Ces JdR de SF injustement méconnus : Ringworld

Nous sommes (déjà) le 31 mai, c’est-à-dire le moment de l’année où je me fends d’un billet pour vous rappeler l’existence d’un JdR de SF injustement méconnu parmi d’autres…
D’ailleurs, je me répète certes mais je ne sais pas si je vais continuer très longtemps, puisque je m’impose pour sélectionner un jeu un certain nombre de critères qui deviennent plus difficiles à remplir d’année en année, à mesure que les choix les plus évidents ont été utilisés : en effet, pour qu’un JdR soit présenté dans ce cadre, il faut : 1°) que ce soit un JdR, et pas une sous-gamme d’un autre JdR (ce qui disqualifie d’office Transhuman Space ou Spelljammer, par exemple, de même que l’une ou l’autre des éditions de Traveller) ; 2°) que son thème soit un thème de science-fiction (ben ouais, c’est dans la définition) ; 3 °) qu’il soit méconnu (toujours difficile à évaluer, surtout quand on « baigne » dans des JdR que l’on considère soi-même comme essentiels mais qui s’avèrent souvent inconnus du moyen public (on ne peut décemment pas parler de grand public ici)) ; 4°) que cette situation soit injuste, c’est-à-dire que le jeu en question gagne à être connu. Ça, c’est pour l’intitulé de la catégorie. Mais je m’impose quelques critères supplémentaires, qui sont 5°) d’avoir dans ma ludothèque, sinon l’intégrale de la gamme, du moins tous les bouquins qui m’y intéressent (ceci, afin en particulier d’avoir une bonne vue d’ensemble du sujet), et 6°) d’avoir lu le jeu lui-même (forcément, pour en parler doctement, ça me parait incontournable) ET tous ceux de ses suppléments que j’ai (et ça, c’est un critère qui rend pour l’instant inéligibles quelques titres). Et accessoirement 7°), que mes souvenirs de lecture soient suffisamment frais pour que je puisse argumenter mon billet (ce qui devient de plus en plus un problème avec le passage des années ; il y a quelques jeux qui me semblent pouvoir faire des candidats corrects, mais qu’il faudrait que je relise pour pouvoir les présenter, ce qui nécessiterait un temps qui me fait hélas cruellement défaut).
Bref, plus ça va et moins les possibilités exploitables sont nombreuses… Je vais ptêt devoir finir par me décider, soit à arrêter l’exercice, soit à l’élargir à des sous-gammes ou à autre chose que de la SF sous toutes ses formes. On verra, mais quoi qu’il en soit, ça ne sera pas encore pour cette année, puisqu’aujourd’hui je vais vous toucher quelques mots de

Ringworld

Traditionnellement et historiquement, le JdR est surtout associé à des thématiques med-fan’ (parfois légèrement mâtinées de SF, comme on l’a vu avec le vaisseau spatial écrasé sur un monde med-fan’ d’Expedition to the Barrier Peaks ou la présence de super-héros dans (me semble t-il) White Bear and Red Moon (qui n’est certes pas un JdR, mais dont le contexte est aussi celui d’un JdR)). Donc les systèmes de jeu étaient souvent conçus pour pouvoir gérer du med-fan’, et s’adaptaient avec beaucoup moins de facilité (ou sans doute plutôt, beaucoup plus de difficultés) à des choses technologiquement plus évoluées, malgré ce que pourraient laisser croire les quelques pages d’adaptations à d’autres JdR du même éditeur figurant dans le Dungeon Master’s Guide.
Prenons par exemple le Basic RolePlaying System, le système de règles maison de chez Chaosium. Il était clairement fait pour du med-fan’ (RuneQuest), même s’il a ensuite motorisé des jeux sur d’autres thèmes. Mais quoi qu’il en soit, et à part peut-être dans sa dernière incarnation (celle de 2008, énormément augmentée par rapport au petit livret originel plusieurs fois réédité), et à l’exception notable de sa version Call of Cthulhu, on l’associe principalement à des cadres med-fan’ ou proches du med-fan’ ; et assurément à de la SF tendance hard science. Et pourtant, c’est bien ce système de jeu qui motorise l’éphémère adaptation officielle en JdR du Known Space de Larry Niven (et principalement de ses bouquins consacrés à L’Anneau-Monde) : Ringworld.

Paru chez Chaosium en 1984, Ringworld se présente sous la forme d’une boîte épaisse et bien remplie (tellement bien remplie que même en en retirant les dés, elle ne ferme pas correctement quand on essaie d’y mettre en plus son unique supplément), sous une illustration de couverture plutôt chouette signée Ralph McQuarrie. Outre un sachet de cinq dés (2D6, 1D8 et 2D20), on trouve là une feuille présentant le contenu de la boîte, quatre livrets contenant les règles et le contexte (densément remplis avec du texte écrit petit sur trois colonnes, et principalement illustrés par Lisa A. Free), un livret de référence (avec infos générales sur l’anneau-monde et feuilles de perso vierges), un feuillet de référence rassemblant quelques tables, et même une planche de figurines en carton à découper. Bref, côté contenu, on n’est pas lésés.

