Irène Peirera : Paulo Freire, Pédagogue des opprimé-e-s
Naïma Anka Idrissi, Fanny Gallot et Gaël Pasquier : Enseigner l’égalité filles-garçons
Vous souvenez, il y a très longtemps, j’avais commencé une série « Pédagogie et égalité », je la termine enfin, pour que vous puissiez préparer votre lecture de rentrée…
Irène Peirera : Paulo Freire, Pédagogue des opprimé-e-s
Lors de la précédente Kro, je vous avais parlé de Paulo Freire et de la pédagogie des opprimés. Depuis 30 ans, suite à son travail ou en parallèle de son travail, tout un courant pédagogique a émergé. Cette grande famille est celle des pédagogies critiques. Selon l’endroit où la focale est portée, les pédagogies critiques portent des noms différents : l’Éducation populaire (qui s’intéresse à la question des classes sociales), la pédagogie féministe, la pédagogie antiraciste et la pédagogie critique de la norme qui porte sur les privilèges.
La pédagogie critique de la norme est un courant particulièrement intéressant pour les gens qui, comme moi, enseigne les pédagogies critiques à des personnes plutôt privilégiées. En effet, la force des privilégiés, c’est de se croire « normaux », « universels ». Ce sont les Autres qui ne le sont pas. Puisque ces personnes considèrent leurs privilèges comme étant la norme, elles crient à la discrimination quand des mesures de régulation ou d’équité tentent des les abolir. Je me souviens d’un jeune homme, étudiant à l’IUFM (un futur prof), protesté parce qu’en maths sup, il y avait une fille qui avait eu un prix de la vocation scientifique pour l’aider à intégrer la prépa. Or, la fille avait échoué en prépa. Ce jeune pestait parce qu’elle avait pris la place de quelqu’un qui aurait pu réussir. Or lui aussi a échoué en prépa. Mais il n’y avait personne pour le soutenir, parce qu’il était un homme blanc hétéro des classes moyennes.
A noter que le prix de la vocation scientifique était offert à d’excellentes bachelières pauvres (en gros, il fallait que famille soit non imposable pour que ça passe) et se montait à 1 000 €.
Ce que ce jeune homme n’arrivait pas à admettre, c’est que le fait qu’on n’ait jamais mis en cause ses compétences en maths à cause de son sexe, jamais douté de sa présence légitime dans le pays à cause de sa couleur de peau ou de sa nationalité, jamais douté de ses capacités à réussir parce qu’issu d’une famille de la classe moyenne et qu’il n’ait jamais eu peur de se faire tabasser ou marginaliser à cause de ses préférences sexuelles… toutes ces choses qu’il considèrent comme normales et acquises… seule une minorité de personnes peut en bénéficier. La norme, c’est moins de 20% des personnes…
Avec ce livre d’Irène Peirera, non seulement vous aurez un tour d’horizon des pédagogies critiques d’inspiration freirienne, mais en plus, vous aurez des exemples, des liens, des sites et des vidéos pour mettre en œuvre en formation
Naïma Anka Idrissi, Fanny Gallot et Gaël Pasquier : Enseigner l’égalité filles-garçons
Cet ouvrage marque très clairement une étape dans la reconnaissance de l’importance de la question du genre dans l’éducation. 4 ans après le séisme des ABCD de l’égalité qui ont banni le mot « genre » du monde de l’Éducation nationale, une maison d’édition aussi réputée que Dunod publie un manuel avec un ensemble d’outils pour l’égalité des sexes. Pour la première fois, voici un manuel balaye l’ensemble (ou presque) des problématiques autour de l’égalité filles – garçons et propose à chaque fois une activité à mettre en œuvre dans la classe.
Les outils sont classés par dossiers tels que : Le genre, un concept pour (re) penser l’école ; L’orientation ; La langue : un outil pour l’égalité ; Construire une leçon… Le dossier commence par une brève mise au point théorique, puis, liste les outils qui vont être décrits dans le dossier. Ensuite en 2 pages, il propose une mise en œuvre d’un outil tel que « Gérer les interactions en classe » ou « construire une séance en histoire des arts » ou encore « réaliser une revue de presse le 8 mars ».
C’est un ouvrage avant tout pratique, clair, attractif, que les enseignant-es peuvent avoir en permanence avec eux ou elles pour préparer des leçons. Cet ouvrage n’évite pas les questions plus épineuses, comme l’éducation à la sexualité (y compris l’égalité des sexualités) mais aussi la question, encore plus polémique de la laïcité, qui est traitée de manière posée et factuelle, en invitant avant tout les élèves (et leurs enseignant-es) à réfléchir.
L’ouvrage est facile d’accès et réussit le tour de force de proposer des activités clé en main, procédé toujours très prisé par les enseignant-es, sans être prescriptif ou moralisateur, sans faire l’économie d’une réflexion issue des études de genre. Toute personne voulant enseigner de manière égalitaire (et non faire de l’éducation à… dans des moments à part du programme) pourra tirer profit de cet ouvrage.
Mon regret, c’est l’absence d’outils traitant de maths, de sciences physiques ou de technologie. Si les disciplines telles que l’histoire, la biologie, le français, l’EPS, ou l’éducation morale et civique sont mobilisées, ainsi que toutes sortes de questions transversales, les enseignant-es peuvent sortir de cette lecture en ayant le sentiment que les sciences physiques les mathématiques et la techno n’ont pas de problème d’égalité entre les sexes.