Compte-rendu d’une partie de Traveller basée sur une version modifiée du toujours efficace scénario Type S publié par Avenger / ComStar..
(le nom de la campagne est provisoire…)
016-1105. Nous sommes dans le système stellaire de Joyau (Marches Directes / Joyau 1106), où sont concentrées d’importantes garnisons militaires, du fait de sa situation stratégique comme point-clé du Saillant de Joyau, cette pointe de la frontière impériale dardée au contact du Consulat zhodani et sous la menace directe d’une reprise des hostilités, la Quatrième Guerre Frontalière, qui s’est achevée il y a à peine plus de vingt ans, étant encore présente dans tous les esprits (et ses conséquences restant bien visibles sur le sol planétaire, par le cratère radioactif laissé par le bombardement de la base de défense polaire nord, bombardement qui a, par la fonte des glaces qu’il a provoqué, entraîné l’élévation du niveau des océans recouvrant les deux-tiers du globe, avec inondation des zones côtières et création de nouvelles régions marécageuses). La présence d’une énorme base conjointe de la Stellaire et du SIEI fait des forces armées un aspect essentiel de la vie économique du spatioport orbital.
Dans la partie SIEI de la base, le scientifique et médecin Damien Parker, qui s’apprête à quitter le Service pour se lancer dans une carrière d’indépendant, sort tout juste de son entretien à la branche Personnel du bureau Administration, où son dossier a été mis à jour et où on lui a encore une fois expliqué les devoirs du réserviste, qui sera son nouveau statut pendant 29 ans. Il s’apprête à quitter définitivement les lieux, quand il est rattrapé dans la coursive par un tout jeune éclaireur, encore un peu trop formaliste (dans son uniforme et sa façon de s’adresser à son futur-ex-collègue ; mais cette attitude devrait s’estomper plus ou moins rapidement), qui l’informe que la directrice Andrea Casartelli, responsable du bureau Détachement de la base de Joyau (et pour tout le sous-secteur) veut le voir dans son bureau. Damien s’y fait conduire.
Andrea Casartelli est une petite blonde énergique proche de la soixantaine et qui, après un beau parcours professionnel sur le Terrain puis plus récemment dans les Bureaux, finira certainement sa carrière comme directrice en chef sur une grosse base, peut-être celle de Joyau où elle succéderait à Justin Bormann).
« Ah, Parker… Alors comme ça, vous nous quittez ?
– Eh oui madame.
– C’est regrettable. Dites-moi, vous aviez fait une demande pour que le bureau vous confie un vaisseau ?
– C’est exact, oui.
– J’ai accepté sur le principe, mais je n’ai pas de vaisseau en surplus ici, ni sur les autres bases du sous-secteur… Je vois quand même une solution possible pour accéder à votre demande : nous avons actuellement un appareil en détachement qui est en panne sur Nakege. L’équipage à qui il avait été confié a… déconné. Je ne vais pas entrer dans les détails, mais le vaisseau leur a été retiré. Si vous le voulez, il est pour vous. Mais vous devrez aller le chercher là-bas, procéder aux premières réparations, et le ramener ici pour que la Maintenance lui fasse une révision complète. »
Casartelli complète rapidement quelques documents informatiques qu’elle tenait prêts, et les transfère à Damien : ce sont les documents lui confiant, pour une durée d’un an (renouvelable), une estafette de classe Sulieman et de numéro matricule S001838-C.
Elle explique que le vaisseau a eu un gros problème avec ses systèmes électroniques. Il faut qu’un équipage aille changer un certain nombre de pièces et réinstalle l’essentiel du système informatique de l’ordinateur de bord. Une fois l’appareil à nouveau en état de voler, il devra être ramené à la base de Joyau pour y subir une révision complète. S001838-C se trouve sur Nakege (Marches Directes / Joyau 1305), à deux parsecs d’ici, où son précédent équipage l’a abandonné après avoir commis de graves manquements dans l’entretien et dans l’utilisation « en bon père de famille ». Le SIEI, qui reste propriétaire des vaisseaux en détachement, fournira à Damien les pièces détachées et logiciels nécessaires aux réparations à réaliser sur place (sous la forme de trois cantines pleines de pièces détachées électroniques et d’outils, et d’une quatrième cantine contenant une imprimante 3D et une centrale de diagnostic informatique (qui servira également à l’installation et à la mise à jour logicielle)), ainsi que des codes informatiques permettant de prendre le contrôle de l’ordinateur de bord pour procéder à la nouvelle installation. L’ancien système d’exploitation est probablement fortement corrompu, et de toutes façons il a été reconfiguré pour l’ancien équipage : utiliser le vaisseau sans le réinstaller serait risqué, à supposer que ce soit possible. Le système d’exploitation fourni est un système temporaire, qui fonctionnera pendant trois mois sans mise à jour, puis bloquera l’appareil au sol au premier atterrissage une fois sa validité dépassée, ceci pour d’évidentes raisons de sécurité.
Casartelli remet en outre à Damien quatre titres de transport en deuxième classe pour Nakege via Mongo (Marches Directes / Joyau 1204), valables à bord de n’importe lequel des vaisseaux de la compagnie Coursiers en Joyaux (une petite compagnie commerciale dont les vaisseaux circulent dans et autour de l’Amas de Joyau, en assurant à l’occasion des transports pour le compte du SIEI, surtout pour desservir Nakege, qui n’a pas de base du SIEI et avec qui les liaisons du Service sont donc moins fréquentes) : « Un pour vous, un pour votre pilote, un pour votre mécano et un pour votre informaticien. » En effet, Damien ne sachant ni piloter, ni gérer les machines, va devoir s’entourer d’un équipage compétent (conformément à ce qu’il a indiqué dans son dossier de demande d’attribution d’un vaisseau).
Elle lui fournit encore quatre cartes de crédit prépayées, chacune avec 1000 Cr dessus, pour les dépenses imprévues. Une fois le vaisseau ramené à Joyau, son nouvel équipage sera logé à l’hôtel aux frais du SIEI pendant la durée de la révision (de l’ordre d’une semaine). L’appareil lui sera alors confié pour un an.
Le prêt d’un an est la procédure standard. L’équipage devra prendre en charge les frais inhérents aux systèmes vitaux et le carburant, et entretenir correctement l’appareil. Le journal de bord sera examiné à chaque passage par des installations du SIEI, pour collecter des renseignements sur les spatioports et les mouvements de vaisseaux dans la région. Au bout d’un an, le SIEI assurera la révision annuelle complète de l’appareil, suite à quoi le bail pourra éventuellement être renouvelé pour un an, et ainsi de suite.
