Esclaves de l’informatique

Voilà donc deux semaines que la nouvelle pointeuse informatique a été mise en service au boulot.
Voilà presque dix jours qu’elle a connu de soudains changements dans notre dos, entraînant au sein de mon équipe ce que j’appellerais pudiquement quelques problèmes de manadjmént.
Voilà une semaine que j’ai eu une discussion téléphonique argumentée avec mon chef afin de lui exposer en long en large et en travers la situation, et de lui proposer une solution simple qui satisferait tout le monde ; solution avec laquelle, accessoirement, il s’était déclaré d’accord.
Voilà une semaine que nous n’avons aucune nouvelle et que la situation n’a pas évolué, malgré un courriel reprenant mes explications afin que la direction puisse prendre connaissance de la situation sans qu’elle ne soit déformée par le téléphone arabe, et malgré une relance en milieu de semaine.
Tout ceci nous donne la sale impression que la direction cherche à enterrer l’affaire en faisant la sourde oreille : ma réclamation ne figurait même pas à l’ordre du jour du comité de direction de lundi dernier, si j’en crois le compte-rendu que j’ai pu lire hier matin.
Bref, il était temps de passer à l’étape suivante.

Après avoir tenté en vain de joindre à nouveau mon chef par téléphone ces derniers jours, j’ai réussi à le « coincer » au bout du fil ce matin. Pour apprendre que, selon ce que lui a dit (ou plutôt écrit, visiblement la communication s’est simplement faite par petits mots déposés sur les bureaux des uns et des autres, ce qui n’aide assurément pas les personnes intéressées à prendre la mesure de l’ampleur du problème) le service du personnel, il n’est techniquement pas possible de réaliser la modification demandée sur la pointeuse. Modification demandée qui est rappelons le relativement simple : il s’agit de comptabiliser forfaitairement le temps de vestiaire de chacun d’entre nous, au lieu de nous faire pointer en civil et de créer des disparités importantes entre celui qui se douche sur place pour profiter du système et celui qui préfère se laver tranquillement chez lui (écart d’au minimum dix minutes par jour, voire nettement plus quand il s’agit d’une demoiselle qui en profite pour se raser les guibolles ; je n’invente rien).
Mais non, ajouter un temps de vestiaire forfaitaire au temps passé en uniforme comptabilisé par l’ordinateur n’est techniquement pas possible. Alors que dans l’autre sens, c’est-à-dire retirer systématiquement aux agents un temps de pause méridienne supérieur à ce dont nous bénéficions en réalité pour avaler un casse-croûte sur le pouce, ça ne posait visiblement strictement aucun problème (informatiquement parlant, s’entend ; devant la levée de boucliers qui a suivi cette autre mauvaise idée, la direction a (pour l’instant) laissé la question en suspens). Je me demande dans quelle mesure il y a de la mauvaise volonté de la part du service du personnel, de la part de nos informaticiens, et de la part du service après-vente de la boîte qui nous a vendu (sans doute bien cher) le logiciel utilisé (service auquel nous avions déjà eu affaire dans notre ancien poste et qui nous avait effectivement fait une réponse du même genre : en gros, leur pointeuse (c’était une version antérieure) n’était pas capable de s’adapter à notre façon de travailler, et c’était à nous d’adapter notre fonctionnement à la pointeuse) ; et dans quelle mesure l’alibi technique, un peu facile, sert à la direction à se cacher pour ne pas aller au bras de fer.

