L’expression « contrat social », à la mode depuis quelques temps dans certains cercles rôludiques en ligne (que je ne fréquente pas vraiment), ne me plaît pas car elle n’est guère explicite et n’a pas de définition sans ambiguïté dans le cadre qui nous intéresse ici. Je vais donc employer à la place pour parler du sujet (là encore dans le but de reprendre un jour mes élucubrations pour les publier sur mon site) un terme de mon cru, auquel on ne pourra pas m’opposer une définition qui ne serait pas la mienne (puisque j’en serai l’inventeur) : le sous-entendu préludique.
Le sous-entendu préludique est un ensemble d’éléments généralement sous-entendus (d’où son nom) au sein d’une tablée (groupe de participants) de JdR, qui concernent l’organisation des parties, la façon de jouer, et les attentes des participants. Il peut être intéressant de formaliser ces éléments lorsque l’on constitue une nouvelle tablée, ou lorsqu’une tablée pré-existante incorpore de nouveaux membres (ceci, afin que chacun soit à peu près sur la même longueur d’ondes ; les façons de pratiquer le JdR étant multiples et de plus en plus variées, le simple fait de dire « on va jouer au JdR » ne suffit plus à fédérer les attentes des uns et des autres et à garantir que tout le monde trouve son bonheur à la même table).
Le sous-entendu préludique se compose de quatre parties, qui correspondent à quatre aspects majeurs de la pratique du JdR. Pour une même tablée, il peut y avoir différents sous-entendus préludiques, selon les campagnes jouées, les jeux pratiqués et les MJ officiant, en particulier ; mais il y a en général des éléments récurrents, notamment la première partie.
– Autour du jeu :
Cette partie aborde les questions d’intendance et de logistique. Elle est généralement récurrente.
Où on joue ? Quand ? Quels horaires ?
Quelles parties de l’appartement / la maison / la propriété sont accessibles et quelles parties sont hors-limite ?
Qui décide qui vient jouer ? Comment les nouveaux venus sont ils cooptés ? Ont ils une période probatoire ? Qui décide d’exclure un joueur ?
Qui apporte la nourriture ? la boisson ? Qui paie ? Organisation des repas ?
– Règles du jeu :
Cette partie s’intéresse au système de jeu utilisé. Elle va donc fort logiquement varier selon les campagnes et scénarios joués, et les jeux pratiqués.
Quel système de jeu ? Quelle édition ? Quelle progression dans l’intégration du système (apprentissage progressif, utilisation immédiate de tout le système, etc…) ? Quelles règles maison ? Quelles modifications de règles ? Quelles règles ne sont pas utilisées ? Quelles règles optionnelles sont appliquées ? Quels suppléments de règles sont utilisés ?
– Façon de jouer :
Cette partie concerne le côté ludique lui-même. C’est souvent celle qui pose le plus de problèmes de compatibilité entre joueurs d’horizons différents.
Style de jeu (aventure, intrigues, etc…) (éventuellement faire référence à la théorie GNS / LNS) ?
Degré de théâtralisation des rôles ?
Degré de sérieux (ou de loufoquerie) des parties ?
Qu’est ce qu’on peut faire / décrire, qu’est ce qui est hors limite ? (sexe, torture, atteintes irréversibles à l’intégrité physique des persos, etc…)
Moralité des persos ?
Degré de cohésion du groupe (les coups dans le dos sont ils permis ?) ?
Les digressions en cours de partie sont elles autorisées ? Les PJ prononcent ils tout ce que disent les joueurs autour de la table ?
Attentes des joueurs pour leurs persos (puissance politique, montée en niveaux,fortune, etc…) ?
Ambiance des parties ? Utilisation de musique, d’éclairages, etc… ?
– Campagne et contexte :
Cette partie traite du contenu concret des parties. Elle aussi variera inévitablement selon les campagnes.
Contexte ?
Modifications apportées au contexte, dans le cas d’un contexte publié ?
Thème de la campagne (= ce que les joueurs acceptent avant le début de faire respecter à leurs persos : si c’est un jeu à missions par exemple, pas question qu’un PJ décide de chercher à se reconvertir dans une toute autre activité (MEGA voulant passer des concours pour rentrer dans la police de Vamosalaplaya, par exemple (vécu)) ; s’il s’agit d’une quête, pas question qu’un joueur déclare « mon perso n’est pas intéressé par cette quête » et emmerde tout le monde ensuite : soit il crée un personnage qui s’impliquera dans la campagne, soit il ne vient pas la jouer (ce qui m’est arrivé une fois)) ?
Quels seront les scénarios utilisés (dans le cas de scénarios publiés, afin d’éviter que les joueurs ne les aient lus ou ne les lisent par inadvertance) ?
(ce ne sont que des pistes de réflexion ; il y a sans doute de multiples autres points qui pourraient (voire devraient) être abordés et définis dans le sous-entendu préludique)
Comment élaborer le sous-entendu préludique ?