En concluant l’entrevue, Casartelli ajoute à propos du vaisseau un énigmatique « Et j’espère que vous ne ferez pas honneur à sa réputation… »
Damien et son comparse Quentin Williamson, un mécanicien costaud et passionné de robots, talentueux mais pathologiquement asocial, qui quitte lui aussi le SIEI en même temps, organisent peu après leur pot de départ, auquel sont conviés d’anciens collègues et quelques autres personnes se trouvant au spatioport orbital de Joyau, dont les deux autres membres du nouvel équipage : Lerbert Von Garthel, fils d’une petite famille noble de Caladbolg (Marches Directes / Mondes-Épées 1329), qui vient lui aussi de quitter (avec le grade de lieutenant de vaisseau de première classe) une carrière d’officier dans la Stellaire, carrière qu’il avait probablement embrassée sous la pression des traditions familiales, car il est manifeste qu’il se serait beaucoup plus épanoui au sein du SIEI ; et Lonyi Yundis Barek, une filiforme et androgyne Darrienne pur souche, brillante diplômée en sciences économiques et commerciales de la prestigieuse université de Zlodh, sur Darrien (Marches Directes / Darrien 0627), sa planète natale dont elle arrive tout juste à l’issue d’un voyage d’environ huit mois. Âgée d’une dizaine d’années de moins que ses futurs compagnons de route, sa prestance et son aisance en société contrastent avec l’attitude de Quentin, qui passe le plus clair de l’évènement à l’écart de la foule, une cagoule décorée de boucliers et d’yeux brodés enfoncée sur la tête.
Ses anciens collègues ayant appris que Damien n’avait toujours pas de vaisseau lui offrent un Sulieman en peluche de 80 cm de long. Quentin reçoit pour sa part un petit robot-jouet parlant.
En discutant avec des éclaireurs mieux informés que lui, Damien apprend que S0013838-C a été baptisé En Fâcheuse Posture, et qu’il a la réputation d’être un vaisseau « porte-poisse » : la dernière remarque d’Andrea Casartelli devient plus claire…
Quelques temps plus tard, les quatre voyageurs parviennent enfin à embarquer pour Nakege, à bord de Halo Rutilant, l’un des trois vaisseaux de classe A-S2 des Coursiers en Joyaux, dont le commandant (et pilote) est Nadia Simanski et dont ils sont les seuls passagers. C’est un petit vaisseau commercial typique, fonctionnel plutôt que luxueux. On est loin du luxe des grands paquebots, mais pour qui sait à quoi s’attendre en voyageant à bord de ce type de vaisseaux, c’est un moyen de transport parfaitement convenable.
Les voyageurs sont cantonnés à la zone destinée aux passagers et, les hublots étant automatiquement obturés par des volets métalliques pendant le saut, ne peuvent pas s’abîmer dans la contemplation du gris de l’espace-saut (un spectacle réputé pour avoir rendu fou des personnes de nature dépressive, raison pour laquelle de nombreux appareils transportant des passagers prennent cette précaution). La situation convient plutôt bien à Quentin, qui n’a ainsi que peu de personnes à côtoyer et se montre capable d’avoir des relations normales avec elles (et sans sa cagoule !), d’autant plus une fois qu’il les connait mieux. Il met à profit le temps dont il dispose pour étudier la constitution et le fonctionnement du robot-jouet qui lui a été offert. Lerbert, qui craint de s’ennuyer, profite du voyage (et en particulier de la longue semaine passée dans le huis clos de l’espace-saut) pour se documenter sur Nakege grâce aux informations de la base de données impériale. Lonyi, à qui il faut une bonne heure le matin au réveil avant d’être pleinement opérationnelle, joue de la harpe et cherche à établir des relations avec l’équipage du vaisseau. Celui-ci est composé de quatre personnes : outre Nadia Simanski, une ancienne capitaine de corvette de la Stellaire d’environ quarante-cinq ans qui s’est reconvertie dans le privé depuis quelques années, il y a Orwenn Julsonn, le mécanicien costaud au crâne rasé, Maryam McAllister, l’astrogatrice (et second mécano), une ancienne du bureau Communications du SIEI dans les mêmes âges que Damien et Quentin, et Guileni Shimushur, le steward et médecin, un jeune de 22 ans qui travaille actuellement pour acquérir de l’expérience médicale et financer la fin de ses études de médecine sur Joyau, qu’il a actuellement interrompues. Damien lui propose de lui faire bénéficier de son expérience, et passe une bonne partie du voyage à l’aider à approfondir certains de ses cours.
Après un ravitaillement en écumant l’atmosphère d’une des géantes gazeuses de Mongo et un rapide arrêt au spatioport orbital pour y déposer une cargaison à la base locale de la Stellaire, Halo Rutilant saute à nouveau, en direction de Nakege, où il arrive sans encombre une semaine plus tard. Guileni Shimushur a fait part aux passagers de l’intention de la commandante Simanski de s’arrêter le moins longtemps possible sur place (pour une raison facile à comprendre : pour un petit vaisseau comme le sien, qui ne dégage que des marges réduites, un arrêt plus long que nécessaire est une perte de temps et donc d’argent), mais les voyageurs préféreraient qu’elle attende au moins qu’ils aient fait un premier examen du vaisseau qu’ils viennent récupérer : au cas où ils constateraient qu’il leur manque du matériel pour cette tâche, Halo Rutilant pourrait porter un message de leur part à une base du SIEI lors de sa prochaine escale. Simanski refuse d’abord, mais grâce aux talents de négociatrice de Lonyi, finit par accepter d’attendre cinq heures sur place.
Grâce aux informations trouvées par Lerbert dans la BDDI, les voyageurs sont déjà assez bien renseignés sur le monde où ils vont débarquer. Nakege, d’un diamètre d’environ 8.000 km, a une atmosphère fortement chargé en gaz soufrés rejetés par l’intense activité volcanique de la plupart de ses montagnes, ce qui rend le port d’un respirateur fortement recommandé, surtout en cas de séjour prolongé ou d’effort physique intense (au grand regret de Lonyi, qui a surtout respiré de l’air en conserve depuis plus de huit mois). Le seul océan, situé juste au sud de l’équateur, n’occupe qu’environ 10 % de la surface planétaire. Les 5.000 habitants vivent pour la plupart près de ses côtes nord-est, dans une région qui n’est pas volcaniquement active. La planète appartient à Schunamann und Sohn, AG (SuSAG), l’une des treize mégacorps, les plus puissantes entreprises de l’Imperium, principalement active dans les domaines de la chimie et des biotechnologies. Les lois locales ne présentent pas de particularité « tordue ». Le niveau technologique qui peut être produit ou réparé localement correspond grosso modo à celui de Terra à la fin du XIXème siècle, et le spatioport n’est que de classe D, très peu équipé et sans élément orbital. Nakege est pauvre et n’a quasiment rien à proposer à l’exportation, son économie étant principalement tournée vers une agriculture vivrière, comme le découvre Lonyi en faisant quelques recherches complémentaires.
Halo Rutilant traverse l’atmosphère de la planète et ses nuages orange ou brun sombre sans rencontrer beaucoup de turbulences, et bientôt le vaisseau est sur le sol au spatioport. Celui-ci est principalement constitué d’une dizaine d’emplacements agencés en un cercle ouvert d’environ un kilomètre de diamètre autour de la zone d’atterrissage vertical, chacun entouré vers l’extérieur et sur les côtés d’un mur épais principalement fait de terre, et dont trois sont couverts d’un toit. Aucun vaisseau n’étant visible depuis le ciel, Lerbert se félicite qu’En Fâcheuse Posture ait été abrité des intempéries. Mais une fois au sol, les voyageurs ne peuvent que constater que Halo Rutilant est le seul vaisseau présent sur place… Ce qui n’empêche pas Orwenn Julsonn de commencer à sortir de la soute leurs cantines avec le robot mécanicien de Quentin, un puissant 63MEK49 à propulsion antigrav.
