Nous sommes le 31 mai, c’est le jour de notre rendez-vous annuel avec des vieilleries rôludiques oubliées de la plupart des joueurs mais figurant en bonne place dans ma ludothèque.
Le jeu à l’honneur cette année est :
Paru chez FGU en 1984, Psi World (dont les auteurs sont Del Carr et Cheron ; c’est-à-dire apparemment Delbert et Cheron Carr, un couple) est comme son nom l’indique un jeu traitant des pouvoirs psioniques. Mais contrairement aux autres JdR qui en mettaient déjà en scène à l’époque (AD&D, Traveller et Space Opera me viennent spontanément à l’esprit, mais il y en avait certainement d’autres), le cadre n’est, ni du med-fan’, ni du space opera, mais notre monde dans un très proche avenir.
En fait, du contexte rien ou presque n’est dit (ou « en fait de contexte, rien ou presque n’était proposé » ?) : on sait uniquement qu’il y a des liaisons régulières par navette vers des stations spatiales et des bases lunaires, qu’on a envoyé des sondes vers les planètes et astéroïdes proches, que l’utilisation de l’énergie solaire est très développée et que la technologie dans son ensemble (et en particulier, la technologie informatique) est plus avancée que la nôtre (que la nôtre en 1984, s’entend). Tout ceci expédié en même pas un paragraphe entier en introduction du jeu (introduction qui précise que le monde servant de cadre n’est pas forcément notre Terre, une précision passée à la trappe dans le dernier chapitre du livre de base qui n’envisage plus qu’une Terre futur proche (d’ici dix à cinquante ans).
Le livret de 32 pages ne contient donc quasiment que des règles, dans mon souvenir (de lecture ; je n’y ai jamais joué) relativement simples, présentées à la manière habituelle des jeux FGU (écrit petit (avec quelques coquilles), dense, et plutôt austère, bien qu’il y ait des illustrations). Les personnages choisissant d’être psioniques n’ont que peu de pouvoirs (un à trois dans la plupart des cas, un peu plus en cas de chance aux dés) choisis dans un éventail classique, mais varié et plutôt complet. L’utilisation de ces pouvoirs se fait en dépensant des points. La dépense est généralement coûteuse, et ce d’autant plus que les personnages n’en ont pas énormément ; ils sont récupérés (assez rapidement) par le sommeil.
À la base, un personnage psionique dispose d’un nombre de points de pouvoir égal au double de sa caractéristique PSI (Psionic Power), elle-même déterminée par la somme de 2D10. Sachant qu’une communication télépathique d’1D6+1 mn dans un rayon de 8 km (5 miles) consomme 5 points, qu’une téléportation en consomme 20 ou qu’un phénomène de poltergeist en consomme 5, vous comprendrez aisément qu’on n’est pas ici dans la débauche d’utilisation de facultés psioniques (certes, on peut progresser avec l’expérience, mais c’est lent ; de même, on peut aussi acquérir de nouveaux pouvoirs).
Outre les règles, le livre de base contient un chapitre de deux pages et demi contenant quelques conseils au MJ pour créer son cadre de jeu (quasiment une page en étant occupée par une liste de prix). Autant dire que c’est « démerdez vous ! », ce qui n’est pas forcément un problème d’ailleurs. En fait, le conseil principal est de jouer là où vivent les joueurs, mais en ajoutant des psis…
Un peu plus d’infos sont quand même fournies dans le livret de scénarios (20 pages), qui donne les grandes lignes du cadre de la campagne des auteurs, avec des intégristes antipsis (la Ligue pour la pureté génétique de l’humanité : League for Human Genetic Purity), quelque peu inspirés du Ku-Klux-Klan, et une agence gouvernementale, la PPA (Agence de protection contre les psioniques : Psionic Protection Agency), sorte de FBI intervenant dans les crimes impliquant l’utilisation de pouvoirs psioniques. Les psis, dus à une mutation génétique et représentant environ 1 % de la population, sont souvent considérés avec méfiance, victimes de discriminations, voire relégués dans des ghettos. Un petit comté rural servant de cadre aux deux scénarios est esquissé : on y trouve une communauté d’environ 1.600 personnes dans laquelle psis et non-psis tentent de cohabiter en harmonie : Enclave. Quant aux progrès technologiques annoncés dans l’intro du jeu, force est de constater que tout ça pourrait presque tout aussi bien se dérouler en 1984 (et cette remarque vaut d’ailleurs pour tout ce qui a été publié pour Psi World).
Le premier scénario est destiné à des PJ psioniques ou pro-psioniques, qui viennent d’arriver à Enclave et à qui on demande d’aller identifier et prendre contact avec un psi a priori puissant dont l’activité a été décelée dans une ville voisine. Le second scénario est destiné à des PJ membres (débutants) de la PPA, qui s’attaquent à un gang comprenant un psi.
