Scénario pour mercenaires à l’époque contemporaine.
Si vous êtes censés participer à ce scénario en tant que joueurs, ne lisez pas plus loin…
Note liminaire
Afin d’éviter d’être taxé de mauvais goût et de me voir reprocher par certains d’exploiter une éventuelle actualité peu reluisante, puis de voir un scénario basé sur des évènements récents au moment de sa publication devenir complètement daté avec le passage des années, j’ai choisi de faire référence dans ce scénario à deux pays fictifs, anciennes colonies britanniques en Afrique orientale :
– d’une part, la République du Miranda, une création (non détaillée) de Pierre Zaplotny dans son scénario La bonne aventure pour James Bond 007, paru dans Chroniques d’Outre Monde n° 14 (novembre 1988).
– d’autre part, le Kombala, au sud du Kenya, servant de cadre à deux albums des Chevaliers du Ciel publiés chez Novedi : L’espion venu du ciel (Jean-Michel Charlier et Patrice Serres, 1984) et Survol interdit (Jean-Michel Charlier et Al Coutelis, 1988).
Le présent scénario part du principe que ces deux États sont proches (voire limitrophes), et que les évènements décrits dans les sources mentionnées plus haut ont eu lieu dans la deuxième moitié des années ’80 (et sont donc passés depuis longtemps).
Chacun sera bien évidemment libre de déplacer les faits décrits vers des États précis du monde réel, en fonction de l’actualité du moment et de sa propre sensibilité.
Le génocide kombalien
Après la chute du régime du maréchal Ojumbé, le Kombala (capitale : Lumbashi) a vécu une longue période de temps troubles. La population du pays est divisée entre deux groupes ethniques principaux, les Soko et les Hébéké. Une succession de coups d’état militaires et de tentatives plus ou moins brèves pour instaurer une véritable démocratie a exacerbé le clivage entre ces deux groupes (un représentant de l’un chassant souvent du pouvoir un membre de l’autre), jusqu’à aboutir il y a quelques années à un vaste massacre des Soko par les Hébéké, massacre souvent qualifié de génocide au cours duquel périt plus de 5 % de la population kombalienne.
Actuellement, le pouvoir est toujours détenu par un Hébéké, le maréchal Pangouma, président largement réélu dans des élections largement truquées, et dans les faits, dictateur dirigeant le Kombala d’une poigne de fer n’ayant rien à envier à celle d’Ojumbé. La principale opposition politique vient du KPF, le Front Populaire Kombalien, une organisation de lutte armée principalement constituée de Soko, qui combat le régime de Pangouma par des actes que celui-ci qualifie de terroristes. Le KPF est hors-la-loi au Kombala, et ses principaux leaders se sont réfugiés au Miranda.
Si la communauté internationale s’est toujours montrée très frileuse pour soutenir le KPF, le régime de Pangouma ne possède que peu de soutiens. Le Miranda maintient une stricte neutralité, car ce pays, lui-même plutôt totalitaire, craint d’être déstabilisé par une extension régionale du conflit interne kombalien. Le principal appui du maréchal vient d’une multinationale, Blue Moon Corp, à qui il a conféré des droits d’exploitation sur des régions diamantifères et pétrolifères de l’intérieur des terres, régions dont les ressources pourraient assurer durablement la richesse du pays.
Ces riches régions minières, dont le potentiel n’a été découvert que peu avant le coup d’état ayant entraîné le génocide, correspondent à des territoires soko ; et bien que ce fait n’ait jusqu’à présent pas éclaté au grand jour, le principal instigateur des massacres a été Blue Moon, qui y voyait un moyen facile de se débarrasser de la population de ces zones sans devoir lui payer des indemnités pour en obtenir les terres ni faire face à des recours juridiques pour les nuisances (comprendre : pollutions) occasionnées à ses nouveaux voisins.
La responsabilité de Blue Moon dans le génocide est écrasante ; tellement écrasante que la multinationale a fait l’objet d’enquêtes et même d’une action devant le tribunal pénal international ; mais tout ceci s’est effondré, faute de preuves suffisantes (et également en bonne partie grâce à l’influence de la société et à sa puissance financière). Bref, les initiés (et parmi eux, les dirigeants du KPF) savent pertinemment que Blue Moon est derrière les massacres au Kombala, mais officiellement la multinationale est blanche comme neige et a intenté (et gagné) plusieurs procès en diffamation pour « défendre son honneur ».