Lerbert, très attentif aux sujets environnementaux, ne peut que constater que les installations laissent fortement à désirer sur ce plan : le sol des emplacements de stationnement n’est pas imperméable et il n’y a rien pour collecter les eaux pluviales ni les effluents de vaisseaux (et encore moins pour les séparer).
Un agent de l’ASP (Autorité Spatioportuaire, l’administration civile impériale chargée de gérer les spatioports), R. Melrose (selon la bande patronymique de son uniforme), s’est présenté au sas de Halo Rutilant pour régler les formalités d’arrivée avec la commandante Simanski. Il est accompagné de deux dockers qui proposent leurs services (payants) pour transporter le barda des voyageurs, mais ceux-ci déclinent l’offre.
Aucun des trois agents spatioportuaires n’a le moindre renseignement à fournir à propos d’En Fâcheuse Posture, mais une chose est certaine : il n’est pas sur le spatioport…
Vers l’ouverture du cercle de stationnement, le long d’une piste d’atterrissage d’environ 5 km de long (pour les appareils incapables de se poser ou de décoller à la verticale), se trouvent les quelques bâtiments du spatioport : capitainerie, « tour » de contrôle avec son mât de communications, entrepôts, petit bâtiment pour les voyageurs et poste de douane. À l’opposé se trouvent les cuves d’hydrogène. La ligne d’extraterritorialité, qui sépare le spatioport de la planète elle-même, est matérialisée par une clôture métallique corrodée haute d’environ trois mètres. Au-delà, la ville spatioportuaire, d’environ 600 habitants seulement, ressemble plus à un village qu’à une grande ville, mais c’est pourtant l’un des trois lieux les plus peuplés de la planète (avec la capitale Gravelle, d’une taille équivalente, et le site de recherches de SuSAG dans la chaîne des Totarin, qui emploie un millier de personnes).
Interrogés par Lonyi, les douaniers, après un instant de réflexion, se souviennent que l’équipage d’En Fâcheuse Posture est reparti à bord d’un autre vaisseau, un vaisseau commercial de classe M. À la capitainerie du spatioport, Melrose, l’adjoint du capitaine, met aimablement à sa disposition les registres d’arrivée et de départ des vaisseaux. Elle y apprend qu’En Fâcheuse Posture a relâché deux fois ici pendant l’année écoulée (1104) ; pour la dernière fois il y a trois ou quatre mois, pendant une durée de deux jours, avant de repartir pour une destination non précisée mais indiquée comme étant « dans le système », ayant été affrété par le directoire local de SuSAG (c’est-à-dire les autorités de Nakege).
La Darrienne passe un appel au centre administratif et directorial à Gravelle, pour tenter d’obtenir des renseignements sur la mission pour laquelle les autorités avaient affrété l’estafette. Son interlocuteur, a priori un employé subalterne, se renseigne auprès de plusieurs de ses collègues et finit par lui annoncer qu’il ne peut rien lui dire par téléphone, mais que si ses compagnons et elle se rendent à la capitale, toutes les explications désirées leur seront apportées. Laissant en consigne leurs cantines et le robot de Quentin, les voyageurs franchissent donc la douane et se rendent à la gare de la spatioville, pour y prendre le train vers Gravelle, dont les wagons peu remplis sont tirés par une locomotive à vapeur.
Après un voyage de deux heures pour franchir la cinquantaine de kilomètres qui sépare le spatioport de la capitale, et s’étant fait indiquer le centre administratif et directorial par le chef de gare de Gravelle, les voyageurs pénètrent dans le bâtiment, dont le comptoir d’accueil est désert. Avançant dans un couloir, ils sont repérés par un employé qui, après s’être enquis du but de leur visite, les installe dans un salon d’attente confortable où il leur sert du café, des gâteaux faits maison et de la bière locale, et leur demande de patienter. Quelques minutes plus tard, arrive un homme en costume qui se présente comme étant Christian Grundmann, le sous-directeur des affaires étrangères, des relations publiques et des ressources naturelles, et leur fait des excuses pour les avoir fait attendre. Il écoute leur récit, examine les documents que lui présente Damien, réfléchit un moment, puis leur explique la situation. Il se souvient très bien de l’équipage d’En Fâcheuse Posture, qu’il qualifie de « bande de fauteurs de trouble » (en précisant bien que c’est « pour rester poli »), et qu’ils se sont comportés de façon inqualifiable partout où ils sont allés sur Nakege. Il les avait recrutés pour réaliser un petit travail relativement simple, mais ils sont partis avec leur aéromobile sans avoir rempli leur part du contrat, ont embarqué à bord du premier vaisseau de passage, et personne ici n’a plus entendu parler d’eux.
Puisque les documents de Damien semblent être en règle et indiquent qu’il est désormais le légitime détenteur de l’estafette, Grundmann propose un marché aux voyageurs : il leur révélera l’endroit où se trouve En Fâcheuse Posture s’ils acceptent de faire le petit travail pour lequel il avait payé leurs prédécesseurs. Il s’agit d’utiliser l’équipement d’analyse planétologique du vaisseau pour réaliser une étude géologique détaillée d’une zone de la région habitée de la planète, zone dans laquelle se trouve un volcan que l’on croyait éteint mais qui a grondé une fois il y a un peu plus d’un an, l’évènement s’étant accompagné de faibles secousses sismiques. Il souhaite en particulier une cartographie détaillée de l’intérieur dudit volcan. Les finances de Nakege étant réduites, il ne peut leur proposer que 3.000 Cr pour cette tâche, qui ne devrait pas leur prendre bien longtemps. Les aventuriers acceptent, et le sous-directeur leur révèle qu’En Fâcheuse Posture est actuellement posé en plein dans le cratère du volcan en question, le Falakat.
Le Falakat se trouve à une centaine de kilomètres au sud de Gravelle, et à une vingtaine de kilomètres de la petite ville côtière de Tamurin, accessible par le train. Le sous-directeur Grundmann déclare que le directoire prendra en charge les frais de transport et de logement des voyageurs, et leur recommande un hôtel à Gravelle, car le train quotidien pour la spatioville part le matin, pour y acheminer les travailleurs habitant à la capitale. Les aventuriers sont confortablement logés, mais remarquent à leur départ le lendemain matin que le personnel de l’hôtel se précipite vers les chambres qu’ils ont occupées, manifestement pour s’assurer qu’ils ne se sont pas comportés comme leurs prédécesseurs de sinistre mémoire.
Le groupe décide de se séparer : tandis que Lonyi accompagne Quentin au spatioport pour y récupérer le matériel devant permettre les réparations de l’estafette, Damien et Lerbert prennent le train pour Tamurin, dont le maire, Musafer Purru, a été prévenu de leur arrivée par Grundmann et doit leur fournir l’assistance dont ils auront besoin.