Quoi qu’il en soit, après avoir dûment râlé au téléphone, j’ai envoyé ce soir avant de partir un courriel à mon chef, mais également à la directrice et au directeur-adjoint, leur annonçant ce que j’avais dit de vive voix au chef ce matin : à compter de lundi prochain, et jusqu’à ce qu’une solution soit trouvée à notre problème, nous avons décidé d’un commun accord de cesser d’utiliser la pointeuse informatique et de revenir à notre ancien système, parfaitement cadré et sans possibilité de dérives. Et on va bien voir à quel niveau ça coince : directorial, ou informatique…

Mais si c’est effectivement un problème informatique, alors c’est une preuve de plus que notre civilisation occidentale marche de plus en plus sur la tête : quand ce sont les outils prétendument conçus pour nous aider qui nous imposent de nous plier à des façons de faire aberrantes, au lieu d’être adaptés à nos besoins.
Devant le peu d’énergie déployé pour résoudre le problème (s’il est informatique) et le doute subsistant quant à la nature du blocage (doute qui sera très certainement levé lundi quand je relèverai ma messagerie professionnelle et prendrai connaissance des réactions directoriales), j’en viens également à me demander si désormais, vu de la direction, notre tâche la plus importante n’est pas de bien rentrer nos heures dans la pointeuse, et non pas de bien faire notre boulot (auquel la directrice ne connait rien (elle n’est pas du métier) mais dont elle semble se contrefoutre (je lui avais suggéré l’année dernière de venir rencontrer les agents sur leur lieu de travail ; je n’ai pas l’impression qu’elle ait l’intention de le faire un jour ; à moins que le conflit qui débute n’en soit l’occasion ?)). J’ai vraiment de plus en plus l’impression que le manadjmént moderne consiste à gérer des pions interchangeables dans un programme informatique, et non des personnes qui travaillent au sein d’une équipe.
Vivement la retraite…

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12 réponses à Esclaves de l’informatique

  1. Vaken dit :

    Puisque ma boîte est active dans le domaine (de la gestion des temps de travail informatisée, et qu’on fabrique des pointeuses), voici comment ça se passe chez nous (à remettre dans le contexte, vu qu’on est en Belgique) :
    – les règles de calcul sont différentes dans chaque entreprise ou presque ;
    – on a donc un noyau de calcul pour ce qui est commun à tout le monde, et des « spécialisations » pour gérer tout ce qui est spécifique à nos clients ;
    – quand des demandes sont trop particulières (elles demandent des règles de calcul qu’on ne gère encore nulle part ailleurs), on fait une offre de prix à l’entreprise. Qui accepte l’option pour que nous nous adaptions à sa façon de travailler, oui qui la refuse et adapte sa façon de travailler à la façon dont notre logiciel gère les choses de manière « standard » (en tout cas dans la configuration qui est la plus proche de ce qu’ils utilisent normalement).

    Donc, explication possible : le soft pourrait faire ce que vous voulez, mais aux yeux de la direction, ça coûte trop cher pour ce que ça apporte. Le « le logiciel ne peut pas » serait alors une excuse bidon.

    Ou bien sûr, ça ne peut vraiment pas. Ma boîte fait quand même sa pub en disant qu’on peut s’adapter à toutes les situations…

    Pour ce qui est d’être une ligne dans une feuille de tableur, j’ai déjà connu ça aussi. A l’époque où je bossais pour une boîte « réputée » de télécoms, on a vu un jour débarquer un gars pour demander où en était l’état d’avancement du projet « machin ». Il a bien fallu lui répondre qu’ils avaient viré tout le département qui s’occupait de « machin » six mois auparavant.

    • Imaginos dit :

      Je reste sur ma position : si un logiciel est suffisamment souple pour pouvoir retirer automatiquement une valeur K, il est probablement capable d’ajouter automatiquement une valeur K’. Ou de retrancher une valeur -K’. Et pour le coup, je ne pense pas que le blocage se fasse au niveau de la boîte qui nous l’a vendu. :-\
      (pour le précédent problème qu’on avait eu avec eux, je ne me souviens plus de quoi il s’agissait, mais ils m’avaient semblé traîner très nettement des pieds)

      Tu devrais ptêt me faire passer une doc « publicitaire » : vous êtes peut-être meilleurs et moins chers, et ça te permettrait de venir faire un tour dans le coin… ;-)

