Kro Pédagogie anti-égalité (IV)

GARBAGNOLI Sara, PREARO Massimo, La croisade ‘‘anti-genre’’. Du Vatican aux manifs pour tous, Paris, Textuel, 2018.

PATERNOTTE, David, « Habemus gender ! Autopsie d’une obsession vaticane ». Sextant, 31, 2015, pp.7-24.

PERREAU, Bruno, Qui a peur de la théorie queer ? Paris, Presse de Sciences Po, 2018.

Résumé de l’affaire pour sa partie française : Janvier 2014, dans la continuité des débats sur la légalisation du mariage pour les personnes de même sexe, des mouvements réactionnaires (en particulier des groupes catholiques néoconservateurs, mais pas uniquement) s’en prennent aux expérimentations pédagogiques appelées ABCD de l’égalité, destinées à lutter contre les stéréotypes de sexe à l’école primaire.

Ils accusent ce programme d’être le fer de lance du lobby LGBT et y voient la promotion d’une idéologie appelée « théorie-du-genre ». Sa finalité serait de détruire la famille en niant la différence des sexes, la complémentarité entre les hommes et les femmes, et surtout la naturalité de cette complémentarité.

A la suite de ces groupes catholiques, Farida Belghoul, ancienne militante anti-raciste, maintenant proche de l’extrême droite et personnifiant également des groupes musulmans, organise une Journée de retrait de l’école (JRE). Il s’agit de protéger les enfants contre la « théorie-du-genre » qui est décrite comme un lavage de cerveau, aux accents de théorie du complot. Des familles identifiées comme musulmanes sont la cible de messages annonçant que des transsexuels viendront dans les écoles maternelles faire des démonstrations de masturbation à l’aide de sexes en bois (Si. Sérieusement).

Ce luxe de détails et l’absurdité de l’accusation auraient dû faire sourire, mais le 24 janvier 2014, date de la première JRE, quelques écoles situées dans les quartiers périphériques des grandes villes se dépeuplent. Si au niveau national, l’absentéisme causé par la JRE est finalement franchement modeste, l’affaire alerte la presse, d’autant plus qu’elle est abondamment récupérée dans les discours politiques de la droite en général. En effet, Jean-François Copé, Maire de Meaux, en région parisienne, déclara « comprendre l’inquiétude des familles » et dès le lendemain, le quotidien Le Parisien s’en était fait l’écho annonçant 40%  d’absence dans une école, sans qu’on puisse pourtant encore distinguer les absences pour cause de maladie de celles causées par la peur de la « théorie-du-genre »

Dans le mois qui suit, la presse de tout bord politique dénonce la manipulation : bien sûr, il n’a jamais été question de masturbation, ni même d’éducation sexuelle dans les ABCD de l’égalité. Les autorités religieuses, catholiques comme musulmanes, quoique largement critiques par rapport à l’enseignement du « genre », se désolidarisent également de ce mouvement. Le Ministre de l’Éducation nationale, Vincent Peillon (nullissime tout au long de cette affaire), rappelle l’obligation scolaire, des universitaires s’expriment abondamment dans les médias pour dénoncer la manipulation du concept de genre.

Le 2 juillet 2014, le couperet tombe : les ABCD de l’égalité sont retirés, pour être remplacés par « un plan encore plus ambitieux en faveur de l’égalité », d’après Benoît Hamon, ministre de l’Éducation nationale à qui on a passé le cercueil des ABCD de l’égalité pour qu’il les enterre. Le plan est dévoilé le 25 novembre 2014 par Najat Vallaud-Belkacem, troisième Ministre de l’Éducation nationale à se colleter au problème en moins d’un an. Mais malgré l’effet d’annonce, l’ambition est tellement modeste et consensuelle que le plan n’attire l’attention de personne, si ce n’est des féministes et des enseignant·e·s militant·e·s, qui se sentent trahi·e·s.

Et voilà comme l’Education nationale fait un bon en arrière pour quelques années, alors que de l’autre côté de la frontière, je fais un cours intitulé « Lutter contre l’homophobie dès l’école primaire », et je le donne dans l’ancienne chapelle de l’université crée par Calvin.

En 2014, nous avons réagi dans l’urgence, on a fait au mieux, on a été surpris par l’ampleur, on s’est fait dépasser… En réalité, on n’a pas du tout mesurer à quel point le Vatican était près depuis 20 ans à lutter contre le genre. La stratégie est éprouvée (c’est la même que celle qu’utilise la droite américaine quand elle s’oppose à la théorie de l’évolution): il s’agit pour des mouvements catholiques néoconservateurs d’invoquer la protection des enfants pour s’opposer à l’enseignement de savoirs qui questionnent ce que le Vatican nomme « l’anthropologie humaine », c’est-à-dire une anthropologie catholique qui affirme l’enracinement de la sexualité reproductive dans la différence sexuelle (pour vous le faire vite, c’est  » Homme et femme, il les créa »).

Sous le terme « genre », les groupes catholiques vont mobiliser un tout un discours qui va identifier en une fois les programmes éducatifs sur le genre et la sexualité dans les écoles, la reconnaissance des couples homosexuels, les théories et mouvements féministes et LGBTQI, l’avortement, l’euthanasie et la marchandisation du vivant (sous habillage de PMA et GPA).

Pour comprendre comme la France a pu connaître une telle panique morale, ces 3 livres sont importants, mais si vous ne voulez en lire qu’un, je pencherais pour « La croisade anti-genre », le plus accessible des 3.

Ce livre vous explique comment le Vatican construit tout un système discursif pour altérer le sens du terme « genre »  et s’emploie à « structurer les cadres du débat dans les termes qu’il a choisi » (Garbagnoli, 2017). Autant dire qu’en arrivant en 2014 avec notre gentillesse pédagogique face à la machine à propagande du Vatican… on n’a pas fait le poids. Le Vatican va générer une série de formules interchangeables, « théorie du genre sexuel », « Théorie du genre », « théorie du gender queer », « idéologie du genre » « théorie du genre sexuel », etc. ce que Garbagnoli (2017) appelle des « concepts-bidons » et « des non-sens théoriques », modulables au gré des agendas politiques et permettant d’amalgamer des peurs multiples. Et surtout, là où c’est fort, c’est qu’il « construit la figure de l’adversaire en la calquant de manière spéculaire sur la sienne » : il va opposer science et idéologie, en se présentant, du côté de la science, de la nature et du bon sens, prenant acte que les discours théologiques seront plus efficaces dans le monde moderne une fois déguisés dans une forme pseudo-scientifique.

Qui a peur de la théorie Queer est un livre plus philosophique qui montre plus largement comment le Queer peut paraître suffisamment révolutionnaire pour mettre en danger les valeurs de l’Etat nation : « si la théorie queer dérange autant, c’est parce qu’elle soutient l’idée que le sentiment d’appartenance ne naît pas d’un socle de valeurs et de références communes mais, au contraire, de la capacité à en contester le bien-fondé. » La théorie Queer questionne l’identité sexuelle et sexuée, la famille nucléaire, la complémentarité des sexes, le nationalisme et l’identité nationale…

Habemus Gender a déjà été kroniqué.

J’ai lu ces livres pour les besoins d’un article. Dans un premier temps, j’ai été fascinée par la rhétorique vaticane… Et au bout d’un moment, franchement, ça tourne à la nausée.

 

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