De retour au spatioport, Quentin, qui préfère éviter de faire lui-même ses courses pour ne pas avoir à entrer en contact avec les commerçants, confie à Lonyi une liste de pièces dont il aura besoin pour fabriquer un double plateau de transport, sur lequel les cantines de matériel pourront être placées pour être transportées par le robot. Une fois le nécessaire acheté au magasin d’équipement pour vaisseaux spatiaux qui jouxte le spatioport, la Darrienne laisse son camarade faire son bricolage et va déambuler dans la ville spatioportuaire pour tenter d’en savoir plus sur le précédent équipage d’En Fâcheuse Posture, dont le comportement l’intrigue : elle craint qu’il ne soit dû à l’influence d’une substance (un gaz, peut-être) à laquelle ils auraient été exposés dans le cratère du Falakat. Mais il semble finalement qu’il se soit tout simplement agi d’une bande de bons gros connards.
Pendant ce temps, Damien et Lerbert arrivent à Tamurin, après environ quatre heures de tortillard à vapeur. Ils sont accueillis par le maire, qui leur propose d’aller manger avant d’entreprendre l’ascension du volcan. En discutant lors du repas, ils apprennent qu’un géologue de passage sur Nakege a fait un examen rapide du Falakat il y a quelques mois et a conclu qu’il n’y avait quasiment aucun risque d’éruption.
Un cultivateur, Eneri Salbagan, les emmène à bord de son tracteur à vapeur (un vrai tape cul). En lui faisant la conversation, Damien et Lerbert apprennent que, comme beaucoup d’autres autochtones, il a une sérieuse dent contre l’ancien équipage de l’estafette, qui lui a saccagé un champ de choux en le traversant, alors qu’il aurait été très simple de le contourner. Le tracteur ne peut aller au-delà de 500 m d’altitude, les flancs de la montagne devenant trop escarpés et trop accidentés. Les voyageurs disent à leur chauffeur que ce n’est pas la peine de les attendre : ils lui passeront un coup de fil s’ils ont besoin qu’il revienne les chercher ici.
Malgré la hauteur du volcan, l’ascension est relativement aisée. En bon médecin, Damien se méfie du mal des montagnes, mais la pression atmosphérique sur Nakege fait qu’il n’y a aucun risque à ces altitudes. Les pentes sont rocailleuses, avec pas mal d’éboulis, et quelques buissons et broussailles doivent être contournés, mais les deux hommes progressent d’un bon pas, et ne rencontrent pas de passage difficile avant environ 1.700 m d’altitude. Là, une grosse corniche les empêche de continuer leur marche vers le sommet. Plutôt que de chercher à la contourner, Lerbert décide d’en tenter l’escalade tout en mettant en place une corde, grâce à laquelle Damien, qui bien qu’il ait une certaine expérience du milieu montagneux, a jusqu’à présent toujours grimpé en aéromobile, pourra le suivre sans grosses difficultés, et sans risques de chute puisque le pilote, qui est pour sa part un alpiniste chevronné, dispose du matériel nécessaire (harnais de sécurité attaché à la corde par un mousqueton et jumars (poignées bloquantes qu’on accroche à la corde (et au harnais) et qui ne peuvent coulisser que dans un sens)) pour que son camarade puisse le rejoindre sans risque. Ils décident de laisser la corde pour que le reste de l’équipe puisse les rejoindre plus facilement.
Dans un buisson un peu plus haut, Damien découvre des ossements humains : ce sont les restes manifestement anciens de deux personnes, dont l’une avait les deux jambes fracturées. Les os ont été déplacés par des animaux, et l’équipement des deux malchanceux n’a guère résisté à de longues années d’exposition aux rigueurs de l’environnement. En fouinant dans les broussailles, Damien met la main sur un vieil ordinateur personnel, cassé et dont la batterie est déchargée. Lerbert se souvient que quand il était enfant, son grand-père en avait un d’un modèle proche.
Le jour commence à décliner alors que les deux grimpeurs sont encore à quelques centaines de mètres du sommet, et ils décident de bivouaquer sur place plutôt que de prendre le risque de continuer avec un éclairage insuffisant. Ils préviennent Salbagan qu’ils ne redescendront pas ce soir. La nuit est paisible, de même que pour Lonyi et Quentin qui sont revenus à Gravelle avec tout le matériel, et prennent le lendemain matin le train pour Tamurin.
Au prix d’un nouveau passage délicat qui nécessite la mise en place d’une corde par Lerbert, la première équipe arrive à environ 2.900 m d’altitude, au point le plus bas du cratère. Ce dernier, large d’environ deux kilomètres, a 200 m plus bas en son centre un lac de 500 m de diamètre avec au milieu une île sur laquelle les grimpeurs peuvent voir la silhouette caractéristique d’un Sulieman.
Damien marque l’endroit par lequel ils ont accédé au cratère, pour permettre à la deuxième équipe de suivre le même chemin, puis les deux hommes descendent les flancs escarpés vers l’intérieur et traversent les broussailles clairsemées qui les séparent du lac.
Méfiant, Damien commence par tremper dans le lac une branche arrachée à un buisson, puis sort son analyseur pour s’assurer qu’il s’agit bien d’eau (chargée en soufre et en minéraux) à une température normale et non d’un liquide délétère. Une fois ces vérifications faites, Lerbert attend que la chaleur du jour réchauffe un peu le lac, puis il se met à l’eau (encore froide) après s’être presque entièrement déshabillé et fait sans se presser la traversée jusqu’à l’île.
Le Sulieman, qui porte une tourelle pourvue d’un laser minier, est bien En Fâcheuse Posture, si l’on se fie au nom peint sur sa coque couverte d’éraflures, de bosses et de traces de brûlure. Tout autour de lui dans les broussailles sont éparpillés déchets, pièces détachées et objets divers, certains cassés, d’autres en bon état. Lerbert, qui est pieds nus, s’en approche prudemment. L’appareil est fermé, mais au moyen des nouveaux codes d’accès qui avaient été fournis à Damien, il parvient à déverrouiller l’écoutille ventrale. Il doit cependant l’ouvrir manuellement, car il n’y a plus d’électricité à bord (à part pour les éclairages de secours, qui sont néanmoins très faibles).
À l’intérieur, le vaisseau, où règnent de nauséabonds relents de chaussette moisie, est un terrible foutoir. Tout est en désordre, à l’image de l’extérieur, avec des objets éparpillés partout. Pour couronner le tout, pratiquement tous les panneaux d’accès sont ouverts, les revêtements, déjà bien abîmés, ont été arrachés un peu partout, et des grappes de fils pendent des parois.
Après avoir constaté que l’armurerie, vide, était probablement la pièce la plus propre à bord, et avoir eu des sueurs froides en constatant que des charges explosives (sans doute celles fournies à l’ancien équipage par le sous-directeur Grundmann et destinées à l’étude sismique du volcan) étaient jetées en vrac parmi le bazar de la soute (il s’occupe immédiatement de les entreposer soigneusement dans l’armurerie, en prenant les précautions d’usage que son expérience militaire lui a permis d’apprendre), Lerbert décide de ne pas explorer entièrement le vaisseau. Après avoir cherché infructueusement des vêtements propres pour pouvoir s’habiller un peu, il récupère pour ne plus marcher pieds nus une paire de claquettes qu’il va laver au lac, puis remonte à bord et se ferme dans le poste de pilotage en attendant les autres.
