Vous avez peut être (ou pas) suivi l’affaire. Siné se fait virer de Charlie Hebdo sous prétexte d’antisémitisme.
Plus pragmatiquement, il semble bien que Philippe Val en avait marre de Siné depuis un moment et il a sauté sur l’occasion pour le mettre à la retraite. Il n’a probablement pas anticipé tout le foin que sa décision allait déclencher, mais en même temps… allons, sérieusement… Siné qui bouffe 2 curés, un rabbin et un imam à chaque petit dej depuis plus de quarante ans… antisémite… ce n’est pas crédible deux secondes. Ce qui m’a le plus agacé, ce n’est pas tant que Val ait viré Siné. Si ça se trouve, Siné est un type invivable, ne parlons pas de Philippe Val. Ca aurait dû se finir aux Prud’hommes et puis voilà.
Mon souci, c’est plutôt que l’argument ait fonctionné. C’est-à-dire que les gens ne se soient pas contentés de hurler de rire avant de passer à autre chose. Et on aurait laissé les potaches jouer dans leur bac à sable.
Voilà donc que sort Siné Hebdo, qui revendique d’avoir mauvais goût, d’être irrévérencieux et de se moquer de tout. Je l’ai lu, pas spécialement parce que je suis fan de Siné, mais surtout parce que j’en ai marre du retour du délit de blasphème. Globalement, je suis plutôt pour qu’on foute la paix au monde. La laïcité, c’est à mon sens un truc génial qui permet de laisser les gens tranquilles avec les croyances dans le domaine du privé. On ne m’oblige pas à lire Le Pélerin, je me tiens bien quand je vais aux mariages à l’église. Personne n’est interdit de croyance, on évite juste d’aller prosélyter dans l’espace public. Brassens, qui était anar, disait qu’il laissait le curé de son village dire amen pendant que celui-ci le laissait dire merde. Ca me semble être un principe parfait. Et quoi qu’en disent les communautaristes de tout poil, ça marche.
Dans mon DEA, nous avions une juive religieuse, un fils de pasteur, une catholique très croyante, une musulmane engagée pour la cause palestinienne et une athée. On a parlé religion, les chaises n’ont jamais volé dans la salle, il n’y a jamais eu la moindre engueulade. Cela ne signifie pas qu’on s’est convaincus les uns les autres. A la fin d’une discussion, ce n’est pas grave si personne n’a gagné.
Le fils de pasteur me disait par exemple que dire : “je suis croyant mais non pratiquant”, c’était comme dire : “je suis cycliste, mais je ne pédale pas”. Je suis d’accord avec lui, mais je le vois depuis l’autre bout. Si on est croyant et qu’on le déclare comme tel, c’est déjà une façon de pédaler. Ou alors c’est qu’on pratique la socialisation par la religion, comme d’autres la pratiqueraient par le scrap-booking ou le rempaillage de chaises. Et dans ce cas, on y croit à peu près comme on croit dans les angelots qu’on colle sur les pages consacrées aux faire-part.
Moi, j’ai choisi mon camp : croire ou pédaler, je fais du vélo. Et j’aime autant qu’on me laisse en faire tranquille. Mais bien sûr, ça a des conséquences. Quand Leirnette a dit que Jésus, c’était comme le Père Noël et Peter Pan, nous avons bien ri. A l’école, elle a eu beaucoup moins de succès… Heureusement, la plupart de ses camarades croyaient encore au Père Noël…
Si je vous raconte tout ça, c’est parce que face au retour du délit de blasphème, j’aurai bien envie de proposer un délit de religion : quand les mairies mettent les drapeaux en berne pour la mort du pape, par exemple. Que je sache, on n’a jamais vu un athée porter plainte pour atteinte à sa non-croyance… c’est heureux, d’ailleurs, on a bien de droit de critiquer le manque de foi… Ce qui est inquiétant, c’est que c’est de moins en moins symétrique. Le blasphème étant un bien vilain mot, on le remplace par racisme et tout le monde sait que c’est très mal d’être raciste. L’accusation d’antisémitisme est très grave. Sous le choc, elle oblitère la pensée. On n’ose la nier, de peur de nier en même temps les victimes de la Shoah. Ce qui est très grave, c’est de brandir l’accusation d’antisémitisme à tort et à travers. C’est cette dérive qui nie les victimes de la Shoah : instrumentaliser la Shoah pour déguiser un prétexte.
Alors voilà pourquoi j’ai lu Siné Hebdo.
On peut faire des tas de reproches à ce numéro un. Bien sûr, on y retrouve une bande de gens qui sont très contents d’être tous ensemble du côté des gentils et qui se le disent mutuellement à leur façon. On dirait un peu une chouette bande de potes qui se tapent dans le dos en se congratulant d’être là. Il y a Onfray ou Bedos qui viennent à leur manière jouer les donneurs de leçons, il y a Alonso qui essaie tellement d’avoir l’air féministe cool et sexy que ça ne ressemble à plus rien, il y a Alévêque dont le fond de commerce est la parabole sexiste, supposée drôle. Et bien sûr, il y a des dessins d’un goût douteux. Mais il y en a d’autres qui m’ont fait rire (en particulier la très sympathique rubrique : dessin refusé par les autres journaux, ou le grand dessin de quatrième de couverture). On y trouve aussi des ricanements sur l’actualité à la mode Charlie (on ne se refait pas !) et deux articles bien intelligents : l’un provient d’un Québécois qui explique ce qu’est l’Anarchie. C’est un projet politique cohérent et organisé avec lequel on peut ne pas être d’accord… Mais ce n’est certainement pas ce qui reste d’un coffre à jouets confié à un enfant de quatre ans. L’autre article, écrit par un correspondant à Jérusalem, dénonce le terme creux de : “processus de paix“ qui ne correspond à rien de réel sur le terrain.
Bref, défauts ou pas, ça m’a fait bien plaisir de lire Siné Hebdo. Et puis, moi aussi je me suis sentie dans le camp des gentils en le lisant dans le métro, pendant que tout mes voisins feuilletaient Direct Soir, avec la photo du pape en couverture. La tête de Siné, c’est drôlement plus classe.
Mon Dieu, si ça se trouve, j’ai blasphémé.
10 réponses à Siné Hebdo : le choix de se tenir mal