaidies, qu’elles sortent spontanément du vivier des épousables. » une solution ? Nier qu’on a été violée si on veut vivre ensuite normalement, sortir, continuer le sexe.
Elle a fait du stop pour aller voir des concerts. Elle a été violée. Elle a refait du stop pour aller voir des concerts qui était la chose la plus importante dans sa vie, quand elle était punkette. Si elle l’avait raconté, on lui aurait fait comprendre qu’elle n’aurait pas du. Ça ne l’avait pas calmé, ce viol ? C’est pas possible, c’est qu’elle a aimé ça ! C’est d’ailleurs ce que lui a dit un de ses violeurs, découvrant dans sa poche un cran d’arrêt dont elle ne s’était pas servie pour se défendre, sans admettre qu’à 2 filles contre 3 mecs, en foret, un cran d’arrêt contre un fusil, elles aient eu davantage peur de mourir que d’être violées. Mais ces mecs là aussi, avaient besoin de dire qu’ils n’avaient pas violé.
Virginie Despentes se tient mal, gueule fort, dit des horreurs et le revendique. Elle ne bâcle pas la réflexion parce qu’elle gueule. L’endroit où elle a rencontré le sexisme le plus virulent, elle qui avant se foutait pas mal du féminisme, c’est quand elle a commencé à écrire. Dans le punk rock sa « féminité » ne lui posait pas de problème. Et là, soudain, c’était à la fois toute une affaire et un handicap. Et incompatible avec sa façon de faire.
Ça m’a rappelé la fin de ma dernière conférence. Un homme est venu me voir en me disant qu’il avait été un peu perturbé par mon style en tant que conférencière : j’utilisais la caricature, l’humour, le charisme, l’autorité, la compétence pour faire passer mon message sur le sexisme. Au début, ça ressemblait à des compliments. Mais en fait, il trouvait dérangeant de me voir utiliser les armes « des hommes » pour attaquer le système patriarcal. Heureusement, j’étais en jupe, c’est peut-être ça qui m’a sauvé ! En gros, il aurait préféré que j’utilise les armes « des femmes » : le doute, la négociation, la douceur. Le charme, peut-être ? Combattre la pensée dominante avec des armes de faibles… Doit-on vraiment, quand on est femme, se réserver de faibles armes ?
Il y a un temps pour le doute, c’est l’espace de la recherche. En une heure de conférence « niveau débutant » sur un sujet si vaste, je ne sais pas faire la place au doute et en même temps, gérer les interruptions agressives qui ne manquent pas de survenir. Faut peut-être que je fasse des progrès, comme conférencière ou en tant que femme ?…
«Il y a des hommes plutôt faits pour la cueillette, la décoration d’intérieur et les enfants au parc, et des femmes bâties pour aller trépaner le mammouth, faire du bruit et des embuscades.» conclut Virginie Despentes. Que vous ayez choisi le côté du mammouth ou de la décoration intérieure, si le féminisme punk rock ne vous rebute pas, ce livre vous fera le plus grand bien.
3 réponses à Kro spéciale Despentes