Damien, qui a préféré ne pas laisser leurs affaires sans surveillance, décide d’attendre pour traverser l’arrivée de la deuxième équipe et du robot. En fouinant autour du lac, il découvre l’existence de plusieurs tunnels de lave, dont les plus grands permettraient largement le passage d’un homme, mais il préfère éviter de s’y aventurer.
Quentin et Lornyi finissent par arriver à Tamurin. Comme leurs compagnons les ont tenus informés par communicateurs de leur progression et de leurs découvertes, la Darrienne demande au maire de la petite ville si deux personnes n’auraient pas disparu sur la montagne il y a quelques dizaines d’années. Après réflexion, Purru se souvient d’avoir autrefois entendu feu son père parler de deux alpinistes venus d’outre-planète il y a une cinquantaine d’années, partis à la conquête du Falakat et que personne n’a jamais revus ensuite. C’est probablement leurs restes qui ont été découverts hier.
Les retardataires étant tous les deux bons grimpeurs, et pouvant en outre profiter des deux cordes posées la veille par Lerbert, ils rejoignent Damien en fin d’après-midi, puis se font porter par le robot de Quentin pour traverser le lac. Le mécanicien traverse le premier, puis renvoie sa machine chercher Lonyi et Damien. Pendant que Lerbert l’aide à rapprocher les cantines de l’estafette, celui-ci entend du bruit dans les broussailles et y voit bouger une grosse masse indistincte dont la couleur brun fauve se confond assez bien avec celle de l’environnement. Le pilote tire un coup de pistolet en l’air qui fait fuir la mystérieuse créature, qui est peut-être l’animal qui a dévoré les rations empaquetées dont des débris d’emballage se trouvent parmi les multiples objets éparpillés alentour…
Enfin réunis, les quatre compagnons dégagent une place à bord pour y abriter leurs cantines et font le tour complet du vaisseau (où tout est dans le même état lamentable et dont l’aéromobile est bien entendu absente), puis font de la place dans les cabines pour pouvoir y dormir. Lerbert a trouvé dans la cambuse quelques conserves non périmées, qui seront la base du dîner.
Lonyi parvient à accéder aux enregistrements de bord. Ils sont très laconiques, mais indiquent que le précédent équipage détenait En Fâcheuse Posture depuis début 1099, que le vaisseau circulait principalement dans le Saillant de Joyau et ses environs immédiats, et confirment qu’il est bien venu deux fois sur Nakege en 1104, la seconde en provenance de Lysen (Marches Directes / Joyau 1307). La maintenance annuelle a été réalisée correctement selon ces enregistrements, mais Quentin remarque que bon nombre de pièces importantes ne sont pas les pièces de qualité fournies et installées par le SIEI, mais des pièces bon marché ou récupérées dans des casses : les voyageurs comprennent que leurs prédécesseurs ont arnaqué le Service (sans doute en soudoyant au passage les mécaniciens chargés de la maintenance du vaisseau) en faisant installer des pièces bon marché et en revendant un bon prix les pièces neuves de qualité qui étaient destinées à leur appareil… et qui ne leur avaient rien coûté.
Les instruments planétologiques semblent être encore intacts et fonctionnels, contrairement à la plupart des choses à bord. Il devrait donc être possible de réaliser l’étude demandée par le sous-directeur Grundmann.
Quentin, qui a évalué l’étendue des travaux à réaliser sur le vaisseau, veut s’atteler immédiatement aux réparations. Ses camarades ont toutes les peines du monde à le convaincre d’aller dormir pour se reposer de la fatigue de son ascension tout en laissant son robot travailler seul à remettre en service le réacteur du vaisseau.
Le lendemain, le robot mécanicien ayant bien travaillé pendant leur sommeil, les voyageurs se réveillent à bord d’un vaisseau disposant à nouveau d’électricité. Tandis que Lonyi met comme d’habitude du temps avant d’être pleinement opérationnelle, Quentin, assisté de son robot, se met enfin au travail sur l’électronique de l’appareil en commençant par le rétablissement des systèmes vitaux. Damien et Lerbert, qui ne pensent pouvoir lui être d’aucune utilité, sortent pour trier le dépotoir à l’extérieur. Ils mettent de côté ce qui peut encore être utilisable, et entassent le reste sur les plateaux qui ont servi au robot pour porter les cantines de matériel. Lorsque Lonyi est enfin d’attaque, elle se charge de réinstaller l’ensemble du système informatique du bord.
Damien trouve parmi les objets jetés tout autour du vaisseau les filtres du système de recyclage de l’air conditionné, et une gamelle en métal sur laquelle ont été gravées les lettres BAXA. Lerbert et lui pensent qu’il pourrait s’agir de l’animal mis en fuite la veille par le pilote. Après y avoir versé le contenu d’une boîte de corned-beef trouvée à bord, Damien la pose au sol, s’en éloigne un peu et appelle « Baxa ! ». Un animal efflanqué ressemblant à un grand chien et doté d’une imposante dentition finit par sortir des broussailles et s’approcher avec méfiance, puis se jette sur la gamelle en grondant et en engloutit avidement le contenu. Une recherche informatique dans ses bases de données permet au scientifique de découvrir qu’il s’agit d’un spécimen très maigre de loup de Tensher, un mammaloïde omnivore à tendance carnivore, nommé en l’honneur du zoologiste Tensher qui le découvrit. Cet animal, qui pèse une cinquantaine de kg à l’âge adulte, n’est pas originaire des Marches Directes, mais il arrive qu’il soit domestiqué et employé comme animal de compagnie ou de garde. Une fois la bête rassasiée, Damien parvient assez facilement à l’amadouer. Entreprenant de la brosser, il découvre qu’elle porte un collier avec une médaille à son nom.
Après avoir remis en service les systèmes vitaux et l’électronique des machines, Quentin explique à Lonyi, qui a terminé la réinstallation et la mise à jour de l’ordinateur de bord, comment remplacer les circuits électroniques dans l’ensemble du vaisseau. La tâche est fastidieuse mais pas compliquée : il suffit de tester un par un chaque élément électronique, qui porte un numéro spécifique, avec la centrale de diagnostic informatique, et de remplacer ceux qui sont défectueux par leurs équivalents numérotés de même, pris parmi les pièces de rechange apportées de Joyau. La numérotation suit une logique simple et indique l’emplacement de la pièce à bord. Lonyi se remet au travail. Lerbert et Damien (qui a installé Baxa dans la soute, sur une vieille couverture en piteux état qui lui servait visiblement de couche) achèvent le rangement et le ménage à bord. Les déchets ramassés (y compris à l’extérieur) sont rassemblés dans la soute de l’aéromobile. En soirée, Quentin et son robot rétablissent enfin l’avionique et les contrôles du poste de pilotage. En Fâcheuse Posture devrait désormais être en état de faire un vol d’essai, mais les voyageurs préfèrent procéder en plein jour et attendre le lendemain.
