Je vais commencer à barrer les jours avant mon départ de mon poste actuel. Car je crains de ne plus tenir le coup très longtemps.
Cet après-midi, comité de direction. Ça fait au bas mot dans les six mois que mes collègues et moi-même, qui sommes à la tête d’équipes implantées sur des sites « déconcentrés », assistons à ces séances hebdomadaires par habitude, car nous ne sommes plus vraiment concernés par ce qui s’y dit, car nos problèmes n’intéressent plus nos chefs, et car avec la fusion-réorganisation en cours de réalisation, nous passons d’éléments relativement importants du dispositif (dont nous représentions jusqu’alors plus de la moitié) à des éléments mineurs noyés dans la masse.
D’ailleurs, si ça n’avait été que moi, je n’y serais même pas allé : pas possible d’être à l’heure et besoin de partir en avance, ça ne présentait guère d’intérêt. Mais quand on covoiture, même avec son propre véhicule, on n’est pas pleinement maître de son organisation.
Déjà, je trouvais que mon directeur ne manquait pas de culot, en s’attribuant la paternité d’une idée que j’avais soumise devant la même assemblée quelques mois auparavant et qui avait alors été catégoriquement écartée. Mais bah, je ne bosse pas pour la gloire.
Déjà, mon chef m’avait pas mal chauffé quand, alors que nous évoquions certains problèmes de personnel dans nos équipes déconcentrées, il avait eu le culot d’affirmer « J’y suis tous les quatre matins » (alors qu’un des reproches majeurs que tout le monde chez nous fait à nos cadres dirigeants, c’est justement de ne jamais venir nous voir, faire la tournée des popotes, prendre la température…). Mais je n’avais rien dit.
Déjà, il avait osé enchaîner en ajoutant au sujet de nos équipes « On leur dit qu’on s’intéresse à eux… ». Alors que le sentiment général, dans la mienne en particulier, est que les chefs se foutent royalement de ce qui se passe chez nous en général et des problèmes que nous rencontrons en particulier, l’important étant que nous ne fassions pas de vagues. Et là, j’ai pas pu me retenir, j’ai lâché : « T’es sûr qu’ils l’ont entendu ? »
Et l’autre de me répondre, pas gêné : « S’ils n’ont pas entendu… » (sous-entendu « c’est qu’ils sont sourds »), et d’ajouter : « Ils n’entendent que ce qu’ils veulent entendre. » Alors que c’est justement le reproche précis que nous lui faisons…
Mais quand, alors que nous étions sortis à quatre pour constituer une sous-commission (ou était ce un groupe de travail ?) pour tenter de régler un problème de personnel face auquel lui comme le directeur refusaient de prendre eux-mêmes leurs responsabilités et de faire leur boulot, il a osé me reprocher d’avoir « chauffé » le directeur (alors que visiblement, c’est lui qui l’avait agacé), j’ai explosé. Et j’ai déclaré que moi aussi, j’étais chauffé, et qu’il y en avait marre qu’ils refusent de prendre leurs responsabilités et de gérer le personnel. Et comme il m’a répliqué que je n’avais qu’à partir… je l’ai pris au mot.
Et ce bouffon de déclarer à ceux qui étaient restés que depuis que je savais que je partais, j’étais totalement démissionnaire. Venant de la part d’un branleur qui n’est jamais là quand on a besoin de lui mais toujours présent pour nous faire chier avec des conneries, et parlant de quelqu’un qui a environ quatre-vingts heures supplémentaires à son actif depuis le début de l’année, et qui prend encore des initiatives pour assurer aussi bien que possible sa succession, j’ai trouvé ça particulièrement gonflé.
Alors c’est décidé : à compter de maintenant, je suis effectivement démissionnaire. Je viens, je pointe, je gère la routine, je me barre.
Sauf que j’ai encore des trucs de prévus pour préparer ma succession, et que je m’y tiendrai pour ne pas mettre ma Pupille dans la merde.
Et sauf que, je me connais, je n’arriverai pas à mettre ma menace à exécution. Ma conscience professionnelle est trop profondément ancrée pour ça.
Mais quand même… c’est pas l’envie qui m’en manque.