La mission
Les personnages sont des mercenaires. Ils sont contactés par des représentants du KPF en exil à Komaré, la capitale du Miranda, qui leur demandent de couler un yacht, le Gloria Maris, circulant actuellement au large de la côte est de l’Afrique. Le navire compte parmi ses passagers Barry McCormack, l’un des principaux cadres de Blue Moon et le principal responsable du génocide kombalien, et c’est lui qui est spécifiquement visé (comme l’expliqueront clairement aux personnages les gens du KPF) : la destruction du yacht n’a pas d’autre but que de tuer McCormack.
Le circuit du Gloria Maris devrait l’amener à longer le (court) littoral mirandais et ses îles côtières, en provenance des Seychelles et en direction de Zanzibar, sa prochaine escale (à noter que le paquebot ne s’approchera pas des eaux kombaliennes et du port de Kombo, l’insécurité liée à la situation politique du pays ayant fait fuir les touristes). Le navire va passer selon les endroits à une distance de dix à vingt-cinq kilomètres de la côte.
Le Gloria Maris appartient à un prince mirandais (d’un des royaumes traditionnels bantous qui occupaient le territoire de l’actuelle république), Namugala. C’est un yacht à moteur de quarante mètres de long et 2m30 de tirant d’eau, capable de filer vingt nœuds (environ 37 km/h) dans de bonnes conditions, avec une autonomie d’environ 8.000 km. Son équipage complet est de six personnes (y compris un cuisinier et un valet de chambre ; deux suffisent à le manœuvrer, beaucoup de choses étant automatisées et pouvant être commandées depuis le poste de pilotage), et il peut emporter jusqu’à huit passagers dans des conditions confortables. Il y a trois ponts.
Des plans de yachts de ce genre se trouvent par exemple dans le GM’s Companion pour Millenium’s End (pages 91/93), ou dans Thrilling Locations pour James Bond 007 (page 125, texte pages 105/107).
En réalité, le KPF n’a aucune preuve de la présence de McCormack à bord du Gloria Maris : l’opération est lancée sur la foi d’une simple rumeur : il aurait été reconnu sur une photo prise à bord lors de l’escale aux Seychelles et postée sur un réseau social. La photo montre à l’arrière-plan un homme vu de trois-quarts qui pourrait effectivement être le cadre de Blue Moon, mais il est difficile d’être catégorique à ce sujet.
Il est à noter que Namugala n’a aucun lien avec le génocide kombalien (par le passé, il a même eu quelques prises de position favorables au KPF). McCormack est en relations avec lui car ils ont négocié des concessions minières pour Blue Moon sur les terres du royaume (qui bénéficie d’une relative autonomie au sein de la république de Miranda) pour y extraire du cobalt : Namugala est l’un des fils les plus influents du roi Obadale, et est en train de devenir un homme politique mirandais important.
Vingt-deux, les v’la !
Quelle que soit la solution que les personnages comptent mettre en œuvre, un problème imprévu va se poser : le Miranda est un état totalitaire, et s’il tolère la présence sur son sol de l’opposition kombalienne en exil (sous la forme du KPF), la police mirandaise surveille de près les agissements de ses membres, et a donc eu vent de la préparation d’un attentat contre le yacht de Namugala. Une fois que les personnages auront accepté la mission et eu à son sujet toutes les informations nécessaires ainsi qu’un premier paiement d’avance, la cellule du KPF avec laquelle ils étaient en relations sera entièrement raflée. Les mercenaires s’en rendront compte lorsqu’ils chercheront à les recontacter, par exemple pour obtenir des précisions supplémentaires sur l’approche des côtes mirandaises par le yacht ou pour négocier une augmentation de leurs émoluments.
Une fois que les personnages auront constaté la mystérieuse (et inquiétante) disparition de leurs contacts du KPF, leur propre planque sera perquisitionnée par la police, en force et sans aucune discrétion : s’ils sont absents, les armes, explosifs, et autres matériels incriminants insuffisamment bien dissimulés seront saisis ; s’ils sont présents, ils auront le choix entre une fuite rapide et l’affrontement avec les forces de l’ordre (qui devrait en principe tourner à leur avantage, la police étant moins bien armée qu’eux, mais pourrait leur valoir des ennuis conséquents par la suite).
Les personnages doivent donc passer à la clandestinité, qu’ils choisissent ou non de mener à bien leur mission.
La plaisance, c’est le pied
Si les personnages vérifient la présence de McCormack à bord du Gloria Maris, ils constatent que celui-ci s’y trouve bien. Le reste des occupants du yacht se compose du commandant Isaac Ogwambo, de son second Abasi Kimale, de deux matelots Ali et Salongo (Ali fait aussi office de valet de chambre), du cuisinier Jonah, du steward Mutara, de Namugala lui-même, de sa première épouse Nagesa, de son fils de neuf ans Musamba, de deux de ses gardes du corps Moses et Ajuma, de son secrétaire Bernard Mugo, de McCormack et de sa maîtresse Jenny Coulton. Seuls McCormack et Coulton sont blancs, tous les autres sont mirandais de souche.
