Scénario historique deuxième guerre mondiale.
Les personnages font partie :
– soit du Monument, Fine Arts, and Archives program (MFAA ; voir le film Monuments Men, qu’à l’époque où a été élaboré ce scénario, dont les prémices datent d’avant sa sortie en France, je ne connais que de nom) : civils ou militaires alliés (les Monuments Men, parmi lesquels quelques femmes) tentant de retrouver et de sauver des griffes des nazis, puis des pillards, les œuvres d’art volées dans les pays occupés ;
– soit de la Commission de Récupération Artistique (française), fondée le 24 novembre 1944.
Ils peuvent être des militaires, des universitaires ou d’autres professionnels de l’art, ou être motivés par la spoliation dont ont été victimes leurs proches ou les musées nationaux. Il est nécessaire qu’ils soient un minimum orientés « action », et préférable qu’un au moins d’entre-eux parle couramment l’allemand.
Si vous êtes censés participer à ce scénario en tant que joueurs, ne lisez pas plus loin…
Paris
Nous sommes à Paris en mars 1945. Ce qui reste des troupes allemandes est pris en tenaille sur leur propre sol, entre les Anglo-Américains à l’ouest et les Soviétiques à l’est, convergeant vers Berlin.
La France libérée panse ses plaies et tente de se remettre de quatre années d’occupation. Les problèmes les plus urgents ayant été résolus, certains se penchent désormais sur des aspects secondaires, comme le devenir des nombreuses œuvres d’art volées aux musées parisiens.
Grâce à des personnes comme Jacques Jaujard, le directeur général des Arts et Lettres, qui était directeur des musées nationaux pendant l’Occupation, et Rose Valland, attachée de conservation au musée du Jeu de Paume (elle ne sera incorporée comme officier beaux-arts dans l’état-major du général de Lattre de Tassigny, avec le grade de capitaine, que le 4 mai 1945), la piste de certaines de ces œuvres a été retrouvée. On sait en particulier qu’une bonne quantité d’entre-elles a pris la direction de la propriété d’Hermann Göring.
Selon la composition du groupe de PJ et leurs relations, il est possible de faire jouer une petite phase d’enquête au sujet de ladite propriété : en se renseignant auprès de diplomates d’avant-guerre, les personnages pourront apprendre que cette propriété, nommée Carinhall en mémoire de la première épouse du dignitaire nazi, qui y est enterrée, se situe à environ 65 km au nord de Berlin. Elle servit de cadre à diverses réceptions d’état dans les années trente, raison pour laquelle les diplomates peuvent fournir quelques informations à son sujet.
Si les personnages n’ont pas de relations parmi le personnel diplomatique, la CRA ou le MFAA (en particulier le capitaine James Rorimer, qui est en relation avec Rose Valland depuis décembre 1944) savent déjà que c’est à Carinhall que les œuvres ont été emmenées.
L’Armée Rouge se rapproche de plus en plus de Berlin, et les commanditaires des personnages craignent que les violences de la guerre ne détruisent ou n’endommagent irrémédiablement les chefs d’œuvre volés par Göring, et que ceux qui resteraient intacts soient à leur tour pillés par les soldats alliés : ils mettent donc sur pied un commando, chargé de se rendre à Carinhall avant l’arrivée des Soviétiques, pour y prendre les dispositions nécessaires afin de préserver peintures et sculptures. Le commando sera parachuté à proximité de la propriété, accomplira sa mission, puis devra attendre l’arrivée des troupes américaines.
Ce que les organisateurs de la mission n’avaient pas prévu, c’était qu’Eisenhower déciderait de s’arrêter au bord de l’Elbe, laissant aux Soviétiques la tâche de prendre Berlin (et ses environs). Une fois sur place, les personnages, en liaison avec l’arrière par radio, apprendront qu’ils devront regagner les lignes américaines par leurs propres moyens (ou éventuellement trouver un moyen pour se faire récupérer par un avion allié).
Ils ignoraient également un élément essentiel : la collection de Göring a été transférée, en partie dans la mine de sel d’Altaussee en Styrie en 1943, en partie à Berchtesgaden au début 1945, et ne se trouve donc plus sur place… (à l’exception de quelques statues encombrantes, et de tableaux déposés dans le mausolée de Carin).
Une liste des œuvres d’art censées se trouver à Carinhall a été établie par Rose Valland : elle est fournie aux personnages. Elle compte plusieurs centaines de peintures, des tapisseries, des sculptures, etc…
Si nécessaire, les personnages reçoivent une formation accélérée au saut en parachute.
