Ça va devenir de plus en plus compliqué d’alimenter cette rubrique chaque année, du moins si je veux continuer à respecter les critères que je me suis imposés. Certes, j’ai encore quelques JdR de SF injustement méconnus en réserve, mais ça risque de se tarir assez rapidement.
En effet, à la base j’avais décidé de ne présenter que :
– des JdR (et pas des sous-gammes et encore moins des suppléments uniques, ce qui exclut d’office des choses comme Transhuman Space ou Spelljammer, ou telle ou telle édition de Traveller) ;
– de SF (et même si le domaine est vaste, il n’offre pas tant de choix que ça une fois qu’on lui applique les autres critères) ;
– injustement (donc faut des bons JdR, ou en tous cas des JdR avec des qualités notables ; pasque des JdR de SF méconnus mais à juste titre, c’est pas ça qui manque) ;
– méconnus (et là, c’est un critère délicat à évaluer : des jeux comme Blue Planet ou Space 1889, qui ont fait ces dernières années l’objet de financements participatifs amplement réussis, peuvent ils quand même prétendre à ce qualificatif ?) ;
– et bien entendu, il faut en plus que je sache de quoi je parle, donc que j’aie lu les JdR en question (bon, là c’est assez facile), mais aussi leurs gammes, ou au moins la partie de leurs gammes que je juge digne d’intérêt (et là, dans certains cas c’est plus compliqué, faute de temps). Et comme souvent ma lecture remonte à quelques décennies, il faut encore que je trouve le temps de me rafraîchir au moins partiellement la mémoire…
Bref, tout ça pour dire une fois encore que je ne suis pas certain que la rubrique perdure encore longtemps, en tous cas selon les critères actuels. Pas impossible que j’en amende un ou plusieurs d’ici quelques années… si je continue.
En attendant, voici le lauréat de l’année :
Mach
Sous-titré The First Colony (et aussi A role playing game of soldiers of fortune in a New World), Mach est l’unique (à ma connaissance) JdR publié (en 1982) par Alliance Publications Ltd, un éditeur de Bettendorf, dans l’Iowa.
Le jeu se présentait sous la forme d’une boîte (pas très solide, surtout le fond) contenant trois livrets et une feuille d’errata (qui servait également de bon de commande pour les différents éléments du jeu, boîte comprise). L’auteur est un nommé Michael Lange, et vu qu’aucun illustrateur n’est crédité, je suppose qu’on lui doit aussi la couverture et les illustrations intérieures (fort correctes, et d’autant plus pour un jeu de cette époque). Notez encore que la police de caractères utilisée est fort petite, ce qui ne m’aurait probablement pas gêné en 1982, mais depuis mes yeux ont vieilli…
Le concept de Mach est le suivant : dans les années ’70 et ’80 (donc à l’époque de la sortie du jeu), une supernova allait se former et provoquer une réaction en chaîne qui ravagerait plusieurs planètes habitées par des espèces « primitives » incapables de lui échapper, dont la Terre (sur laquelle personne ne savait ce qui allait arriver). Heureusement pour nous, des ET technologiquement beaucoup plus avancés et dont la planète était elle aussi menacée par la supernova, les Abla, nous contactèrent pour nous prévenir et nous proposer de nous évacuer vers une autre planète, Mach.
Les Abla prévoyaient de transporter toute l’humanité (avec son bétail et tout ce dont elle aurait besoin) vers Mach, une planète ressemblant beaucoup à la Terre où nous aurions retrouvé trois autres espèces elles aussi évacuées dans les mêmes circonstances, ainsi que l’espèce autochtone primitive, les Machics, des humanoïdes grands et efflanqués. Mais notre évacuation ne faisait pas consensus, certains Abla se montrant réticents en raison de notre tendance naturelle à la violence et au racisme (et franchement, on ne pourrait leur donner tort). Il y eut donc des conditions : les humains ne devraient pas interférer avec les Machics ou les colonies des autres espèces évacuées, et ils n’auraient le droit d’emporter ni armes à feu, ni mode d’emploi pour en fabriquer (ce qui, vue la relative simplicité de cette tâche, était quand même un peu concon de la part des Abla ; d’autant que bien entendu, des petits malins réussirent quand même à embarquer des flingues avec eux).
Les humains devaient être transférés vers douze millions de lieux différents sur Mach. Mais les choses ne se passèrent pas tout à fait comme prévu : seuls six millions d’entre-nous arrivèrent sur la planète (avec un peu de bétail et très peu de matériel), et contrairement à ce qui était prévu, les Abla n’étaient pas là pour les accueillir et les aider à s’installer. Inutile de dire que les réfugiés se trouvèrent bien au dépourvu (avant même que la bise fut venue)…
Les trois autres espèces déplacées par les Abla (en plus petit nombre encore que les humains) étaient :
– les Bane, grands et trapus mais pas très intelligents ;
– les Palir, petits et frêles, utilisant leurs pouvoirs psioniques au lieu de la technologie ;
– les Tofus (je suppose qu’à l’époque ça ne faisait pas encore ricaner les joueurs, même de l’autre côté de l’Atlantique), des humanoïdes télépathes grands et beaux à la peau bleu clair que les Abla nous avaient dit d’éviter.
Faisant fi des consignes des Abla, les humains contactèrent leurs camarades d’infortune (ainsi que les Machics, qui préférèrent les éviter). Les Bane, n’ayant que peu de besoins, s’adaptèrent assez facilement à leurs nouveau cadre de vie, mais les Palir, confrontés à la nécessité de survivre dans ces conditions difficiles, avaient perdu de leur superbe, et ce furent les Tofus (les moins nombreux des quatre espèces puisqu’il n’y en avait même pas dix mille) qui jouèrent un rôle essentiel en organisant les communautés de réfugiés (à part les Bane qui n’avaient pas besoin qu’on les aide).