Les deux auteurs principaux sont John Hewitt (le spécialiste du contexte) et Sherman Kahn (qui s’est occupé de l’essentiel des éléments SF des règles). Le premier ne semble rien avoir publié d’autre en JdR, le second figurait au moins aussi au générique du RuneQuest Companion. En plus de ce duo, une tripotée des auteurs habituels de Chaosium sont également cités.

Le premier livret, l’Explorer Book (60 pages + couv’), contient les règles de création de persos, les bases du système de jeu, des infos de contexte (sur la Terre, sur diverses autres planètes, etc… ; mais PAS sur l’anneau-monde), des infos sur les Kzinti et les Marionnettistes (deux espèces ET que l’on peut incarner comme PJ), et un lexique.
Le matos fait sans surprise l’objet du Technology Book (36 pages). Le Creatures Book (44 pages) est un recueil d’espèces pensantes de l’Espace connu (dont les dauphins élevés à la conscience, et les Paks), d’humanoïdes pensants de l’anneau-monde, et de bestioles et de plantes, toujours de l’anneau-monde. Tout ça doit être directement tiré des ouvrages de Niven (et peut même gâcher le plaisir de la découverte de ceux qui les liraient après avoir étudié de près le JdR).
Enfin, le Gamemaster Book (48 pages + couv’), destiné comme son nom l’indique au MJ, contient principalement des infos sur l’anneau-monde, des règles sur les pouvoirs psioniques, et un scénario dans lequel le vaisseau spatial à bord duquel se trouvent les PJ (membres d’une expédition d’exploration spatiale) s’écrase sur l’anneau-monde (mais je l’ai lu il y a trop longtemps pour en avoir des souvenirs exploitables).

Tel quel, Ringworld a un peu le cul entre deux chaises : vu son traitement vaste (allant bien au-delà de l’anneau-monde lui-même) du contexte décrit par Niven, il aurait presque pu s’appeler Known Space RPG, sauf qu’il lui manque un aspect essentiel de tout JdR de space opera normalement constitué (ou presque, puisque c’est une lacune qu’il partage avec Star Frontiers) : des règles sur les voyages spatiaux. Vous me direz, pour jouer sur l’anneau-monde (qui est quand même le thème du jeu), c’est pas bien grave. Certes ; mais quand on a toutes ces infos à côté, on peut légitimement finir par avoir envie de les exploiter… Heureusement, Ringworld a été suivi d’un supplément, Ringworld Companion (80 pages + couv’), constitué en particulier d’éléments qui avaient dû être laissés de côté pour le jeu de base.Le contenu de ce Companion est disparate : outre une nouvelle feuille de perso et les errata du jeu, on y trouve entre autres de nouvelles créatures de l’anneau-monde (qui cette fois-ci ont probablement été créées spécialement pour le JdR), de nouvelles espèces ET (ou non-ET d’ailleurs, puisqu’il y a dans la liste les orques (épaulards) et les cachalots élevés à la conscience), du matos supplémentaire, quelques considérations sur les voyages hyperspatiaux, et deux scénarios.

D’autres suppléments étaient prévus, puisqu’un catalogue Chaosium de l’automne 1985 évoquait la sortie prochaine de The City and Jungle (An unfallen Citybuilder City surrounded by a vast rainforest – Intrigue and adventure!) et de Known Space (The galaxy outside of Ringworld!). (le catalogue hiver 1984 / printemps 1985 n’évoquait que The City and the Jungle, sans en dire plus ; et celui de l’été 1986 ne parlait plus ni de l’un, ni de l’autre (ma « collection » de catalogues Chaosium étant largement incomplète, je ne peux guère être plus précis). Les ventes de Ringworld n’ayant pas été à la hauteur des attentes de Chaosium (il me semble qu’il y avait aussi une sombre histoire de droits sur l’œuvre de Niven, contestés par un éditeur de jeux vidéos, mais je ne me souviens plus des détails et Designers & Dragons n’évoque que des « sluggish sales »), ni ces titres ni d’autres ne sont jamais parus, et le jeu a vite disparu. Il y a par contre eu au moins deux articles dans la presse spécialisée : Louis Wu & His Motley Crew dans Different Worlds n° 37 (novembre décembre 1984), un scénar avec les caracs des héros des bouquins ; et The Dolphins of Known Space dans The Dragon n° 95 (mars 1985), article sur les dauphins élevés à la conscience permettant en particulier d’en incarner comme PJ.

J’ai malheureusement lu Ringworld plusieurs années avant les romans de Niven (romans qui par ailleurs ne m’ont pas vraiment passionné) ; et je crains que faire du « planet » opera, même sur une surface aussi démesurée que celle d’un anneau-monde, ne me lasse assez rapidement. Mais à chaque fois que je reprends ce jeu, je ne peux m’empêcher de constater qu’il est bien rempli et qu’il y aurait sans doute moyen de faire bien des choses avec lui : soit sur l’anneau-monde pour ceux qui ont apprécié les romans, soit d’une manière plus générale, dans l’Espace connu (un contexte que je ne connais guère, n’ayant quasiment rien lu d’autre à son sujet que les deux premiers volumes de L’Anneau-Monde et Protecteur). Et c’est là que le supplément Known Space aurait été fort utile ; même si j’ai le sentiment qu’il serait assez aisé, pour un MJ connaissant bien l’œuvre de Niven, de développer ça lui-même.

(une autre présentation de Ringworld sur Anniceris)

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