Les premiers essais en vol s’accompagnent d’abord d’une impressionnante gerbe d’étincelles sortant d’un des panneaux du tableau de bord, et mettent en évidence de nombreux problèmes restant à régler : Lerbert repose donc l’estafette sur l’île et Quentin et son robot se mettent immédiatement au travail, car il y en a pour quelques heures. Damien en profite pour placer dans le cratère et sur les flancs du Falakat capteurs et charges explosives. L’idéal aurait été d’en installer aussi à l’intérieur des tunnels de lave, mais il se refuse toujours à y pénétrer. Il préfère aussi attendre que le vaisseau soit en l’air (avec tout le monde à bord) pour faire sauter les charges.
Quentin et son robot ayant terminé leurs réglages, Lerbert décolle à nouveau. Cette fois-ci, l’appareil s’avère beaucoup plus stable, même si (entre autres problèmes) les commandes sont un peu dures, les délais de réaction un peu lents, et s’il a encore tendance à tirer un peu sur bâbord (un défaut que, malgré tous ses efforts et à son grand regret, le mécanicien ne parvient pas à corriger).
Damien fait sauter les charges placées sur le volcan et commence à collecter des données avec les instruments planétologiques du bord. Il faut plusieurs heures à l’ordinateur pour sortir une modélisation 3D de l’intérieur de la montagne et analyser les données pour en tirer des prévisions. Mais une légère secousse ébranle le Falakat pendant la collecte des données, suite à quoi un léger panache de fumée s’échappe de son flanc sud-ouest tandis que de grosses bulles viennent éclater en surface du lac de cratère.
Les données indiquent que le bouchon de lave solidifiée qui obture la cheminée du volcan s’est fissuré, et l’ordinateur prévoit une probabilité d’éruption de 95 % dans les huit mois à venir. Cette éruption devrait être d’une ampleur limitée, peu de lave sortant du cratère et les coulées se figeant bien avant d’atteindre la base du Falakat. Le panache de gaz et de cendres devrait être poussé vers l’ouest (donc vers l’océan) par les vents dominants, sans menacer Tamurin. La modélisation informatique indique avec une quasi-certitude qu’il n’y a pas de risque significatif pour les implantations humaines autour du volcan, même pas pour les quelques fermes établies sur les terres fertiles à son pied. Toutefois, une surveillance est recommandée, car ces prévisions sont basées sur une cartographie incomplète de la structure interne de la montagne.
Lonyi transmet ces premières conclusions au maire de Tamurin et Lerbert se prépare à mettre le cap sur le spatioport, quand Damien remarque un voyant clignotant sur l’écran de la console scientifique : l’ordinateur a revu ses prévisions sur la base de nouvelles données, et la modélisation 3D du volcan montre désormais une énorme colonne de lave forçant le bouchon et remplissant les tunnels de lave, avec une éruption prévue dans environ six minutes. Lonyi a à peine le temps d’en informer Purru que la machine actualise à nouveau ses prévisions : la modélisation montre désormais une colonne de lave bien plus réduite, qui se contentera de s’écouler hors du cratère et sur les flancs du volcan, accompagnée d’un nuage de gaz brûlants et de cendres. Les premières fumerolles sont déjà visibles aux orifices des tunnels de lave et au-dessus du lac, qui est en train de se vider et commence à bouillir. Le sol tremble à nouveau.
Tout à coup, l’alarme anti-collision se met à hurler « Missile ! Missile ! » tandis que le radar montre de multiples projectiles sillonnant l’air. Une éruption a commencé, non pas dans le cratère mais bien plus bas sur le flanc sud-ouest du Falakat, et des bombes volcaniques ont été projetées dans les airs. Lerbert fonce vers l’ouest et le vaisseau ne reçoit qu’une pluie de petites pierres, qui vient ajouter aux multiples bosses que porte déjà sa coque meurtrie.
Les voyageurs reçoivent un appel du sous-directeur Grundmann, qui a reçu des rapports confus parlant de fumée sortant de la montagne et d’une secousse. Il souhaiterait savoir quelle est la gravité de la situation et quelles seront les conséquences à plus long terme. Lonyi lui expose aussi clairement que possible la situation, tandis qu’elle reçoit un appel de Purru qui souhaite savoir s’il doit donner l’ordre d’évacuer sa ville. Damien lui assure que la simulation montre que Tamurin n’est pas menacée pour l’instant. Pour permettre aux autorités d’organiser au mieux les secours, Lerbert ramène En Fâcheuse Posture vers le volcan et Lonyi leur transmet en direct les vidéos des caméras du bord. Elle entend Grundmann s’entretenir avec plusieurs autres interlocuteurs. Les trois seules aéromobiles de la capitale, ainsi qu’un train chargé de sauveteurs et de matériel de secours, sont partis de Gravelle, et les habitants de la région du Falakat sont fortement incités à se réfugier à Tamurin, ou au petit village côtier de Courbinn situé une vingtaine de kilomètres plus au sud.
Tandis que le radar anti-collision du vaisseau continue à hurler « Missile ! » à chaque caillou volant qui passe à proximité, Lerbert survole l’éruption dans un air de plus en plus chargé de cendres et de fumées, pour permettre aux instruments topographiques du bord de réaliser une cartographie précise de la zone. Un véritable fleuve de lave jaillit d’un orifice situé à environ 2300 m d’altitude sur le flanc sud-ouest du volcan, mais le relief de la région devrait l’amener à s’écouler jusqu’à l’océan. Seules quelques fermes et deux hameaux sont sur le trajet prévisible de la coulée. Courbinn ne sera peut-être pas touché, mais il semble toutefois préférable de le faire évacuer. Tamurin, située 20 km plus au nord, n’est pas menacée. Un sous-marin de pêche annonce qu’il se déroute vers le village pour embarquer autant d’habitants qu’il le pourra.
Lonyi, toujours en communication avec Grundmann et Purru, reçoit un nouvel appel : cette fois-ci, il s’agit carrément du directeur planétaire lui-même, Lucas Masterton, qui se trouve à bord d’une des aéromobiles fonçant vers Tamurin. Il annonce qu’il va installer dans cette dernière ville le poste de coordination des secours, et souhaite savoir si la coulée menace la piste et la voie ferrée qui longent la côte plus au sud, puisqu’il s’agit des axes que vont emprunter les réfugiés évacuant la zone et les secours venus pour les aider. Grâce aux instruments topographiques, Damien prévoit que la piste sera assez vite coupée mais que la voie ferrée devrait rester utilisable presque jusqu’à la fin. Par contre, Courbinn devrait être englouti par la lave… Il faut évacuer ses habitants.
