Ces réflexions, destinées à terme à être mises en forme et publiées sur mon site, ont été initiées par une discussion avec Greg, l’auteur du générateur campbellien, au sujet de sa création, qui permet d’élaborer de véritables campagnes (et non plus de simples scénarios). En effet, si sur le papier l’idée est intéressante, dans la réalité j’ai des doutes quant à la possibilité d’élaborer réellement une campagne de A à Z à l’avance (d’une manière générale ; je ne vise pas particulièrement le générateur campbellien). De mon expérience, une campagne soigneusement bichonnée survit difficilement telle quelle au contact avec les idées des joueurs, les actions des PJ, et les résultats des dés, et la suite de dix scénarios peaufinés par le MJ peut fort bien se retrouver inutilisable au bout de deux parties ; à moins évidemment d’avoir prévu quelque chose de particulièrement directif. C’est tout le problème des campagnes publiées, qui doivent être suffisamment linéaires (ou suffisamment décousues) pour qu’on puisse espérer les jouer sans les faire dérailler irrémédiablement ; faute de quoi, ce ne sont finalement que des comptes-rendus de partie améliorés, l’auteur reprenant le fil des évènements tel qu’il s’est déroulé lors de ses parties, alors que la campagne n’avait pas encore vraiment été écrite.
Pour moi (de mon expérience personnelle), une campagne s’élabore presque au fur et à mesure qu’on la joue, le nouveau scénario en fonction des résultats du scénario précédent ; il existe des solutions pour faire autrement, mais je crains que tôt ou tard le résultat fasse quand même artificiel et que les joueurs se sentent frustrés.
À ce stade de mes réflexions, je distingue huit grands types de campagnes (qui se recoupent les uns les autres et peuvent parfois se combiner) :
– campagne décousue : suite de scénarios sans réel lien entre eux autre que la continuité de contexte et un ou plusieurs PJ (voire à l’extrême, « le groupe de PJ », car il peut arriver qu’à un point il ne comprenne plus aucun de ses membres fondateurs).
Dans ce cas, les scénarios étant globalement indépendants, il est relativement aisé d’en préparer plusieurs à l’avance. Mais pour certains puristes (dont je ne suis pas), cette forme de jeu ne mérite pas l’appellation de « campagne ».
– campagne directive (linéaire, à rails) : dans laquelle les actions des PJ (hors apogée de la campagne) n’ont pas de réelle incidence sur le déroulement de la campagne et l’enchaînement des scénarios.
(exemple vécu (ou plutôt subi) d’une campagne med-fan’ où les PJ avaient été chargés de retrouver une princesse enlevée : à chaque escale de leur navire dans un nouveau port, il y avait un scénario de prévu sur les traces de la captive, mais jamais ils ne la rattrapaient ; j’ai quitté cette campagne en cours de route et ne sais même pas si elle a eu une fin)
Toute la campagne peut être préparée à l’avance (mais attention aux risques de frustration des joueurs, qui peuvent finir par se sentir impuissants).
– campagne à missions : les PJ reçoivent des missions d’un même (a priori) commanditaire (exemples : MEGA, James Bond 007, jeux de policiers comme Berlin XVIII, jeux militaires).
Les scénarios peuvent ou non être liés entre eux, mais en général, il est assez facile d’en préparer plusieurs d’avance (c’est souvent une forme particulière de campagne décousue). Le principe des missions assure que les PJ auront la motivation nécessaire pour se lancer dans le scénario prévu.
– campagne à objectif clairement défini : les PJ ont un but clair à atteindre qui va motiver toutes leurs actions dans la campagne.
Dans ce cas, le MJ peut anticiper un certain nombre de décisions que prendront les joueurs, puisqu’il connaît le but de leurs persos. Il est donc assez aisé de préparer les scénarios à l’avance ; mais les risques de déviation par rapport à la ligne prévue sont d’autant plus grands que la situation est potentiellement riche (s’il s’agit d’une campagne politique pour une élection par exemple, les actions des PJ peuvent rapidement faire dérailler ce qui a été prévu).
– campagne à chronologie sous-jacente : dans ce cas, une succession d’évènements est prévue, dont les actions des PJ vont perturber (ou non) le déroulement.
Ces campagnes peuvent être relativement bien préparées à l’avance, selon l’importance des modifications que les actions des PJ peuvent réellement apporter à l’enchaînement théorique des évènements.
Une campagne peut facilement être à la fois à objectif clairement défini et à chronologie sous-jacente, comme dans le cas évoqué plus haut d’une campagne électorale.
– campagne d’ampleur courte (en temps dans le jeu et/ou en temps de jeu) : dans ce cas, il y a généralement une motivation / un moteur qui fait avancer la campagne ou les PJ sans que les joueurs ne se posent beaucoup de questions (et donc ne se rendent compte que le MJ ne laisse à leurs persos qu’une liberté toute relative). Il faut aller vite, se décider rapidement.
Il s’agit d’un intermédiaire (ou d’une combinaison) entre la campagne à objectif clairement défini et la campagne à chronologie sous-jacente. Ces campagnes ont un format compact et peuvent généralement se préparer à l’avance.
C’est à mon avis le meilleur cadre d’emploi du générateur campbellien.
– campagne à gouvernail : les PJ ne sont pas maîtres de la direction dans laquelle ils se déplacent (membres d’équipage d’un navire ou d’un vaisseau spatial, membres d’une caravane ou d’une unité militaire, etc… ; mais toujours sans pouvoir décisionnel).
Là encore, on retombe sur une variante de la campagne décousue : les déplacements du groupe étant prévisibles, les scénarios peuvent être préparés à l’avance ; d’autant que le fait que le groupe soit en mouvement évite que bien des actions imprévues des persos aient des répercussions majeures sur la campagne telle que le MJ l’envisage.
L’inconvénient de ce genre de campagnes est que généralement, les joueurs aspirent tôt ou tard à voir leurs persos prendre les choses en main ; lorsqu’ils y parviennent (si ça arrive), la campagne n’est par la force des choses plus une campagne à gouvernail.
– campagne ouverte : les décisions des joueurs et les actions des PJ décident de l’évolution prise par les situations mises en scène, rien n’est préparable à l’avance sur le moyen ou long terme. Cela n’empêche pas le MJ de prévoir des passages obligés (ou du moins, des points par lesquels il souhaite que la campagne passe), mais cela ne peut constituer qu’une architecture très lâche.
Les campagnes de type bac à sable ressortent souvent de ce type. Un exemple est ma campagne travellerienne des Errances de Rachel : j’ai un objectif intermédiaire en vue que j’aimerais voir les PJ atteindre dans quelques temps, et quelques vagues idées pour orienter l’action, mais pour le reste je ne prépare qu’un coup d’avance. L’incident de saut à la fin du premier scénario était inattendu, mais n’a rien fichu en l’air de mes plans, puisque je n’avais rien de concrètement prévu derrière (j’irais même jusqu’à dire qu’il m’a ouvert des possibilités plus intéressantes que ce que j’aurais préparé sinon).
Les campagnes ouvertes marchent mieux avec des joueurs capables de prendre des initiatives, et moins bien avec des joueurs qui attendent d’être guidés par l’évolution autonome du scénario.
Ping : Comment préparer quand même une campagne ouverte | imaginos
J’aime ces distinctions. y a de l’analyse et de l’expérience là-dessous! :)
De l’analyse, assurément, mais de l’expérience, pas autant que je l’aimerais, hélas ! :-(
(bon, un peu, quand même…) ;-)