Un Carinhall trop loin
Le parachutage des personnages, vêtus d’uniformes allemands, est réalisé de nuit par l’U.S. Air Force, en avril, depuis un aérodrome situé en Allemagne. La mission a été préparée sur la base de photographies aériennes prises il y a quelques mois lors d’un raid de bombardiers sur Berlin, photographies que le commando a eu tout loisir d’étudier afin de se familiariser avec la disposition des lieux.
Malheureusement, ce n’est pas Carinhall que l’on voit sur ces photographies, mais une reconstitution en bois, édifiée pour tromper les bombardiers alliés et située environ sept kilomètres plus au nord.
Les personnages sont parachutés au nord de ces installations, dans une zone de champs au sein de la forêt de Schorfheide. Une fois rassemblés et leurs parachutes dissimulés (enterrés ou immergés au fond d’un des lacs de la zone, par exemple), ils peuvent se diriger vers le faux Carinhall. Celui-ci est si ressemblant qu’il leur faudra s’en approcher très près pour se rendre compte qu’il s’agit d’un décor. D’autant qu’une petite unité de la Luftwaffe (avec des moyens anti-aériens : projecteurs et artillerie) est cantonnée sur place pour donner l’illusion que le lieu est bien habité.
Les occupants du faux Carinhall ne s’attendent pas à une attaque par voie de terre, et les personnages devraient donc pouvoir s’approcher assez près des installations. Bien entendu, s’ils s’approchent trop près, ils seront probablement repérés et sans doute capturés.
Carinhall
Le vrai Carinhall se situe à une grosse vingtaine de km au nord-est d’Eberswalde, environ quarante kilomètres au nord de Bernau, une bonne trentaine à l’est de Gransee. La propriété couvre environ 120 hectares dans la forêt de Schorfheide.
Cette carte de situation indique l’emplacement de la propriété et de sa copie et propose un plan des bâtiments (malheureusement non légendé). Voir aussi cette page pour quelques photos et explications.
Attention : les personnages l’ignorent, mais Carinhall sera détruit le 28 avril par quatre-vingts bombes posées par une équipe de démolition de la Luftwaffe, pour qu’il ne tombe pas aux mains des Soviétiques. Cela pourrait pimenter la situation si le commando se trouve encore sur place à ce moment-là…
Pour découvrir l’emplacement de la véritable propriété, les personnages devront se renseigner auprès des civils (il en reste quelques-uns dans la zone, à commencer par ceux qui exploitent les champs dans lesquels le commando a été parachuté), ou (mais c’est plus risqué) des occupants du trompe-l’œil. Leurs uniformes allemands les aideront à élaborer un récit de couverture crédible, mais ils seront handicapés par l’absence de véhicule (à moins qu’ils n’en aient dérobé un au faux Carinhall).
En allant du faux au vrai Carinhall, les personnages pourraient découvrir l’aérodrome privé de Göring. Ce dernier se trouvant en Bavière, son avion personnel et ses pilotes ne sont pas sur place, et le site est désert. Il pourrait toutefois être utilisé pour une opération d’évacuation du commando par les Alliés.
Si vous êtes adeptes des rencontres animalières et si les personnages sont suffisamment discrets, ils pourraient croiser en forêt une harde de bisons, ces animaux ayant été introduits par Göring, grand chasseur, sur son domaine.
La propriété elle-même est impressionnante et luxueuse. Bien qu’elle ait été évacuée le 13 mars par Göring, qui a emporté ses possessions les plus chères (dont, comme nous l’avons vu, la plupart des œuvres d’art volées en France et ailleurs), il y reste suffisamment de choses pour susciter l’envie et l’émerveillement, comme l’immense Jagdhalle (salle de réception) et sa cheminée monumentale, la salle de cinéma, le gymnase, la piscine intérieure, la tanière des lionceaux, ou la pièce du train électrique. Outre le bâtiment principal (et le mausolée, situé à l’écart), la propriété comporte un bâtiment pour loger le personnel, un stand de tir, un terrain de tennis, une réplique miniature en bois du Schloss Sanssouci de Potsdam, etc… Un bunker est enterré à une douzaine de mètres sous le bâtiment principal, avec une issue de secours dissimulée débouchant près du Großdöllnersee.
Les Werwölfe
Mais si les lieux ont été désertés par leur propriétaire légitime, ils ne sont pas pour autant déserts : un petit groupe de Werwölfe a pris ses quartiers dans le manoir. Ce sont des garçons des Hitlerjugend (Jeunesses hitlériennes), théoriquement trop jeunes (quatorze à seize ans) pour être incorporés dans l’armée, qui se préparent à constituer une cellule de résistance afin de harceler l’Armée Rouge sur ses arrières une fois qu’elle aura envahi la région.