L’ordinateur revoit une nouvelle fois ses prévisions sur l’éruption, indiquant que l’écoulement de lave se ralentit. Ces revirements incessant conduisent Damien à soupçonner un problème informatique. Il demande à Quentin d’examiner l’appareil, ce qui contraint ce dernier à interrompre la tâche d’analyse en cours. Mais il ne trouve rien d’anormal sur la machine. Lorsqu’il relance l’analyse géologique, la modélisation 3D indique désormais qu’un bouchon s’est formé dans la cheminée du volcan, mais qu’il devrait céder d’ici quelques minutes, ce qui se traduira par une éruption massive accompagnée d’une nuée ardente de cendres et de gaz brûlants. Courbinn sera détruit et toute personne se trouvant sur le trajet de la nuée mourra. Tamurin ne devrait pas être touchée, à part par quelques retombées de cendres. Les autorités ordonnent immédiatement l’évacuation de la zone. Le sous-marin de pêche fait toujours route vers Courbinn, mais il n’est pas certain qu’il y parvienne à temps, ni qu’il puisse embarquer tous les habitants à son bord, et encore moins qu’il réussisse à fuir ensuite. Lerbert, qui fonce déjà vers le village, demande à ce qu’on fasse repartir le submersible pour qu’il aille se mettre hors de danger : l’estafette est en mesure d’évacuer la soixantaine d’habitants bien plus rapidement.
Un Sulieman possède plusieurs accès, mais celui qui permettra de faire embarquer le plus rapidement un grand nombre de personnes est la porte de la soute (En Fâcheuse Posture étant un modèle où elle se trouve à la poupe). Mais c’est là que se trouve actuellement Baxa. Damien va chercher le loup de Tensher pour l’enfermer dans la petite cambuse (un local que l’animal semble déjà bien connaître et où il ne se fait pas prier pour entrer).
Un survol de Courbinn permet à Lerbert de repérer l’endroit idéal pour se poser : une aire bétonnée entre le quai du port et un entrepôt. Malheureusement, les habitants en occupent une partie et ne comprennent pas qu’ils vont gêner l’atterrissage. Lonyi demande aux autorités de les contacter pour leur demander de dégager la zone, ce qui est fait. Après avoir soigneusement calculé sa trajectoire, le pilote réussit à se poser sans écraser personne, et Lonyi est suffisamment autoritaire et persuasive pour faire embarquer tout le monde en bon ordre : d’abord un premier groupe comprenant les enfants, qui est déposé d’un coup d’aile à Tamurin (où un champ a été dégagé pour permettre au vaisseau de se poser) ; puis un second, et enfin un troisième et dernier.
Lerbert se propose ensuite de tenter de forer une tranchée avec le laser minier pour tenter de détourner la lave. Pour être efficace, la tranchée devrait être énorme, ce qui représenterait un travail titanesque. Mais il n’a pas le temps de commencer à mettre son plan en application, car l »éruption massive tant redoutée finit par se produire. Le sommet du Falakat est pulvérisé et retombe en pluie de rochers, tandis qu’une monstrueuse montagne de cendres et de fumée s’élève du volcan et commence à en descendre le flanc en direction de la mer. Le directeur Masterton indique à Lonyi qu’il reste encore dans la zone deux groupes, un de onze personnes en route pour Courbinn à bord de deux tracteurs à vapeur, et un couple de fortes têtes qui avait refusé de quitter sa ferme et dont il regrette qu’il soit trop tard pour les sauver.
Lerbert repère les deux tracteurs qui avancent poussivement sur la piste menant à Courbinn et se pose devant eux. Il y a là six adultes et cinq enfants, que Lonyi fait embarquer en vitesse dans la soute, malgré les récriminations initiales de certains qui auraient voulu emporter des objets plus ou moins encombrants entassés dans les remorques de leurs deux tracteurs à vapeur.
Lonyi ferme les portes de la soute et annonce aux autorités que l’opération est un succès, tandis que Lerbert décolle sans tarder en direction de l’ouest, la nuée ardente s’approchant à grande vitesse et n’étant plus qu’à quelques minutes. C’est alors que ses instruments lui indiquent, dans la zone que la nuée va engloutir, le signal du transpondeur d’une aéromobile. À sa grande surprise, il s’agit de Nakege Un, l’aérolimousine du directeur planétaire !
Le bon sens lui aurait commandé de fuir les lieux au plus vite, mais il décide d’aller tenter de secourir les occupants du véhicule. Ceux-ci sont déjà dans une situation désespérée, car les voyageurs captent leur appel de détresse pathétique, avec en bruits de fond un souffle qui donne l’impression que le pare-brise et/ou une autre vitre a éclaté et un horrible couinement qui ressemble au bruit que feraient des générateurs gravitiques mis à l’effort et sur le point de lâcher : « SOS… SOS… Ici Nakege Un. L’aéro est endommagée, les moteurs vont lâcher… Les vitres sont cassées, j’y vois plus rien… Je pense que je vais vers la mer mais je perds de la vitesse et de l’altitude. Je crois pas qu’on va s’en sortir. Y a quelqu’un ? S’il vous plait ? » la voix implorante devient de plus en plus faible puis la communication est coupée.
L’aérolimousine va s’écraser d’un instant à l’autre, et la nuée ardente l’engloutira presque aussitôt. La tentative de sauvetage sera extrêmement risquée et devra être très rapide. Lonyi demande à Damien de faire monter dans le carré de l’équipage les onze personnes qui viennent d’être récupérées, pour qu’elles ne risquent pas d’être brûlées lors de l’ouverture de la soute, et à Quentin de descendre la rejoindre avec une corde et son robot. Après s’être emmitouflée dans des vêtements mouillés (prenant bien soin de couvrir ses cheveux longs), pour tenter de se protéger des brûlures causées par l’air surchauffé, elle s’encorde et lui demande de se tenir prêt à la tirer à bord. Lerbert se pose juste à côté du signal du transpondeur, désormais immobile. Lonyi entrouvre la porte de la soute. Le grondement du volcan est assourdissant, l’air, insupportablement brûlant, est complètement obscurci par les cendres et la fumée, et il lui faut quelques instants d’adaptation pour deviner plus qu’elle ne les voit trois personnes se tenant à côté de l’aéromobile accidentée, dont l’une tire à l’aveuglette des fusées de détresse avec lesquelles elle risque surtout de la blesser accidentellement. Elle les empoigne et les pousse à l’intérieur, s’y jetant à leur suite. Quentin actionne la fermeture de la porte et Lerbert décolle aussitôt et fonce vers l’océan, tandis que Damien, qui est redescendu dans la soute pour leur dispenser ses soins, crépit du contenu d’un extincteur les rescapés et Lonyi. Cette dernière, noire de suie, souffre de brûlures cutanées, et les trois personnes qu’elle vient de sauver, une femme d’une trentaine d’années dont le visage est en sang et un couple de personnes âgées, sont dans un état encore pire.
C’est alors qu’En Fâcheuse Posture est rattrapé et englouti par la nuée ardente. L’impact frappe violemment le vaisseau. Lerbert, bien sanglé dans son fauteuil de pilotage, est simplement secoué, mais tous ses passagers sont violemment projetés contre les parois et agités en tous sens. Dans la soute, les trois rescapés du crash de l’aérolimousine perdent connaissance, et si les voyageurs restent conscients, ils n’en sont pas moins très fortement choqués.
Le vaisseau est dévié vers le haut et l’océan. Le réacteur et les moteurs, surchargés, s’arrêtent brutalement. La gravité intérieure se coupe, l’intérieur du vaisseau est soumis à la gravité planétaire. Toutes les lumières intérieures s’éteignent, puis se rallument plus faiblement quand les batteries de secours prennent le relais. Malheureusement, elles ne sont pas suffisamment puissantes pour alimenter les moteurs directionnels, et d’un instant à l’autre, En Fâcheuse Posture, qui roule et tangue en tous sens et serait de toutes façons incapable de planer, va atteindre la flèche de sa trajectoire et retomber vers l’océan.