      Enfin bref : résultat des courses pour ceux que ça intéresse, la direction fait la morte suite à mon message, mon chef propose une réunion au siège avec les responsables des différents sites extérieurs, et j’ai l’impression que la directrice cherche à se défiler en invoquant des problèmes d’agenda qui me paraissent eux aussi faciles à règler.
      Je pense que l’histoire est encore loin d’être réglée. :-\

      • Miod dit :

        Je m’attends à une panne de la pointeuse dans un futur proche. Sans doute due à un défaut dans le système électrique (du moins tant que personne n’ira découvrir dans le coffret à fusibles que celui de la prise de courant de la pointeuse à été retiré…)

        • Imaginos dit :

          Tsst… Ça ne fonctionne pas comme ça : c’est une pointeuse informatique.
          La seule panne qu’il puisse y avoir, c’est un plantage du serveur qui nous empêcherait de pointer à distance. Ou un problème de notre connexion internet.

  2. Vaken dit :

    Tu devrais ptêt me faire passer une doc “publicitaire” : vous êtes peut-être meilleurs et moins chers, et ça te permettrait de venir faire un tour dans le coin… ;-)

    Bah, je ne fais pas de vente, et heureusement plus de maintenance sur site. Donc pas de chance pour la visite ;-)
    Et puis, ma boîte est active dans ce domaine, mais en ce qui me concerne, je suis orienté sur un autre de nos domaines d’activité, la sécurité des bâtiments. La gestion de temps, ça rend fou :-)

    Donc, vous pointez au travers d’une application intranet, c’est ça ? (parce que toutes les pointeuses ou presque peuvent maintenant être qualifiées d' »informatiques »).

    • Imaginos dit :

      > Donc, vous pointez au travers d’une application intranet, c’est ça ?

      Ouaip. Je ne donnerai pas de nom publiquement par contre, je ne veux surtout pas leur faire de pub’.
      (enfin, on pointait : pour le moment on en est revenu à l’ancienne méthode et ça me va bien mieux)

      • Vaken dit :

        Okay, je voulais juste être sûr que ce n’était pas une pointeuse physique.

        Sinon, j’ai demandé à mon collègue spécialisé en GT si notre soft « temps » pouvait fonctionner en France (ou on ne vend actuellement à ma connaissance que du contrôle d’accès et du monitoring d’alarmes). Pour faire simple, je dirais qu’il n’avait pas l’air très chaud.

        • Imaginos dit :

          Il t’a dit que ce n’était techniquement pas possible ? ;-)

          (sinon, ça fait deux fois que tes commentaires sur ce billet précis sont traités en spam par WordPress… comprends pas pourquoi :-( )

          • Vaken dit :

            Ah, je pensais que tu avais réactivé la validation :-/

            Et dans ma boîte, rien n’est impossible. « Pour l’impossible, on demande un délai de 15 jours » :)

          • Imaginos dit :

            Ah, ça c’est dans Des barbelés sur la prairie, un de mes Lucky Luke préférés (y a plein de vaches dedans !) ; je l’ai même en double, vu le piteux état dans lequel est l’exemplaire de ma tendre enfance, à force d’avoir été relu :
            « Pour l’impossible, nous demandons un délai de quinze jours. »
            :-)
            Le relire à cette heure, au lieu d’aller me coucher… non, ce ne serait vraiment pas raisonnable.

  3. Vaken dit :

    Le mien (version couverture souple) est tout rafistolé au papier collant devenu jaune et cassant depuis :)
    Si tu l’as relu hier, ça mérite le goudron et les plumes :D

    Si on en croit Gringos Locos, un sacré tombeur, ce Morris !

    • Imaginos dit :

      Le mien (le premier des deux miens, couv’ souple) n’a plus de couverture de devant depuis plusieurs décennies. Et je ne suis pas certain que la couverture de derrière soit encore attachée au reste…
      Et non, je ne l’ai pas relu. Et ça ne sera pas pour ce soir non plus, je suis dans un état de semi-gastro qui m’est tombé dessus ce matin au boulot et qui me fatigue beaucoup. :-(

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