Dans le cas d’un groupe qui se connaît et joue ensemble depuis un certain temps, une bonne partie du contenu existe déjà de façon informelle. S’il reste des points à préciser, il faut en discuter collectivement.
Une méthode plus lourde serait que chacun élabore sa propre ébauche, correspondant à ses propres attentes, et que l’accord final soit décidé à partir de ces ébauches (et des concessions que chacun acceptera de faire).
Reste le problème majeur de ce genre de « contrats » formels : en théorie ceci est bien beau, mais en pratique, comment en faire prendre connaissance à l’ensemble de la tablée, comment le faire accepter, et comment le faire respecter ?
Mettre tout ça par écrit fait « lourd », le faire signer par chacun des joueurs est encore pire. La solution la plus simple est donc sans doute une discussion informelle (n’abordant pas forcément tous les points en même temps) aboutissant à un accord tacite ; avec tous les problèmes que cela peut poser lors de l’incorporation d’un nouveau joueur dont les attentes, les habitudes, ou la compréhension de la situation pourraient être bien éloignées de ce contrat.
En fait, tout cela sert à mon avis principalement de base pour présenter la tablée et sa façon de jouer à un nouvel arrivant, ou mieux, à une recrue potentielle (qui à ce stade a encore la possibilité de réaliser qu’il y aura incompatibilité entre ses attentes et celle du groupe, et d’éviter une participation déplaisante pour lui et/ou pour les autres).
Le problème étant alors de présenter tout cela au nouveau sans lui donner l’impression d’une rigidité et d’un formalisme qu’il ressentirait comme étouffants, car ce n’est heureusement souvent pas le cas, et car ce genre de contrat subit généralement bien des entorses au quotidien sans que personne n’y trouve à redire.
J’ai, au cours de ma Campagne d’Ars, du virer un joueurs de la table. Une expérience fort désagréable. Mais j’ai eu du mal à prendre cette décision car je n’arrivais pas à mettre le doigt sur ce qui clochait. Bon heureusement avec le net, il existe de bon site (http://ptgptb.free.fr/) ou de bon blog sur le fond du jeu de rôles.
En fait, après moults arguments échangés, il est clair qu’il y’avait une différence d’attente dans ce que tu nommes « sous-entendu préludique ».
Cette synthèse que tu fais me semble très utile et sans te lancer des fleurs, devrais figurer dans tout livre de base de jeu de rôles.
Dans tout jeu il y’a des règles mais il y’a aussi des méta-règles non écrites qui gagneraient à être explicitées.
Puis-je t’emprunter ce post pour le diffuser ?
Il y a sûrement des analyses plus pertinentes ou plus élaborées du sujet qui ont été faites, là ce sont juste quelques réflexions mises en forme.
Tu peux évidemment les réutiliser (si tu reprends ma prose telle quelle, vaudrait mieux indiquer la source, car comme je le disais, je vais à terme en mettre en ligne une version un peu plus chiadée) ; et si tu les développes, je suis intéressé par le résultat. :-)
« Comment jouer ensemble » est en effet la problématique du LNS, et Ron Edwards avait un terme pour le « contrat social », qui était « creative agenda » (proposition créative), mais là je réduis beaucoup (il détaille bien plus); ce terme correspondrait un peu à ce que tu appelles « le Thème »: – « eh, on va jouer des êtres torturés par leur monstruosité et leur soif de sang »-, qu’implique la proposition de jouer à Vampire. :)
Pour la problématique qui est « comment se mettre d’accord sur la manière de jouer », il y a deux situations:
– soit le MJ est à l’écoute de tout le monde (genre il va débuter une campagne, pas encore trop fixé dans son esprit), et il fait circuler un questionnaire pour connaître les préférences des joueurs;
– soit un joueur se joint à un groupe/campagne existant, et il s’agit de lui faire savoir comment on joue, et de voir s’il est « compatible ». Les commentaires de cet article ont plein d’idées pour pouvoir filtrer les candidats:
*la brochure : « D’habitude, quand je rencontre des joueurs potentiels ou des nouveaux joueurs, je leur donne un contrat social. Il explique quel est le but du groupe de JdR en général, mon style de maîtrise de partie, et l’attitude que j’attends de la part des joueurs. … On a souvent assimilé le JdR au team-building (consolidation d’équipe) dans le milieu professionnel. Donc au début de chaque formation d’équipe, il y a un petit guide qui souligne le but de l’équipe, et qui définit les modalités des réunions, l’ordre du jour, et la structure de l’équipe. »
*l’entretien d’embauche (cf commentaire de yong kyosunim), suivi éventuellement d’une partie d’essai! :)
L’exemple de Vampire est pertinent, pasqu’il ne s’agit pas simplement de « jouer des vampires ».