Selon la taille et les capacités du groupe de persos, les Werwölfe sont au nombre de dix à vingt. Ils ne s’attendent pas à l’arrivée du commando, mais ils sont armés et ont organisé des tours de garde autour du manoir. S’ils détectent les personnages avant que ces derniers ne les repèrent, ils les prendront peut-être pour des soldats allemands et ne se méfieront pas énormément (tout en restant cachés, au moins dans un premier temps, car leur présence ici et leur mission sont censées être secrètes) ; mais s’ils réalisent qu’ils sont étrangers (par exemple, s’ils les entendent parler entre eux en anglais ou en français), ils monteront une embuscade pour les éliminer.
Les personnages auront peut-être des hésitations à faire usage de leurs armes sur des adolescents, même en uniforme et endoctrinés. Les Hitlerjugend, eux, n’en auront aucune. Ils sont armés, connaissent bien les lieux, et leur agilité et leur relative petite taille leur permet de se dissimuler dans des endroits inattendus.
Ils sont équipés chacun d’une carabine K98, mais disposent également d’un petit arsenal comportant des pistolets Walther P38, des pistolets-mitrailleurs MP40, une mitrailleuse légère MG13, deux Panzerfaust 30, des grenades à manche (Stielhandgranate 24), des explosifs, et beaucoup de munitions.
Si les personnages s’avèrent représenter un ennemi trop coriace pour eux, les Werwölfe mettront à profit leur bonne connaissance des lieux pour les harceler irrégulièrement. Au pire, ils tenteront de s’enfuir dans les bois, ou par le tunnel du bunker, tunnel qu’ils tenteront de piéger avec des explosifs.
Une fois les Werwölfe hors de combat, les personnages peuvent fouiller les lieux, et y découvrir maintes splendeurs laissées par Göring et que personne n’a encore emportées. Mais des œuvres d’art dont ils ont la liste, à part quelques statues dans le parc (intransportables), aucune trace.
C’est le moment de se souvenir de l’étymologie du nom de Carinhall…
Le mausolée de Carin
Les seuls tableaux restant sur place se trouvent à l’intérieur du mausolée où repose Carin Göring, érigé dans les bois au bord du Wuckersee.
Pour pénétrer à l’intérieur, les personnages devront d’abord forcer la grille en fer forgé qui barre l’accès de l’édifice, puis, après avoir descendu l’escalier, la porte de la chambre funéraire.
La pièce, au centre de laquelle trône le cercueil de Carin Göring sur un piédestal, est effectivement ornée de quatre tableaux volés dans des musées parisiens, un sur chacun de ses murs : un Cranach l’Ancien, un Matisse, un Rubens et un Chagall.
Les personnages étaient initialement venus pour mettre les chefs d’œuvres volés en sécurité, en cas de bombardement par exemple ; mais puisqu’il n’y en a que quatre, ils voudront peut-être les emporter. Ces toiles sont encombrantes et fragiles, et leur transport ne sera pas facile : la solution la plus simple serait de les placer toutes les quatre dans une même caisse, soigneusement emballées dans du tissu et protégées des chocs avec de la paille. Tout le nécessaire, y compris une caisse en bois de dimensions suffisantes, peut être trouvé en fouillant la propriété.
S’ils se contentent de laisser les peintures sur place en espérant qu’elles survivent intactes aux hostilités et aux pillards et puissent être récupérées plus tard, l’endroit le plus sûr est probablement dans le bunker situé sous le manoir.
Pendant que les personnages sont dans le mausolée, arrive à Carinhall un petit groupe de neuf (voire moins, selon l’état actuel des personnages…) fantassins soviétiques. Ce sont des éclaireurs bien en avant du front. Ils sont officiellement en reconnaissance… mais ils ont aussi un autre objectif, plus personnel : le pillage avant l’arrivée du reste de l’Armée Rouge. Ils veulent donc mettre à sac avant l’arrivée de leurs camarades la luxueuse sépulture, qu’ils viennent de découvrir par hasard.
À noter qu’ils sont dépourvus de radio et ne peuvent donc pas communiquer avec l’arrière.