McCormack et Namugala sont armés (de pistolets), de même bien entendu que les gardes du corps (qui ont des Kalachnikov). Il y a également à bord une petite armurerie (fermée à clé) permettant d’armer l’équipage et les passagers en cas de problème (la zone d’activité des pirates somaliens n’est pas si éloignée).
Faire sauter le yacht ne devrait pas poser de problème particulier, pour peu que les personnages soient correctement équipés pour ce faire et approchent leur objectif avec suffisamment de discrétion. Les occupants du navire ne s’attendent pas à une attaque dans les eaux territoriales mirandaises.
Si les personnages font sauter le navire sans se soucier le moins du monde des personnes qui vont périr dans l’affaire… il est peut-être temps de chercher de nouveaux joueurs, adeptes d’un jeu un peu plus fin. D’ailleurs, si jamais ils n’ont même pas vérifié la présence de leur cible à bord, celle-ci ne s’y trouvait finalement pas, et ils n’ont sur les mains que le sang d’innocents.
Les personnages pourraient cependant répugner à verser le sang d’innocents. Dans ce cas, ils peuvent :
– soit aborder le navire, s’emparer de McCormack, l’enlever et le supprimer ;
– soit donner l’assaut au navire, tuer McCormack et repartir ;
– soit évacuer tous les occupants du navire sauf McCormack avant de le faire sauter ;
– soit tuer McCormack à distance (à l’arme à feu ; mais il faudra quand même s’approcher suffisamment pour pouvoir faire mouche, ce qui signifie être repérés par les occupants du yacht et tirer depuis une plate-forme instable car soumise aux mouvements de la houle).
Bien entendu, les gardes du corps de Namugala s’opposeront par la force à toute action offensive visant le yacht ou l’un de ses occupants. Ils n’hésiteront pas à faire dans la débauche de munitions, se sachant pratiquement assurés d’être couverts devant la justice mirandaise par le poids politique du prince. En cas d’attaque, des armes seront distribuées par le prince, le commandant de bord, ou l’un des gardes du corps, aux occupants qui n’en ont pas (y compris Musamba, qui se verra remettre une Kalachnikov), et tous se défendront énergiquement.
Par ici la sortie
Que les personnages aient ou non mené à bien leur mission, il leur faut encore sortir du Miranda. Or ils sont recherchés par la police (qui n’hésitera pas à tirer d’abord et à poser les questions après, surtout si les mercenaires ont déjà affronté les forces de l’ordre mirandaises ou attaqué le yacht ou le prince Namugala). Et s’ils ont éliminé McCormack ou coulé le navire, ils souhaiteront sans doute recevoir du KPF le reste du paiement promis.
S’emparer du yacht, éventuellement en prenant Namugala en otage, n’est certainement pas une bonne idée, car le prince est une personnalité mirandaise influente et de telles actions provoqueraient une intervention de l’armée, qui se finirait probablement en bain de sang et certainement tragiquement pour les personnages.
La solution la plus simple pour quitter le Miranda si les mercenaires ne disposent pas déjà d’une filière d’exfiltration sera sans doute de s’emparer d’un petit bateau de pêche à moteur dans un village côtier (par exemple sur l’une des îles que longeait le yacht) et de partir par exemple vers les Seychelles ou les Comores, où ils pourront arriver plus discrètement, se fondre dans la masse et repartir vers une autre destination.
En dehors du Miranda, le KPF dispose principalement d’une « représentation diplomatique en exil » à Londres (c’est sa facette « respectable » de mouvement d’opposition). Les personnages pourraient la contacter pour recevoir leur dû. Cela ne se fera pas sans mal, car il faudra apporter les preuves de leur contrat avec la cellule de Komaré et celles de la réussite de leur mission.
Les mercenaires pourraient aussi avoir l’idée de chercher à contacter le KPF directement au Kombala ; cela sera difficile et dangereux, car le Kombala est une dictature sans pitié où le KPF est hors-la-loi : si les autorités apprennent que les personnages sont liés à ce mouvement terroriste, elles les feront arrêter et jeter sans procès dans une geôle, avant de les interroger longuement (et violemment) pour extraire d’eux tous les renseignements possibles. Il est à craindre que les personnages ne finissent leur vie dans une cellule insalubre, à moins qu’un nouveau coup d’état à Lumbashi ne porte au pouvoir leurs amis, auquel cas ils finiront par être libérés quelques mois plus tard…