Judith Butler, Défaire le genre
Judith Butler,
Défaire le genre,
Éditions Amsterdam (2006)
Je vois bien ce que vous allez dire : je fais rien que regarder des films et je fous rien de mes vacances. Et bien, pour la peine :
Défaire le genre a été écrit en 2005 et traduit en français en 2006.
En guise d’introduction, je dirais qu’à mon sens, Judith Butler est une des plus grandes théoriciennes du genre actuellement. Son premier ouvrage : Gender trouble a été traduit en français avec 10 ans de retard… et toute la pensée sur le genre et les rapports sociaux de sexe en France souffre gravement de ce retard. Le mot genre a été introduit à contre cœur, prudemment, il y longtemps servi de littéralement de cache-sexe (c’est-à-dire on dit genre pour ne pas dire sexe), il a été limité à une définition bien plate qui serait : le sexe social, laissant tombé toute la puissance subversive de ce mot. Bref, le seul inconvénient de Butler, c’est qu’elle est très difficile à lire. Alors qu’en interview ou conférence, elle est d’une grande clarté et d’une grande gentillesse.
Sur ceux, et pour les 3 lectrices ou lecteurs qui n’ont pas encore décroché…
Le genre (le fait de se montrer aux autres comme féminin, masculin ou toutes position intermédiaire ou en dehors) est défini comme une performance répétée, on pourrait dire aussi : une mise en scène de soi, en partie inconsciente, sur la base d’éléments socialement construits. Le genre peut être défini comme un dispositif qui produit les catégories normalisées du masculin et du féminin et les naturalise. Mais, ce faisant, il produit aussi en arrière-plan ou aux frontières tout ce qui ne rentre pas dans ces deux catégories.
Le genre est une norme sociale qui nous permet d’être reconnus en tant qu’être humain dans la société. Cette norme garantit la vie sociale et en même temps la menace : on ne peut vivre sans cette reconnaissance mais les termes de cette norme peut aussi bien nous rendre la vie invivable.
Certaines personnes sont défaites par la conception normative du genre, c’est-à-dire blessées dans leur personnalité. Défaire le genre serait se défaire de la norme qui nous a construits pour éventuellement se reconstruire, peut-être en construisant d’ailleurs d’autres normes.
S’interroger sur la norme du genre nous amène à nous questionner sur ce qu’est l’humain, quelles vies comptent pour la société en tant que vies humaines ? « Au niveau du discours, certaines vies ne sont pas considérées comme des vies du tout, elles ne peuvent être humanisées car elles ne correspondent pas au cadre dominant de l’humain et c’est à ce niveau qu’opère leur déshumanisation » (p.39). Ainsi peut-on expliquer qu’on pleure les morts du 11 septembre 2001, mais pas les morts irakiens.
De même, ceux et celles qui évoluent dans des relations humaines « hors normes » c’est-à-dire en dehors du couple hétérosexuel structuré par des relations sexuelles exclusives, voient la profondeur de leurs sentiments, la sincérité de leur attachement niée, qu’il s’agisse du / de la / des partenaires ou des enfants adoptés ou élevés en commun.
Etre rejeté dans l’inhumain, être exclu du réel, est un forme d’oppression totale : « être fondamentalement inintelligible (autrement dit, être considéré par les lois de la culture ou du langage comme une impossibilité) revient à dire que l’on n’a pas atteint le statut d’humain » (p.247). Cette déréalisation conduit à une oblitération de la violence infligée à certaines personnes du fait de leur mode d’expression du genre, jusqu’à mettre leur vie en danger.
Pour finir, Butler considère « qu’il s’agit de développer, dans la loi, dans la psychiatrie, dans la théorie sociale et littéraire, un nouveau lexique légitimant la complexité du genre dans laquelle nous avons toujours vécu » (p.248).