Au bout de deux ans, 25.000 autres ET appartenant à une autre espèce, les Tracks, débarquèrent sur Mach pour s’y installer. Contrairement aux précédents arrivants, les Tracks n’étaient pas humanoïdes mais ressemblaient vaguement à de gros œufs rouge-orangé avec six tentacules à leur base servant à la fois de jambes et de mains (ça m’évoque pas mal la description du Centaurien à MEGA, et je verrais bien des possibilités de crossover). Contrairement aux précédents arrivants également (et bien entendu aux Machics), les Tracks étaient (sont) dotés d’une technologie ultramoderne. Heureusement, ils s’avérèrent amicaux. Malheureusement pour eux, il leur faut une température supérieure à 150 °C pour vivre : aux températures habituelles sur Mach, ils gèlent en quelques heures… Ils restent donc principalement cantonnés à leur ville protégée par un dôme de force, dont ils ne sortent que porteurs de boucliers individuels.
En quelques années seulement, la coopération interspécifique du début s’estompa peu à peu devant la loi du plus fort (souvent celle des Tofus, grâce à leurs pouvoirs psioniques), les Bane furent réduits en esclavage par les trois autres espèces arrivées en même temps qu’eux et les possesseurs d’armes à feu firent la loi. Il finit par y avoir des conflits interspécifiques (les Bane se révoltèrent, en particulier) dans lesquels les Tracks restèrent neutres, la plupart des armes à feu furent détruites et dans la société qui émergea des cendres, leur fabrication devint rigoureusement interdite.
Touillez et laissez infuser pendant deux siècles : la société de Mach s’est reconstruite et tente de progresser. Le pétrole étant rare, la plupart des véhicules fonctionnent à la vapeur ou à la traction animale. Certains Machics se laissent désormais approcher et font du troc, mais d’autres sont violemment hostiles. Les Bane vivent pour la plupart en tribus, mais certains sont intégrés aux communautés humaines ou palir. Les Palir se tiennent en général à l’écart des humains, et les Tofus, considérés comme responsables des guerres d’autrefois, sont mal vus (il y a des récompenses pour leurs têtes dans la plupart des communautés).
Et des expéditions dans les contrées inhabitées ont découvert des ruines qui datent manifestement d’avant les Machics et sont celles d’une civilisation humanoïde de haute technologie, dont certains vestiges sont encore en état de marche…
Bref, Mach nous propose un cadre (à peine décrit au-delà des deux pages d’historique et de quelques animaux et plantes ; en particulier, on n’a aucune carte, même schématique, de la planète, ce qui laisse chaque MJ (ici appelé Moderator) libre d’imaginer ce qu’il veut, et c’est ouvertement voulu) dans lequel des personnages, dotés de connaissances scientifiques et techniques modernes (comparables aux nôtres) mais dont la technologie a régressé (bien qu’ils puissent occasionnellement se retrouver en possession d’objets de haute technologie, obtenus auprès des Tracks ou découverts en explorant des ruines) se sont établis sur un nouveau monde en grande partie vierge qu’ils explorent (puis colonisent) petit à petit tout en tentant de revenir à la technologie de leurs ancêtres.
Les règles, qui utilisent les unités du système merdique et font appel à l’éventail habituel de dés spéciaux, sont relativement lourdes. Par exemple, Mach fut probablement le tout premier JdR à tenir compte du facteur Windchill (refroidissement par le vent). Ne les ayant jamais utilisées, et n’ayant pas le temps de les relire attentivement pour vous les présenter, je n’en dirai rien de plus. De toutes façons, moi, les règles, dans un JdR, c’est pas ça qui m’intéresse.
Notez quand même qu’on peut jouer des non-humains (Machics, Palir, Bane ou Tracks ; pas de Tofus, qui sont vaguement les méchants du contexte), même s’il est précisé qu’ils ne représentent que 15 % des PJ (et même moins en réalité, car quand les dés indiquent qu’on peut choisir son espèce, on peut aussi prendre un humain ; trois des six prétirés du scénario (soit la moitié) sont pourtant non-humains !).
À bien y regarder, il n’y a pas grand-chose dans ce jeu : des règles (assez lourdes), un scénario (pas terrible, c’est un scénar d’initiation sans complexité ni originalité), et un concept. Mais ce concept me semblait intéressant à développer (et encore plus après avoir lu Displaced), et le monde, bien qu’à peine esquissé, avait du potentiel (à la lecture, ça me faisait parfois penser à Tékumel), et c’est ça qui me plaisait en lui. Hélas, Mach n’a eu aucun suivi… Mais il est manifeste que l’auteur prévoyait qu’il y en ait un. On ne sait même pas QUI est à l’origine des ruines découvertes sur la planète, ni ce que sont devenus les Abla…
Bref, Mach est bien un de ces JdR de SF injustement méconnus, même si en l’état, il s’adresse plus aux MJ désireux de développer eux-mêmes quelque chose sur l’ébauche qu’il fournit (et disposant du temps nécessaire pour le faire, chose que je n’ai hélas plus) qu’aux amateurs de contextes fouillés, et même si le système de jeu, pour sa part, n’a rien de mémorable. Il serait intéressant de le ressortir et de le dépoussiérer un bon coup (en conjonction avec Displaced, justement). Encore une fois, dommage que je n’en aie pas le temps…