La fois où on a envisagé de se lancer dans ce contexte, la description de la société vampirique et de ses codes a fortement refroidi un joueur pourtant enthousiaste à la base : du coup, il n’était plus vraiment motivé. Une société vampirique plus « souple », à la Prédateurs, lui aurait plus convenu. D’avoir précisé préalablement les choses aurait été utile.
(j’ai d’autres exemples avec d’autres contextes, par exemple le joueur qui participait pasque c’était le jeu maison du MJ qui était son meilleur ami, mais que le thème n’intéressait pas franchement, donc qui traînait un peu les pieds et plombait l’ambiance de la tablée)
L' »entretien d’embauche » est quelque chose de délicat à formaliser, mais ça n’en reste pas moins une pratique intéressante, souvent mise en place de façon informelle : on convie le nouveau à une séance, et si le courant passe et s’il y a consensus des anciens, il est réinvité.
Excusez-moi d’apporter une note discordante, mais on peut aussi jouer juste pour jouer, sans se préoccuper des réflexions théoriques autour de notre loisir commun. Et on peut aussi adapter sa façon de maîtriser/jouer lorsqu’on s’aperçoit qu’elle n’est pas en phase avec celle des autres. Exemples : je ne vais pas jouer à Glorantha de la même manière avec des gloranthophiles passionnés de mon âge qu’avec de nouveaux venus à cet univers complexe ; je ne vais pas non plus maîtriser les modules de Raggi de la même manière si les joueurs sont majeurs ou mineurs…
Il ne s’agit pas de théorie, c’est au contraire très concret ; et je pense que tu crois être discordant parce que tu appliques déjà une partie de tout ça instinctivement, voire inconsciemment (ou que tu envisages les choses de façon plus restreinte que moi, j’en veux pour preuve tes exemples). :-)
Pour moi, ça n’est pas du luxe de savoir que la tablée à laquelle je suis susceptible de participer (ou le joueur que je suis susceptible d’intégrer à la mienne) joue pour se défouler en massacrant des orcs et en violant des princesses, ou si le moindre borborygme émis à la table sera considéré comme ayant été prononcé par le perso, ou si le but ultime est d’éliminer les persos des autres joueurs, ou si on est dans un trip « je joue un rôle à fond », ou si ça joue sans MJ, ou autre configuration où le fait d’avoir annoncé la couleur avant m’évitera de perdre mon temps à venir jouer (et/ou de faire perdre leur temps aux autres en venant).
Évidemment, si tu as déjà cerné un peu le sujet, donc qu’il est restreint à des cas de figure acceptables, il est possible de s’adapter. Et encore, c’est parce que tu le veux bien : il y a des gens qui refuseront catégoriquement ; et là encore, mieux vaut le savoir avant (et ne pas jouer avec eux) plutôt que les voir bousiller une partie.
Enfin, peut-être que rien de ça ne te gênerait et que tu es capable de (et disposé à) t’adapter à toutes ces circonstances. Ce n’est pas mon cas, et pour avoir eu un certain nombre de déconvenues plus ou moins profondes, j’aime autant prendre certaines précautions si je le peux.
L’expérience m’a fait réaliser qu’il existe énormément de façons différentes de jouer au JdR, dont certaines qu’il y a quelques années j’aurais catégoriquement considérées comme n’étant pas du JdR. Énormément d’attentes différentes selon les joueurs, également. Et trop peu d’occasions de jouer pour que je puisse encore me permettre de les gâcher, comme j’ai pu accepter de le faire à l’époque lointaine où je jouais plusieurs fois par semaine.
En fait je maîtrise pas mal en convention (pendant l’année « normale » je suis plutôt joueur que MJ) et donc j’ai vraiment DE TOUT comme joueurs. Je suis peut-être un méga vieux de la vieille, ou j’ai du bol, je sais pas, mais en tout cas je n’ai jamais eu de souci particulier. À part à la rigueur les gens qui parlent trop et qui tirent toute la couverture à eux ne laissant pas les autres s’exprimer, genre Rappar ;-)
Ah oui mais là, tu prends tout de suite un cas extrême ! :-)
Bon, après, peut-être que tu as de la chance et que je n’en ai pas toujours eu. Je pense aussi qu’il y a des particularités liées au jeu en convention (dont je n’ai aucune expérience directe). Et peut-être encore que tu fais ta sélection sans t’en rendre compte quand tu « vends » ta partie aux joueurs potentiels pendant la conv : le « discours de présentation » que tu leur sors suffit peut-être à faire le tri.
Sur le site de Simon Phipp (pour me placer dans le domaine gloranthien, qui te parlera sans doute le mieux), il y a un exemple type de compte-rendu d’une partie de convention à laquelle certains n’auraient sans doute pas participé si les choses avaient été posées clairement au départ. Ça a beau être marrant vu de l’extérieur, je ne suis pas certain que tout le monde s’y soit bien amusé ni en ait gardé un bon souvenir…
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