Outre ces deux livrets, la boîte contient un « écran » trois volets (dont un seul est illustré) rassemblant les principales tables des règles, et une feuille de perso vierge cartonnée.
Psi World a eu un petit suivi, avec trois suppléments de 32 pages :
The Hammer Shall Strike, signé Del Carr et Cheron et paru en 1985, contient des pouvoirs psioniques supplémentaires et deux scénarios, pouvant être joués aussi bien par des psis que par des non-psis.
Avec Underground Railroad (1985), les auteurs du jeu cèdent la plume aux stakhanovistes du JdR de SF de l’époque, j’ai nommé les frères Keith. Les trois scénarios de ce livret sont destinés à des PJ psis (ou en tous cas pro-psis), et se déroulent dans un nouveau cadre de campagne, dans lequel les États-Unis ont éclaté en morceaux et où la tension va grandissant entre deux nouveaux États voisins issus de cet éclatement, l’un (The Free State) où les psis sont tolérés, l’autre (The Central States Confederacy) où ils sont persécutés (et cherchent donc à passer la frontière pour se réfugier dans l’État Libre). Géographiquement, je n’ai jamais trouvé ce cadre crédible ; mais le principe de deux États voisins, l’un démocratique, ouvert et pacifique, l’autre totalitaire, intolérant et agressif, est intéressant, et j’ai à plusieurs reprises suggéré de le remplacer par exemple par la Syldavie et la Bordurie (chose que je n’avais pourtant volontairement PAS faite pour mon scénario Mort sur ordonnance).
Cause for War (1986), toujours par les frères Keith, prend la suite du précédent et continue l’escalade entre les deux États jusqu’à la guerre (à signaler que le livret est un poil plus grand que les précédents, et ne tient donc pas à l’intérieur de la boîte du jeu, ce qui est fort regrettable…).
La gamme s’est arrêtée là.
Avec le recul, Psi World vaut surtout pour les postulats de ses cadres de scénarios, qui tiennent en quelques lignes seulement et qui pourraient tout aussi bien être mis en œuvre avec d’autres systèmes de jeu. D’où la déception de James Maliszewski par exemple, qui avait zappé l’existence des suppléments. D’où aussi probablement The Phoenix Project, le cadre de campagne proposé en exemple par David Pulver dans GURPS Psionics (1991), qui aurait fort bien pu être conçu pour Psi World (d’ailleurs, je ne serais pas vraiment surpris d’apprendre que c’était le cas, bien que Psi World ne soit pas mentionné dans la biblio dudit supplément).
Du coup, la disparition de ce JdR somme toute mineur n’a pas suscité beaucoup d’émotion ni créé de réel vide dans le paysage rôludique, puisqu’il est relativement facile à tout un chacun de créer lui-même son propre cadre de substitution (voire son propre cadre tout court, comme il l’aurait fait avec Psi World) pour le système de jeu de son choix, pourvu qu’il soit capable de gérer la technologie contemporaine et les pouvoirs psioniques (d’ailleurs si je devais moi-même en faire quelque chose, j’utiliserais bien évidemment GURPS…).
Merci. Je pense que les créateurs devaient penser plus aux Slans qu’aux X-Men mais à présent, ce type de Mutants (plus spectaculaires ou moins humains que les Psis de PsiWorld) seraient immédiatement le modèle dans l’esprit des joueurs et ils seraient peut-être déçus par la relative discrétion des Psis.
J’ai Underground Railroad mais j’avais raté le fait qu’il y ait une suite. J’aime bien la métaphore politique puisqu’en un sens cela rappelle que la Confédération sudiste n’a jamais cessé d’exister comme réalité culturelle et politique à l’intérieur de l’Union. En revanche, ils pourraient faire plus subtile qu’appeler l’autre Etat « Free State ».
Michel Serrat, dans sa critique dans CB n° 24, évoquait effectivement À la poursuite des Slans (que j’ai moi-même failli mentionner ; je me suis abstenu justement pour qu’on ne dise pas que je m’étais inspiré de ladite critique, qu’au contraire je n’ai pas relue).
Je pense que parmi les inspirations nettes pour les joueurs, il y aurait aussi un certain nombre de sources fantastiques comme Carrie, qui auraient peut-être encore de l’écho dans le public moderne (plus en tous cas qu’un vieux roman de Van Vogt, pourtant fort bon).
Je pense désormais que le contexte présenté par les frères Keith était destiné à être adapté par les MJ à leur propre sauce, plutôt qu’utilisé tel quel ; et que donc, des noms comme « Free State » n’étaient là que pasque ça rend la lecture plus fluide que « État A ». Mais c’est vrai qu’à l’époque, des noms aussi bateau avaient contribué à m’empêcher de trouver tout ça crédible.
Si tu veux compléter ta collection, je crois que les suppléments sont disponibles en *.pdf sur RapideJDR, et je me demande s’ils ne sont pas aussi encore en vente directement auprès de FGU. Ludikbazar n’a que le jeu (neuf) et Underground Railroad.