Bien que salement meurtri par le choc, Quentin se précipite vers la salle des machines, son robot sur les talons. Tandis que Lerbert essaie en vain de redémarrer les contrôles directionnels, il se rue sur le réacteur pour en court-circuiter les circuits de sécurité et rétablit ainsi l’alimentation des moteurs.
L’estafette amorce le début de sa retombée lorsque le mécanicien réussit aussi à redémarrer les contrôles depuis la console de secours de la salle des machines. Les commandes répondant enfin à ses actions, Lerbert parvient à stabiliser la trajectoire du vaisseau et commence à en reprendre le contrôle. Mais il ne parvient pas à redresser suffisamment vite, et En Fâcheuse Posture heurte à grande vitesse la surface de l’océan selon une trajectoire proche de la tangente, glissant sur l’eau que la chaleur intense de sa coque transforme immédiatement en vapeur, avant de reprendre de l’altitude et de s’élever dans une grande gerbe de vapeur et de débris. Enfin maître de l’appareil, Lerbert met le cap sur Tamurin et son centre de secours, tandis que Damien peut enfin prodiguer des soins aux occupants de la soute et que Lonyi et Quentin prennent le temps de se faire à eux-mêmes les premiers soins.
Lerbert prévient les secours de Tamurin de son arrivée et annonce le nombre de ses passagers, qu’il prétend tous blessés (ce qui s’avère être la vérité). Dès qu’il s’est posé, il déclenche l’ouverture des issues de l’appareil et se rend dans le carré pour voir dans quel état sont les onze premiers rescapés. Ignorant les appels plaintifs de Baxa toujours fermé dans la cambuse, il commence à prodiguer un massage cardio-respiratoire à l’un des enfants qui est en arrêt cardiaque. Les secours arrivent et prennent le relais.
Une fois tous les Humains pris en charge, Damien se met à la recherche d’un vétérinaire pour Baxa. Par chance, l’un des secouristes de Tamurin est véto et, avec l’aide de l’ancien éclaireur pour la contention, il procède à l’examen et aux soins de l’animal, qui s’avère avoir une fracture à l’antérieur droit.
Les dégâts matériels causés par l’éruption sont importants, mais grâce à l’intervention courageuse des voyageurs, aucune victime humaine n’est à déplorer. Les quatre compagnons sont traités comme des héros par les autorités et la population reconnaissantes. Ils reçoivent un bonus de 1000 Cr en plus des 3000 promis pour l’analyse géologique (ce qui représente une somme substantielle dans le budget de Nakege, planète pauvre et qui va devoir en plus gérer maintenant l’après-catastrophe), les moyens du spatioport sont mis gracieusement à leur disposition pour réparer les dégâts subis à cause de l’éruption, et les habitants leur remettent produits alimentaires et boissons locaux, et pulls et bonnets tricotés en fibres de chou laineux. Ils n’ont plus qu’à ramener En Fâcheuse Posture à la base de Joyau…
eh bravo! J’ai lu ce compte-rendu avec plaisir, et aussi le précédent. J’ai vu les modifications, les détails supplémentaires :
– p.ex. les détails sur l’équipement d’alpinisme. Je ne savais pas que tu faisais de l’escalade! :)
– les cadavres des alpinistes il y a 10 ans. Cela ne sert pas l’intrigue, mais cela met de l’ambiance!
– le fait que dans le scénar précédent on annonce aux PJ que l’équipage précédent faisait du trafic de pièces détachées, alors que ici les PJ le découvrent eux-mêmes : cela permet aux PJ d’être plus « acteurs » que « spectateurs », et ça change pas mal de choses :)
Un élément important à considérer est que le CR précédent était volontairement plus résumé (celui-ci, j’avais plus de temps à lui consacrer). Donc un certain nombre de détails en avaient été omis (les squelettes, en particulier).
Je ne crois pas avoir changé grand-chose entre les deux parties, au-delà des aménagements imposés par le déplacement du cadre de l’histoire de Flammarion / Walston vers Joyau / Nakege.
Il n’arrive qu’assez rarement que le compte-rendu d’une partie parvienne à me passionner… mais celui-ci y est arrivé!
Le mérite en revient aussi aux joueurs ! :-)
C’est étrange. On m’a conseillé plusieurs fois « Type S » pour maîtriser une partie de Traveller à des joueurs ne connaissant pas le jeu. A la lecture, il y a au moins deux ou trois ans, j’avais trouvé le scénario assez moyen. Mais en lisant tes CR, cela me donne envie de relire l’aventure. Merci à toi !
Oui, le scénario est assez simple en apparence.
Mais je trouve qu’il marche bien, avec une montée en puissance qui s’accélère sur la fin et qui le rend vraiment haletant (la première fois que je l’ai fait jouer, même moi en tant que MJ je me suis pris une baffe).
Pour une initiation de néophytes ès-Traveller, c’est un scénario qui fonctionne bien ; avec One Crowded Hour, du même éditeur, dans lequel les PJ n’ont pas de vaisseau et voyagent à bord d’un transport de passagers. D’ailleurs, j’avais envisagé de faire jouer One Crowded Hour avant celui-là, mais ça aurait fait deux scénars de suite sans vaisseau, je craignais que ça ne colle pas aux aspirations des joueurs.
Si jamais tu as l’occasion de faire jouer Type S, il faut savoir que la gestion du scénar devient merdique à partir du moment où les PJ commencent les réparations : en effet, le scénar part du principe qu’ils vont mener en parallèle les réparations et l’étude géologique, et donc qu’ils seront encore posés dans le cratère lorsque le volcan va commencer à « s’agiter ». Or, et ça s’est encore vérifié cette fois-là, tout groupe de PJ sensé dont le vaisseau est en panne dans le cratère d’un volcan, même éteint et fut-ce au cœur de la chaîne des Puys, va en priorité réparer son appareil pour qu’il soit en état de foutre le camp rapidement. L’étude géologique est très secondaire pour eux.
Éventuellement, si tu as un groupe TRÈS nombreux (plus de 6 persos), il est possible qu’ils mènent les deux de front pour gagner du temps, mais en dessous, tous les bras disponibles seront mobilisés pour les réparations, le ménage, et le tri du bazar autour du vaisseau. Et le problème est qu’une fois le vaisseau en l’air, le stress n’est plus du tout le même, ni l’incitation à mener l’étude de façon approfondie puisque le volcan se réveille de toutes façons.
Mais si jamais tu le fais jouer, je suis preneur de ton compte-rendu ! :-)
(et l’avantage, c’est qu’on peut assez aisément en situer l’action ailleurs que sur Walston, comme je l’ai fait cette fois-ci puisque je voulais implanter ma campagne en bordure centripète des Marches Directes : il suffit d’une planète peu peuplée, arriérée technologiquement, pauvre, avec des volcans et un peu d’océan…)
Merci pour tes conseils. Je vais également lire One Crowded Hour !
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