Les nouveaux arrivants ne s’attendent pas à rencontrer quelqu’un dans le mausolée, et seront donc aussi surpris que les personnages en tombant nez-à-nez avec eux. Ils sont aussi relativement affaiblis par un long trajet derrière les lignes ennemies, et n’ont pas forcément envie de s’entretuer avec le commando. Il y a parmi eux un homme (Pavel Souvilov, qui était médecin dans le civil) qui parle l’allemand et le français, et avec lequel les personnages, pris au piège dans le monument, pourraient parlementer. Les Soviétiques accepteront assez facilement de les laisser partir avec leur caisse de tableaux, surtout si les personnages parviennent à les convaincre qu’ils ne sont pas allemands. Ils resteront cependant méfiants vis-à-vis du commando et ne baisseront pas complètement leur garde, surtout si certains d’entre-eux ont été tués ou blessés dans la confrontation. Et rien ne dit qu’après avoir ouvert le cercueil et dépouillé le corps de ses bijoux, ils ne se raviseront pas et ne se lanceront pas aux trousses des personnages pour savoir ce qu’il y avait vraiment de si important dans cette fameuse caisse…
Derrière les lignes ennemies
N’oublions pas que les personnages sont à pied dans une zone de guerre. Il leur faut rapidement trouver un moyen d’évacuer la région et de rejoindre les lignes alliées.
Deux possibilités majeures s’offrent à eux :
– soit ils s’emparent d’un véhicule (a priori militaire) allemand et font route vers l’ouest ;
– soit ils tentent de se faire extraire par un avion américain, sur l’aérodrome de Göring.
La mission des personnages est en elle-même relativement délicate ; mais la situation actuelle dans la région la complique encore : car les lieux grouillent de militaires allemands se préparant à subir l’assaut du rouleau compresseur de l’Armée Rouge, d’éléments avancés soviétiques en mission de reconnaissance ou de sabotage, et bientôt, du gros des troupes de Staline.
Si les personnages sont capturés par les Allemands, ils risquent l’exécution pure et simple sur place, en tant qu’espions. Toutefois, si leurs ravisseurs découvrent qu’ils sont Américains (ou en sont persuadés, à tort ou à raison), ils seront épargnés et amenés auprès d’officiers plus gradés pour être interrogés : la présence d’Américains aussi près de Berlin laisse espérer une opération importante, et à tout prendre les Allemands préféreraient avoir affaire aux G.I. plutôt qu’à l’Armée Rouge.
Si les personnages sont capturés par les Soviétiques alors qu’ils étaient libres, ils rejoindront l’un des nombreux camps de prisonniers de guerre allemands. Il faut espérer pour eux qu’ils parviendront à s’en échapper, sinon ils passeront de longues années de travaux forcés en URSS… en espérant qu’ils survivent à des conditions de détention peu enviables.
Si les personnages sont capturés par les Soviétiques alors qu’ils étaient prisonniers des Allemands, ils ont une chance d’être un peu mieux traités s’ils parviennent à convaincre leurs nouveaux ravisseurs qu’ils appartiennent aux armées alliées. Ils seront détenus quelques temps, puis libérés à l’été 1945 lorsque les Occidentaux arriveront dans Berlin.
Épilogue
Carinhall sera démoli par la Luftwaffe le 28 avril. Ses décombres serviront de matériaux de construction aux troupes soviétiques.
Le mausolée de Carin sera pillé et endommagé par l’Armée Rouge. Si les personnages ont laissé des tableaux sur place, ceux-ci seront détruits ou volés. Si les tableaux ont été mis à l’abri dans une bonne cachette, ils ont une chance de rester intacts ; mais il faudra encore aller les y récupérer.
La collection de Göring sera retrouvée par les Alliés à Altaussee et Berchtesgaden, à l’exception des pièces disparues au cours des multiples transports. Peut-être d’ailleurs les personnages seront ils encore une fois de la partie ? Mais ceci est une autre histoire…
Le MFAA continuera ses opérations pour retrouver les œuvres d’art volées par les nazis, mais évitera de se lancer dans des expéditions aussi dignes des Pieds Nickelés que celle menée par les personnages…
Note :
Les MJ préférant ne pas être contraints de coller de près à la réalité historique pourront déplacer ce scénario, en lieu et en temps, en remplaçant Hermann Göring par un dignitaire nazi fictif, en situant sa propriété dans l’ouest de l’Allemagne, et/ou en plaçant l’action après la fin de la guerre. Ceux qui ne supportent pas les inexactitudes historiques souhaiteront d’ailleurs peut-être faire de même, car si je me suis efforcé de respecter autant que faire se peut la réalité telle qu’elle était présentée dans la documentation que j’ai consultée pour l’élaboration du présent scénario, je ne garantis pas que tout soit vraiment fidèle à l’Histoire (et pour commencer, je ne suis pas certain que Carinhall serait resté désert entre le départ de son propriétaire et les opérations de démolition…).